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MOUVEMENT GÉOGRAPHIQUE

Le mouvement géographique en Russie. - Relations de l'Inde et du Thibet. - Troubles dans l'Afghanistan. La situation de l'Afrique australe. Expédition de Stanley pour secourir Emin-bey. Soumission du Cayor. Mort de Lat-Dior et d'Ely,

roi des Trarzas. M. Paul Bert et les chrétiens du Tonkin et de l'Annam. Les missions catholiques françaises en Chine. Leur rôle scientifique et leur utilité politique. M. Emilio Castelar à la Société de géographie commerciale.

I

On va établir à l'île de Sakhalien une ligne télégraphique joignant le cap Crillon, d'où elle sera prolongée, à travers le détroit de La Pérouse, jusqu'au Japon: ce sera la troisième voie de communication électrique entre ce pays et le continent asiatique.

M. Tchersky, ancien exilé politique en Sibérie, vient de publier à Saint-Pétersbourg sa carte géologique des bords du lac Baïkal, accompagnée du texte explicatif, sous forme de brochure. C'est un excellent travail qui complète les études physico-géographiques sur le même lac, faites par deux savants compatriotes de l'auteur, MM. Dybovsky et Godlevsky, autrefois également exilés, à présent professeurs en Pologne. On peut dire maintenant que le Baïkal est le mieux exploré de tous les lacs asiatiques, grâce aux travaux des trois voyageurs susnommés, de Raddé et d'une foule d'autres géodésiens, topographes et ingénieurs russes. Sa faune et sa flore sont aussi bien connues.

MM. Potanine, Scassy et Bérésowsky sont de retour de leur expédition en Chine et en Mongolie; ils ont rapporté d'immenses collections zoologiques, botaniques et ethnographiques, ainsi que les cartes des pays qu'ils ont parcourus pendant trois ans (1884-86).

M. Prejévalsky, qui a passé l'été de 1886 à la campagne, pour se reposer des fatigues de son voyage, est récemment revenu à SaintPétersbourg pour y commencer la publication des résultats de sa mémorable expédition. Plusieurs savants, membres de l'Académie des sciences et autres, s'occupent de la description des produits naturels qu'il a rapportés des déserts de la Mongolie et des montagnes du Thibet. On suppose que les frais de publication des résultats scientifiques dus à M. Prejévalsky dépasseront 80 000 francs.

Un chapitre de sa relation paraîtra bientôt dans un journal russe, à titre d'essai.

M. Krasnoff, de retour à Saint-Pétersbourg de son voyage au Thian-chan et dans le Turkestan chinois et russe, a exposé devant la Société de Géographie de Russie un excellent aperçu physicogéographique du bassin de Balkhach. Botaniste de profession, cel jeune voyageur possède de vastes connaissances sur tout ce qui concerne l'histoire naturelle et la physique du globe; il a en outre de larges vues sur l'ensemble des faits observés par lui dans l'Asie centrale et un vrai talent d'orateur. La Société de Géographie de Russie a été charmée par sa conférence.

La construction du chemin de fer transcaspien se poursuit maintenant dans les limites du Boukhara. Le gouverneur de Tchardjoui y donne tous ses soins : il a mis à la disposition des ingénieurs russes plus d'ouvriers qu'il n'en fallait (7000), peut-être parce qu'on les paye bien, contrairement aux habitudes boukhariennes. Plus de 600 000 kilogrammes de marchandise, provenant de Boukhara et même de Khokand, sont déjà emmagasinés à Tchardjoui, en attendant l'ouverture de la circulation jusqu'à Merw.

M. Yadrintzoff, se basant sur ses propres recherches concernant le desséchement des lacs en Sibérie et sur le mémoire que j'ai publié dans la Revue de Géographie, au mois de juillet 1886, a présenté à la Société géographique de Russie, un rapport sur la nécessité des investigations approfondies du sujet qui nous occupe tous deux. La Société a nommé une commission composée de MM. Stebnitzky, Tillo, Mouchkétoff et Schmidt pour arrêter le programme de ces investigations. On peut donc prévoir l'envoi d'une expédition spécialement chargée d'étudier sur place le desséchement des lacs asiatiques.

