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Il est conservé dans la collection de Thomas Philips ȧ Cheltenham. La carte de l'Amérique septentrionale a été inspirée en partie par la mappemonde de Henri II. Dans la région du Canada, on remarque de nombreux personnages des deux sexes, costumés à l'européenne, et autour desquels se pressent des sauvages en armes.

La mappemonde de Pierre Desceliers, aujourd'hui conservée au British Museum, date de 1550. Sur l'emplacement du Canada est inscrite cette légende: « C'est la demonstracion d'aulcuns pays découvertz puisnez pour et aux despens du tres xien Roy de France Françoy pmier de ce nom. Luns nõme Canada Ochelaga et Sagné assis vers les parties occidentalles environ par les cinquante degrez de latitude. A iceulx pays a este envoyé (par ledict Roy) hoñeste et ingenieur gentil home mons. de Roberval avec grande cõpagnie. Les gentz d'esprit tant gentilz homes come aultres et avec iceulx grande compainye de gens criminels desgradés por habiter le pays. Lequel avoit este premierement descouvert par Jaques Cartier demeurant å Sainct-Malo. Et pour ce que ilz n'a esté possible (avec les gentz dudict pays) faire trafique, à raison de leur austerité, intemperance dudict pays et petit profit, sont retournez en France esperant y retourner quand il plaira au Roy. »

Les voyages de Cartier et de Roberval furent donc connus en France presque aussitôt après leur exécution, et les trois documents géographiques que nous venons d'analyser démontrent que la connaissance des terres nouvelles se répandit assez vite. Il est encore un ouvrage inédit en partie et qui se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris, où sont décrits avec force détails le Canada et terres adjacentes. C'est un manuscrit composé de 1546 à 1547 par Jehan Mallart, et qui est intitulé: Premier livre de la description de tous les portz de mer de lunivers. A vecques sommaire mention des conditions differentes des peuples et adresse pour le rang des vents propres à naviguer.. Jehan Mallard, que l'on connaît encore sous le nom de Mallard ou Maillard, avait entendu parler de Cartier. Il le cita dans ses vers, car ce manuscrit est un poème :

Par bons pillotes qui scavent les hauteurs
Comme ceulx-cy tres bons navigateurs
Jaques Cartier, Crignon, ou par soin

Ou autres gens experts au faict marin....

Il ne fait pourtant aucune allusion aux récentes découvertes, mais il décrit les pays nouvellement visités, ce qui prouve qu'il con

naissait sinon les relations de Cartier, au moins les Voyages aventureux d'Alfonse le Saintongeois. Il est difficile de composer des vers moins harmonieux et plus pédantesques, mais ce poème est utile à consulter à cause des indications. Voici les principaux passages relatifs à l'Amérique du Nord.

Les gens icy habitans en ces lieux

De Labrador sont couvers et vestuz

De peaulx, et sont sus terre leurs maisons.
La terre est froide et pleine de glaçons,
De pins couverte, et d'aultres boys en place
Ny en a point. La coste pour la glace
Est dangereuse et disles mesmement.

En terre neufve a de bons ports et hables,
Meilleurs deurope et fort belle rivieres,
Grand pescherie et choses admyrables;
Pleine est de pins et boys sur les lisieres.
La coste gist jusques au cap de Ratz.
Au nort et su les gens de corps et bracz,
Ils sont fort grands et tirent sur le noir,
Gents bestiaulx qui nont foy ny espoir,
Et rien qui soit, mais sont mauvais ruraulx.
En ceste coste a disles et isleaux,
Un grand nombre, et Tabayos se disent.
Ces gens icy ont des fruicts qui produisent
Tant seulement leur vie et de poissons,
De chair aussi sans en faire cuyssons,
Ainsi quung chien ilz vivent en la sorte.
Je veulx

Dire en ce point que tres bon terroy cest,
Rivieres, ports et terres, bois fertilles
A en ce lieu, et mesme bonnes villes,
Et roy aussi. Comme aux Indes credence
Ont au soleil auquel font reverence,
Et à la lune en voyant sa splendeur.
Ils sont tous noirs et de nostre grandeur.
Au pays ont force pelleterie
Duquel na pas jusque à la Tartarie.

Passé ceste isle que dessus marque,
Tourne la coste au oest et est suest,
Jusques à la rivière Novemberque
Tout de nouveau descouverte, et elle est
Assise par trente degrez, et disent
Aucuns pillotes, qui toutesfois mesdisent,
Que icy on trouve ung assez bon passage,
Car nul nen a encore trouvé lusage.
A son entree a des isles et bancz,
Force rochers s'y trouvent aussi céans.

Mallart n'était certes pas un poète, mais son Routier mériterait les honneurs de l'impression, et il n'était pas inutile de le citer, pour prouver que les contemporains prenaient un vif intérêt à ces lointaines explorations.

Roberval lui-même, malgré toutes les déceptions qu'il avait éprouvées, trahi par les siens, abandonné par ses amis, malheureux

dans toutes ses tentatives, ne renonça pas à sa vice-royauté américaine. Il aurait peut-être mieux fait, s'il n'eût consulté que ses intérêts immédiats, de rester en Picardie, et d'y administrer tranquillement ses domaines; mais il était comme poursuivi par l'idée d'augmenter sa fortune et d'aller conquérir un royaume au delà des mers. Non content de son insuccès, il voulut encore tenter la chance d'une seconde tentative de colonisation. Comme le roi ne pouvait que l'accuser d'imprévoyance et nullement de lâcheté ou de concussion, et que d'ailleurs les termes de son privilège l'investissaient du droit absolu de commercer au Canada et d'y exercer dans leur plénitude les attributions royales, Roberval prépara une seconde expédition. Il s'était cette fois fait accompagner par son frère, si brave soldat que François Ier l'avait surnommé le gendarme d'Hannibal. Cette expédition eut lieu vers 1548 ou 1550. Elle échoua misérablement. Roberval y périt avec tout son monde. Thevel, l'ami particulier de Roberval, qu'il appelle quelque part « mon famillier », affirme qu'il fut assassiné la nuit, près le charnier des Innocents; mais la tradition courante est qu'il mourut en Amérique avec son frère et ses compagnons, sans qu'on ait jamais eu d'autres détails sur cette catastrophe qui devait arrêter pour de longues années les progrès de la Nouvelle-France.

