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recherches sur l'ethnographie des peuples asiatiques, notamment le premier sur les tribus de race turque et le second sur les Mongols bouddhistes.

M. VENUKOFF.

VII

Nos lecteurs nous sauront gré de leur présenter, à la suite du Mouvement géographique, le résumé méthodique de la campagne que nous poursuivons depuis dix années.

Ce n'est point en effet sans plan de campagne » que nous sommes parti, comme on pourra s'en convaincre en relisant notre essai sur la Transformation de la méthode des sciences politiques par les études géographiques, placé en tête du premier numéro de la Revue de Géographie (janvier 1877).

1° Nous avons réclamé les Institutions géographiques nécessaires (titre de notre conférence au cercle Saint-Simon, 1884). Pour nous, ces institutions sont, outre l'École de géographie, une section de géographie à l'Académie des sciences morales et politiques, une section de géographie au comité et au congrès des sociétés savantes, une agrégation spéciale de géographie1. La première et la seconde existaient au début de ce siècle; il s'agit de les faire revivre. La troisième nous a été accordée en 1886. La quatrième, dont M. Deloche a entretenu l'Institut, semble aujourd'hui prévue et approuvée par la Faculté des lettres de Paris. C'est pour nous une grande satisfaction d'avoir vu ranger par le public, au nombre des « institutions géographiques nécessaires », nos propres créations, la Revue de Géographie et la Société de Topographie de France. Toutes les Sociétés françaises de géographie, depuis celle de Paris, leur aînée, jusqu'à celle de Toulon, nouvellement éclose, ont trouvé en nous un ami dévoué; mais nous avons protesté quand nous avons pensé que le « congrès national » allait dévier du but que son promoteur3 lui avait assigné. Nous avons applaudi à l'érection ou à la promesse de nouvelies chaires de Faculté, tant en province qu'à Paris même.

2° Nous nous sommes également efforcé de donner une « consti

2.

1. Dès 1877, le second et le troisième point figuraient dans notre programme. Nous avons certainement besoin de professeurs spéciaux de géographie. »> 3. M. Foncin, inspecteur général de l'instruction publique et secrétaire général de de l'Alliance française.

tution à la science géographique. De là, entre autres travaux sur cette matière, notre essai : Que la Géographie est une science grâce à la Topographie (1885). Nous avons lutte contre les tendances << séparatistes des sciences dites géographiques, si dommageables au prestige et à l'influence légitime de la géographie.

3° Nous avons cherché à déterminer la place qui est due, dans les études libérales, à la géographie, que l'on a voulu parfois confiner dans l'enseignement spécial. Tel est le sens et telle la portée de notre travail : La Géographie et les Humanités (1886).

4o D'autre part la colonisation et le commerce nous apparaissaient comme le but immédiat des études géographiques. On sait que nous faisons partie du conseil de la Société de géographie commerciale de Paris, aujourd'hui si prospère. Cela ne suffirait-il pas à montrer notre dévouement à cette grande cause économique? Bien plus, quand on nous a proposé le titre : École de géographie appliquée au commerce et à la colonisation, nous l'avons adopté sans hésiter.

5° Nous avions appris que la topographie seule peut donner ce que j'appellerai le sens et le secret de la défense de la patrie. Voilà pourquoi je n'ai cessé d'encourager ces excursions topographiques qui nous font mieux connaître et mieux aimer la France par la vue incessante de ce sol national dont la géographie classique faisait abstraction avec un étrange entêtement. Que l'on se réfère à notre Plan de réforme de l'enseignement géographique et à notre Programme de promenades géologiques, topographiques et historiques (1880).

6° La géographie, scientifiquement et j'ajoute humainement entendue, nous est apparue comme le fondement des sciences politiques, et, pour parler plus brièvement, de la politique dépouillée de tout esprit de parti. Les centenaires de Colbert et de Louis XI, et surtout celui de Richelieu, nous ont fourni l'occasion de nous expliquer à cet égard (voir le Sens géographique du cardinal de Richelieu, 1885). Nous renvoyons également à notre étude sur l'Égypte, l'Islamisme et les puissances européennes (1882).

7° Mais c'est surtout comme professeur d'histoire que nous songions à la géographie. Nous avons en effet l'honneur d'enseigner l'histoire depuis un quart de siècle (1862-1887), et nous étions frappé de l'insuffisance de bien des explications historiques, même après les efforts les plus consciencieux et les plus heureux de l'éru

dition contemporaine. Nos Applications de la géographie à l'étude de l'histoire, qui s'inspiraient des rares mais probants exemples des Humboldt et des Élie de Beaumont, ont, qu'on nous permette de le dire, ouvert à l'enseignement de l'histoire une voie quelque peu nouvelle, et, nous l'espérons, féconde. Remise en contact avec la nature dont elle est pour nous l'expression la plus élevée, la plus intéressante, la plus vivante, l'histoire a pris, grâce à la géographie, un caractère tout objectif. La géographie permet à l'histoire d'être à la fois concise et précise. Nous renvoyons à notre Constitution de Carthage (1882), à notre récente interprétation de Jeanne d'Arc par la géographie (1884-1886) et à notre prochain Diagnostic topographique de Napoléon.

Mais nos collaborateurs ont fait mieux que nous. Qu'on se donne la peine de revoir les vingt volumes qu'a publiés la Revue de Géographie, à laquelle nous reportons tout le mérite de cette campagne de dix ans.

