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celui de Kameroun. D'autres ordonnances ont trait aux droits de sortie et à la police maritime.

Ces décisions, qui devaient être soumises à l'approbation du chancelier et du syndicat de l'Afrique occidentale, se sont trouvées confirmées par une ordonnance de l'empereur du 29 juillet 1886', rendue en vertu de la loi du 17 avril 1886. Elle investit le gouverneur de Kameroun, le commissaire du Togo et celui d'Angra-Pequeña du droit de rendre des ordonnances en matière d'administration générale, de douanes et d'impôts, sauf rapport au chancelier qui peut les annuler; elle détermine leur mode de publication, et permet aux individus condamnés en vertu de ces ordonnances d'en appeler au chancelier, sans ce que ce recours ait d'effet suspensif, sauf décision contraire du gouverneur. Une loi récente a fixé les traitements et retraites des fonctionnaires coloniaux 2. — Un bureau de poste vient d'être créé à Kameroun (juin 1887).

La loi du 17 avril 1886 a introduit dans les colonies le droit pénal et civil de l'empire, mais ce régime ne paraît pas être définitif. Le 6 mai dernier l'assemblée générale du Kolonialverein tenue à Dresde, a voté un vœu demandant l'abrogation de cet article de la loi3. On s'est plaint en outre dans divers journaux que Kameroun, qui ne devait être qu'un protectorat sous la direction des négociants allemands, soit devenu une colonie absolument dépendante de l'empire, et que le gouverneur y ait pris une autorité contraire au principes administratifs adoptés, à Friedrichsruhe et opposés avec satisfaction à ceux de la politique française par le chancelier dans son discours du 2 mars 1885 au Reichstag. Quelques auteurs conseillent la création d'une compagnie privilégiée. Enfin un nouveau projet de loi d'administration coloniale vient d'être soumis au conseil fédéral'.

Il semble donc qu'après avoir affirmé leur volonté et leur pouvoir d'être, dès les premiers pas des administrateurs méthodiques, pratiques, expérimentés, les Allemands aient, eux aussi, à apprendre leur métier de colonisateurs.

1. Col. Zeit., 1886, p. 481. 2. Col. Zeit., 1887, p. 321. 3. Col. Zeit., 1887, p. 34. 4. Col. Zeit., 1887, p. 360.

M. GAUDEFROY-DEMOMBYNES.

LA

DÉCOUVERTE DU CANADA

PAR LES FRANÇAIS

VERRAZANO, JACQUES CARTIER, ROBERVAL

(SUITE)

VI

Pendant ce temps que devenait Roberval, et pourquoi ne rejoignait-il pas son lieutenant? Roberval avait grand' peine à recruter ses équipages. Même parmi les condamnés, bien peu se souciaient d'échanger les incommodités de leur prison contre la probabilité d'une mort prochaine au Canada. En vain son lieutenant Senneterre parcourait-il les geôles du royaume. Ses promesses ne décidaient personne. Roberval lui-même était obligé de s'occuper de ce pénible recrutement. On a conservé un document en date du 1er mars 1542, qui le montre comparaissant à cette époque devant le parlement de Rouen afin de réclamer certains criminels, qui devaient faire partie de l'expédition. On a conservé dans les archives du parlement de Rouen une lettre du chancelier Poyet, en date du 10 juillet 1541, où il est dit « que le roi trouvoit bien estrange que ledit Roberval n'estoit encore parti ». Enfin il réussit à rassembler ses équipages, et partit de Honfleur le 22 août 1542. D'après la relation de Hakluyt, il serait parti de La Rochelle le 16 août 1542; rien ne s'oppose en effet à ce qu'il ait quitté à cette époque le port de La Rochelle, mais c'était pour se rendre à Honfleur, et c'est de Honfleur que partit l'escadre. On a une lettre de Roberval, datée de Honfleur le 18 août 1547, et dans laquelle il annonce son départ dans quatre jours. Il avait trois grands vaisseaux et menait avec lui environ deux cents colons, hommes, femmes et enfants. Il avait pour pilote Jean Alfonse surnommé le Saintongeois, pour lieutenant de Senneterre et pour enseigne Guinecour. Roberval avait écrit la relation détaillée de ce voyage; elle est aujourd'hui perdue. On ne la connaît que par quelques extraits insérés dans le Recueil de Hakluyt, et par l'analyse de Lescarbot dans son Histoire de la Nouvelle France. Quant au pilote en chef de l'expédition, Jean Alfonse, on a de lui

les Voyages avantureux, mais avec très peu de renseignements sur l'expédition de Roberval.