(A suivre.)

PAUL GAFFAREL.

LE DIAGNOSTIC TOPOGRAPHIQUE

DE NAPOLÉON

(SUITE)

Nous extrayons de la Correspondance les divers projets, très beaux en eux-mêmes, mais désormais sans objet, auxquels se livrait en ce moment là même Napoléon.

y

Le 17 mars 1814, il voyait trois partis à prendre 1:

«1° Le premier est d'aller à Arcis-sur-Aube, treize lieues; on serait demain 18.

>> On peut passer le 19 l'Aube, et être dans la nuit du 19 au 20 sur Méry ou Troyes.

» Il est probable que l'ennemi saura après-demain que je couche demain à Fère-Champenoise, et dès ce moment la diversion est faite. La diversion serait donc faite dans la journée du 19.

» Le prince de la Moskowa sera à Arcis-sur-Aube en même temps que moi. Nous passons l'Aube, et le 20 nous sommes à Troyes. J'ai un équipage de ponts et j'en jette où je veux.

» Je crois le quartier-général à Troyes.

3

» Ce projet est le plus hardi; les résultats en sont incalculables. » 2° Se rendre à Sézanne et de Sézanne à Provins. D'abord ce sont les plus mauvais chemins. Il y a d'ici à Sézanne neuf lieues, de Sézanne à Provins neuf lieues; total dix-huit lieues. La cavalerie pourrait être demain 18 à Sézanne, s'il n'y a point de cavalerie ennemie. Elle serait obligée d'attendre l'artillerie. Le 19, le prince de la Moskowa ne pourrait y être, et serait obligé de venir passer ici.

» De Sézanne à Meaux par Coulommiers et la Ferté-Gaucher, quinze lieues. Une fois à Sézanne, on pourrait aller à Meaux. On y

1. Reims, 17 mars 1814. Note dictée au colonel baron Atthalin, sous-directeur du cabinet topographique de l'empereur.

2. Fère-Champenoise, chef-lieu de canton (Marne), arrondissement et à 35 kilomètres sud d'Épernay.

3. Sézanne, chef-lieu de canton (Marne), arrondissement et à 43 kilomètres sudouest d'Épernay.

serait en deux jours de bonne route. Il y aurait donc d'ici à Meaux par Sézanne vingt-quatre lieues.

› On serait maître aussi d'y aller d'ici, en passant par Fère-Champenoise, sept lieues; de Fère-Champenoise à Sézanne, quatre lieues; de Sézanne à Meaux, quinze lieues. Il y aurait d'ici à Meaux, en passant par Fère-Champenoise, vingt-sept lieues au lieu de vingt-quatre, c'est à dire trois lieues de plus.

» 3° Enfin le troisième projet serait d'aller droit sur Meaux par le grand chemin. Il y a d'ici à Meaux, vingt et une lieues. On y serait le 20 de bonne heure. On pourrait même joindre l'armée le 20 et attaquer l'ennemi le 21.

Ces trois projets ont tous les trois leur caractère :

» Le premier est le plus hardi, donne une grande épouvante à l'ennemi et donne des résultats inattendus;

Le deuxième a l'inconvénient d'être toujours dans les traverses, mais enfin il coupe l'ennemi sur la rive droite de la Seine;

» Le troisième est le plus sûr, parce qu'il mène à tire d'aile sur Paris; mais c'est aussi celui qui, n'étant d'aucun effet moral, laisse toute entière la chance d'une grande bataille. Or, si l'ennemi a 70 à 80 000 hommes, cette bataille sera une furieuse chance, au lieu que marchant sur Troyes et venant sur les derrières, pendant que le duc de Tarente marche en retraite et lui dispute toutes les positions, il peut y avoir de plus grandes chances1. » Le 23 mars, quatre partis s'offraient à lui; il s'attardait alors à Saint-Dizier2.

« 1o Partir d'ici à deux heures du matin, être à Vitry à huit heures et attaquer l'ennemi.

» 2o Partir demain de bonne heure et se porter par Bar-sur-Ornain sur Saint-Mihiel, de manière à avoir demain le pont de SaintMihiel dès ce moment j'ai ma communication assurée sur Verdun, et j'ai passé la Meuse; j'irais de là à Pont-à-Mousson, ce qui me donnerait ma communication avec Metz; je serais renforcé de 12000 hommes que je puis tirer des places; j'aurais chassé au

1. Le même jour il mandait au roi Joseph: « Je m'attends à de grands résultats de mon mouvement, qui va jeter un grand désordre et une grande confusion sur les divisions de l'ennemi et sur son quartier général, s'il est encore à Troyes. »

2. Correspondance. Saint-Dizier, 23 mars 1814. Note dictée au duc de Bassano. Le même jour, il mandait au maréchal Ney: « Ayant reçu avis que l'empereur Alexandre a couché à Montierender, je me rends à Saint-Dizier, parce que je suppose que c'est sur ce point qu'il veut nous attaquer et nous couper le chemin, d'autant plus que les pertes considérables qu'il a faites avant-hier et les coureurs que nous avons déjà à Joinville l'attireront probablement sur ce point. »>

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