Dans la Russie d'Europe, M. Paul Venukoff vient de publier le second volume de son important ouvrage sur le système dévonien en ce pays. Ce volume, qui a déjà attiré l'attention des spécialistes, contient la description des fossiles, notamment des animaux invertébrés. Une étude sur les poissons viendra bientôt.

II

M. VENUKOFFf.

On se souvient de la convention passée par l'Angleterre avec la Chine relativement à la Birmanie. Parmi les clauses de ce traité,

très onéreux pour le gouvernement britannique, il en était une par laquelle le cabinet de Londres s'engageait à ne pas envoyer à Lhassa la mission déjà réunie à Darjeeling sous le commandement de M. Macaulay et chargée de proposer directement au Dalaï Lama l'ouverture de relations commerciales entre l'Inde et le Thibet. La nouvelle de l'arrivée d'une expédition européenne, composée d'un grand nombre de savants et de fonctionnaires et accompagnée d'une escorte imposante, avait provoqué chez les Thibétains une agitation incontestable: les habitants se souvenaient qu'une ancienne tradition prédit l'envahissement de leur pays par le Bengale, et les moines de Lhassa sont d'ailleurs hostiles à toute relation commerciale avec l'Inde, qui les forcerait à sortir de leur politique d'isolement systématique. Mais le gouvernement de Sa Majesté a payé bien cher la reconnaissance des droits qu'il s'attribue sur la Birmanie; non seulement il a consenti à admettre les droits supérieurs de l'Empire du Milieu, il a eu la prudence de renoncer à l'expédition projetée au Thibet, et il a fait ce pas en arrière, sous la pression des diplomates chinois, avec tant de précipitation que les Thibétains se sont crus très redoutables et ont eu l'insolence d'envahir l'État de Sikkim, tributaire de la reine, d'y construire plusieurs forts et d'occuper, à quelques journées de Darjeeling une route que les ingénieurs britanniques avaient tracé vers le col de Jelapla.

Sur une autre frontière de son empire indien, l'Angleterre n'est pas non plus sans inquiétude. Les clans des Ghilzais, peuplade habitant près de Caboul, sont en pleine révolte contre l'émir de l'Afghanistan, et la défection se serait mise dans l'armée d'Abdurrahman. C'est que l'alliance anglaise est odieuse à ces montagnards, qui n'ont point perdu le souvenir de leurs luttes contre les troupes britanniques. L'armée indienne peut difficilement venir en aide à l'émir, et sa présence surexciterait contre l'allié des Anglais le sentiment national. Il n'est cependant pas douteux que la chute d'Abdurrahman et son remplacement par un prince hostile aux Anglais mettraient la Russie aux portes de l'Inde. Ainsi qu'on l'a dit, « cette éventualité, si elle n'est que possible, est fort menaçante; le fait même qu'elle se présente au moindre trouble en Afghanistan montre sur quelle base fragile repose la sécurité de l'Angleterre en Orient. »

Dans l'Afrique australe, d'autres embarras encore gênent l'action de l'Angleterre. Les Boërs, malgré les réclamations de la colonie

de Natal, ont occupé une partie du pays des Zoulous. Le gouvernement anglais a consenti à leur céder la partie occidentale de cette région, mais a placé sous son protectorat la partie orientale. Dans le parlement du Cap, le parti des colons d'origine batave est tout à fait prépondérant et fait passer les lois qu'il lui plaît. Ce parti est sourd aux plaintes des Zoulous maltraités par les Boërs et réfugiés dans le Natal. Il a aboli, pour favoriser les fermiers, qui sont pour la plupart bouilleurs de cru, le droit d'un shelling par gallon sur l'eau-de-vie; il a fait disparaître tous les obstacles à la vente des spiritueux dans le territoire du Transkei, habité par des populations sauvages, chez lesquelles ces liqueurs exercent de grands

ravages.