Assailli par des vents contraires qui le forcèrent de relâcher à Belle-Isle, à l'embouchure de la Loire, Roberval reprit la mer et le 8 juin mouillait dans la rade de Saint-Jean à Terre-Neuve. Il y trouvait dix-sept navires de pêche, ce qui prouve que les Français fréquentaient de plus en plus ces parages. Il y rencontrait aussi Jacques Cartier et lui ordonnait de rentrer avec lui au Canada, mais le capitaine malouin, froissé sans doute par la longue indifférence dont il avait été la victime, partit secrètement, la nuit suivante, pour se rendre en Bretagne. Si nous avions la suite perdue de sa relation, nous y trouverions sans doute des explications motivées sur ce retour subit. Roberval, que ce départ mettait dans l'embarras, accusa Cartier et les siens de s'être enfuis par vaine gloire, voulant avoir eux seuls tout l'honneur des découvertes qu'ils venaient de faire; mais la crainte des sauvages, alléguée par Cartier comme motif de son retour en France, n'était peut-être pas chimérique. D'ailleurs il était fatigué de lutter depuis si longtemps, et toujours abandonné à ses seules forces, contre les difficultés d'une entreprise naissante. C'est ce qui explique sans doute ce départ précipité. Au moins le voyage de retour fut-il heureux. Dès le mois d'octobre 1542 Cartier était revenu à Saint-Malo, car il y tint sur les fonts baptismaux, le 21 du même mois, la fille du lieutenant gouverneur de la ville.

Pendant ce temps Roberval continuait à voguer vers le Canada. Il arriva bientôt à l'embouchure du Saint-Laurent qu'il remonta. En juillet 1542 il débarquait à Charlesbourg-Royal et faisait porter à terre ses provisions et ses munitions de guerre. Il logea une partie de son monde dans les bâtiments construits par Jacques Cartier, plaça les autres dans un petit fort bâti au pied de la hauteur, et, dès le 14 septembre, fit partir pour la France deux de ses bâtiments, qui devaient avertir le roi de l'issue du voyage et revenir chargés de vivres pour l'année suivante. Ces mesures de précaution n'étaient que trop légitimes, car, après le départ des vaisseaux, Roberval ayant ordonné de dresser l'inventaire des provisions: elles furent jugées tellement insuffisantes qu'il se vit contraint de fixer à chacun sa ration quotidienne. Et encore les jours maigres, c'est-à-dire trois fois par semaine, les mercredis, vendredis et samedis, se procurait-on sur place du poisson, des aloses, des marsouins, et même se contentait-on de morue sèche.

REVUE DE GÉOGR.

SEPTEMBRE 1887.

13

On se demande pourquoi Roberval et ses compagnons n'ont pas essayé de tirer parti de la fécondité et des inépuisables richesses du sol canadien. Que des gentilshommes n'aient pas cru devoir courber leur front sur la terre, on le comprend à la rigueur, surtout si l'on tient compte des préjugés de l'époque; mais tout le monde. n'appartenait pas, à Charlesbourg-Royal, aux premiers rangs de la société. Il y avait parmi les colons des ouvriers, des matelots, de simples soldats, des condamnés, et eux aussi mouraient de faim par leur faute. En quittant sa patrie pour s'établir au nouveau monde, tout Européen croyait alors pour ainsi dire monter en dignité, et, du haut de son orgueil, rougissait des travaux dont il s'honorait dans son pays. En outre la fièvre de l'or avait grisé tout le monde. Un contemporain, Lescarbot, a naïvement décrit cette singulière erreur économique, qui amena tant de désastres au XVIe siècle. «S'ils ont eu de la famine, écrit-il, il y a eu de la grande faute de leur part de n'avoir nullement cultivé la terre, laquelle ils avoient trouvée descouverte. Ce qui est au préalable de faire avant toute chose, å qui veut s'aller pescher si loin de secours. Mais les Français et presque toutes les nations du jourd'hui ont ceste mauvaise nature qu'ils estiment déroger beaucoup à leur qualité de s'adonner à la culture de la terre, qui néantmoins est à peu près la seule vaccation où réside l'innocence de là vient que chacun, fuiant ce noble travail, cherche à se faire gentilhomme aux dépens d'autrui; on veut appendre tant seulement le métier de tromper les hommes, ou se gratter au soleil. » La conséquence de cette erreur fut déplorable pour les premiers colons canadiens. La maladie qui s'était déclarée six ans auparavant parmi les hommes de Cartier, le scorbut, éclata parmi ceux de Roberval et exerça de si grands ravages que cinquante d'entre eux, à peu près le quart de l'effectif, en moururent.

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La colonie d'ailleurs était mal recrutée et portait dans son sein les germes d'un mal qui l'exposait à une prompte dissolution. On sait que François I", à défaut des volontaires qui ne se présentaient pas, avait permis à Roberval de faire sortir de prison tous les condamnés à mort qui voudraient bien le suivre au Canada. Il est probable que, parmi les deux cents colons qu'il menait avec lui, Roberval avait choisi ceux que leur bonne santé ou leurs aptitudes au travail désignaient à ses préférences. Or de pareils colons ne devaient pas, du jour au lendemain, changer brusquement de caractère, et donner l'exemple des vertus. Ils devaient surtout être bien incapables

d'attirer par leur bonne conduite et leur moralité les Canadiens au christianisme. Roberval fut à diverses reprises obligé de sévir. Thevet l'accuse quelque part de s'être montré trop sévère : « Si quelqu'un défaillait, écrit-il dans un ouvrage encore manuscrit, le Grand Insulaire, soigneusement il le fesoit punir. En vingt jours, il en fit pendre six, encore qu'ils fussent de ses favoris, entre autres un nommé Galloys, puis lehan de Nantes. Il y en eut d'autres qu'il fit exiler ayant les fers aux pieds pour avoir été trouvés en larcin d'objets qui vaudraient cinq sols tournois, d'autres furent fustigés pour le mesme fait, tant hommes que femmes, pour s'estre simplement battus et injuriés. » Il se peut en effet que Roberval se soit parfois montré sévère, mais ils probable que, dans cette société plus que mêlée, il était obligé de maintenir à tout prix le bon ordre, même en exagérant la discipline. Nous ne saurions lui en faire un reproche.

Aussi bien le mauvais exemple partait d'en haut. Son prope lieutenant, Auxhillon de Senneterre, se prit un jour de querelle, sous un futile motif, avec un matelot, un certain Nicolas Barbot, et le poignarda. Ses amis voulurent le défendre, et, dans le tumulte qui s'éleva, deux matelots furent tués. Roberval était obligé de condamner les coupables. Il ne manqua pas à son devoir; seulement, en vertu de ses pouvoirs spéciaux, « aussi eu égard que ledict suppliant a faict ce en ferveur et bon zèle du service du Roy, et pour éviter l'éminent péril auquel il se voyoit pour lagression et rebellion surdictes », il lui donna des lettres de grâce, en date du 9 septembre 1542. Il est vrai que pour éviter le retour de pareilles scènes, et sans doute aussi pour se débarrasser d'un lieutenant dont il redoutait ou l'incapacité ou le mauvais caractère, il se hâta de le renvoyer en France. Ce fut en effet Auxhillon de Senneterre qui fut chargé de conduire à La Rochelle et de désarmer les deux navires, que Roberval ne voulut pas garder au Canada (Lettre de Roberval, en date du 11 septembre 1542).

Dans sa propre famille Roberval était fort mal obéi. Il avait mené de France avec lui une de ses parentes, une jeune fille, sa nièce ou sa cousine, nommée Marguerite de Roberval. Un gentilhomme amoureux de Marguerite s'était embarqué sur le mème navire, et de connivence avec une vieille servante nommée Damienne ou Bastienne, obtint de fréquents rendez-vous. Outré de fureur quand il apprit cette coupable conduite, Roberval abandonna sa parente

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