Mais la situation économique des républiques boërs est loin d'être brillante par suite de la construction des chemins de fer allant du Cap et de Port-Elisabeth à Kimberley, aux frontières de l'État voisin d'Orange, les produits des colonies anglaises ont envahi les anciens marchés du Transvaal. Le Volksrat a même dû édicter un tarif douanier fort élevé pour défendre le territoire douanier de la république contre l'importation étrangère.

On se souvient des événements à la suite desquels l'indépendance des républiques des colons hollandais a été reconnue. Le Transvaal a en France un ministre résident. Le 3 août dernier, le Volksrat a ratifié les traités d'amitié et de commerce conclus avec la France et la Suisse par ce ministre, M. Beelaerts van Blokland. De bonnes relations sont entretenues par le gouvernement de Pretoria avec la république du fleuve Orange celle-ci a néanmoins refusé de s'unir à l'autre État.

III

Les échecs de la politique anglaise dans le Soudan ont eu de bien tristes résultats pour la science géographique. Un explorateur éminent, dont les Mittheilungen de Petermann ont publié à diverses reprises des études fort attachantes, Emin-Bey (D' Schnitzler), est, comme on le sait, bloqué dans l'Afrique centrale par les bordes mahdistes. Si l'Angleterre le lui avait permis, l'illustre et malheureux Gordon eût pu se replier en 1884 sur la province Équatoriale et s'y maintenir, comme l'a fait son digne lieutenant. Un article de la Fortnightly Review a récemment raconté la vie d'Emin-Bey. M. Wills a rappelé son intelligence, son énergie, son humanité. Il parle au

moins cinq langues, le français, l'italien, l'anglais, l'allemand, le turc. Depuis 1878, il est délégué au gouvernement de la province Équatoriale, contiguë vers le sud au pays des lacs et vers le nord au Bahr-el-Ghazal, autrefois domaine de Ziber-Pacha, puis gouvernement de Romolo Gessi. La province d'Emin se trouvera un jour en relations avec les postes les plus orientaux du Congo. Depuis près de quatre ans, elle n'est plus en communication avec la vallée inférieure du Nil. Emin y a établi l'ordre et la sécurité, il s'est fait aimer des habitants en les défendant contre les marchands d'esclaves. Une discipline sévère régnait dans son armée composée de noirs et commandée par des officiers nubiens et égyptiens. En 1882, après quatre ans d'administration, il pouvait montrer un budget présentant un excédent de 200 000 francs. Attaqué par les mahdistes et les marchands d'esclaves, il leur a infligé en 1885 une sanglante défaite. Depuis, il a été attaqué, comme nous l'avons dit il y a un mois par le roi de l'Ouganda, qui a battu son allié le roi d'Unyoro; mais l'énergique gouverneur de Wadelaï a encore son armée et n'a besoin que de munitions. M. Thomson, dont nous avons déjà raconté l'expédition, s'est entendu avec Stanley; et le gouvernement anglais s'est décidé à organiser sous ses ordres une caravane chargée de porter à Emin-Bey des cartouches, des armes, des conserves. Cette expédition, qui coûtera probablement plus de 7 500 000 francs, aura un caractère pacifique, mais elle pourra mettre en état Emin-Bey non seulement de se maintenir dans sa province, mais peut-être de faire régner l'ordre et la paix dans les riches contrées voisines. Nous ne pouvons qu'avoir intérêt à ce qu'un tel résultat soit atteint, surtout si nous nous souvenons des dangers auxquels la férocité de Mwanga, roi de l'Ouganda, expose nos missionnaires. Stanley compte se diriger par la route du Tanganyka et gagner de là l'Albert Nyanza à travers les contrées habitées par les populations pastorales qui l'ont si bien accueilli il y a neuf ans.

Les stations du haut Congo ont été attaquées, elles aussi, par des peuples barbares, inquiets de voir s'avancer vers eux la civilisation qui fera disparaître la traite des esclaves, l'anthropophagie. De graves nouvelles ont été répandues sur la situation des postes de l'État libre du Congo.

La France n'a pas été sans éprouver elle-même quelques difficultés. Elle vient heureusement d'être débarrassée d'un de ses en

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