LUDOVIC DRAPEYRON.

OBSERVATIONS

SUR UN

ARTICLE DU DIRECTEUR DE LA «REVUE DE GÉOGRAPHIE »

RELATIF

A MES TRAVAUX TOPONYMIQUES

En priant le directeur de la Revue de Géographie de me permettre de présenter quelques observations sur ses judicieuses remarques à propos de mes travaux1, j'hésite presque sur les termes avec lesquels je dois lui exprimer mes remerciements pour les inestimables conseils que j'ai reçus de lui depuis que j'ai eu l'honneur de faire sa connaissance à Paris. Je ne suis qu'un tout petit négociant, et l'exposition de mes sujets se ressent toujours de mon inexpérience à les présenter: je ne lui en témoigne que davantage ma reconnaissance pour avoir bien voulu me garder des écueils sur lesquels j'aurais peut-être sombré.

Mon ouvrage sur l'Origine des nations et des langages de l'Ouest sortait des chemins battus par ceux qui ont traité les mêmes sujets et présentait la linguistique, la géographie et l'histoire des peuples celtiques et ibères d'une façon. nouvelle; il devait soulever des tempètes et m'exposer aux plus sévères châtiments. Tout cela est arrivé. Mais mon ouvrage contenait beaucoup de vérités, aussi les orages ont cessé, nous sommes presque au beau temps.

Je me suis servi d'un terme peut-être imprudent pour qualifier la géographie antique je l'ai appelée phénicienne, je m'y croyais fondé parce que je l'ai trouvée partout où le grand peuple phénicien a passé. Mais, en y réfléchissant, et sur les représentations pleines de justesse et de vérité de MM. L. Drapeyron et Bergues-Lagarde, constatant que la nomenclature qui s'y rapporte a précédé de plusieurs milliers d'années les voyages des mariniers de Tyr et d'Acabah (Azion-Gaber), je préfère l'appellation générale de peuples primitifs » de M. Drapeyron à la mienne et je la substitue de grand cœur ; je le fais d'autant plus volontiers que j'écrivais il y a quelques jours, dans une de mes communications à notre cher et savant président de l'Académie de la province, M. BerguesLagarde «Puis-je maintenant suggérer que la toponymie que je présente doit remonter à une époque excessivement reculée ? Les Espagnols l'ont trouvée au Mexique et au Pérou, les Portugais l'ont trouvée au Brésil et les Français l'ont rouvée au Canada. Les Romains l'ont trouvée en Espagne, dans la Gaule, en

1. Qu'on se refère à l'article de M. Drapeyron, à ses éloges comme à ses critiques. Livraison d'octobre 1886, p. 316-319.

Germanie et dans les îles Britanniques; Hérodote l'a trouvée dans la haute Égygte, Darius l'a trouvée en Ukraine et dans les Carpathes. Cyrus l'a trouvée sur l'Araxes (Syr Daria), en Mysie, Lydie, Carie et Lycie. Pul l'a trouvée en Cappadoce, en Syrie et en Palestine. Sésostris l'a trouvée en Colchide et sur les bords de l'Atlantique. Sémiramis l'a trouvée dans l'Inde. Moïse et Josué l'ont trouvée sur le Jourdain. Abraham l'a trouvée en Égypte, elle décrit les pâturages d'Ur où il était né. Elle était au pays d'Éden avec Adam. Grant, Livingstone et Stanley l'ont trouvée dans le cœur même de l'Afrique. Quel est son âge et quelle est son origine? Qui le dira? Qu'on mesure le temps qu'il a fallu pour étendre cette toponymie d'un bout de la terre à l'autre ! »

M. Drapeyron observant avec beaucoup de justesse que j'aurais dû annoncer que la toponymie de toutes les nations modernes était « non descriptive >> comme celle des Romains et des Perso-Mèdes, j'ai l'honneur de lui exposer que cela est déjà fait et que j'ai dit ce qui suit dans le Manchester Scholastic Journal, du 19 juin 1884: « Les cartes géographiques devraient fournir tous les renseignements désirables. On ne saurait dire que les nôtres le font et on ne sait pas généralement que les cartes antiques le faisaient. Si la chose m'était permise, je dirais que la géographie moderne est basée sur la loi du plus fort et que les États qui empiètent sur leurs voisins y constituent des jalons. En ceci les nations modernes imitent les Perso-Mèdes et les Romains. »

Du plus profond de mon cœur je remercie M. Drapeyron d'avoir mis dans sa Revue ce que je ne cesse de dire depuis sept ans, à savoir « qu'on ne permette plus que les noms de lieux soient donnés pour flatter la vanité ou simplement pour perpétuer des souvenirs. » Je suis heureux qu'il ait annoncé à ses amis qu'il y a un accord incontestable entre la toponymie primitive et la topographic. Là est le grand but de la géographie antique. Là sont les utiles leçons qui profiteront à nos enfants. Là sont les bases d'une colonisation intelligente. Il est impossible que le travail colossal qui nous permet aujourd'hui de reconnaitre par leur toponymie les meilleurs terroirs de l'univers ait été l'effet du hasard. Le hasard ne sert pas l'homme d'une manière universelle. Qu'on dégage les industries encombrées de tous les pays et qu'on dirige sur des points salubres et fertiles les bras qui n'ont plus d'occupation et l'on formera ainsi des colonies modèles, qui, augmentant toujours en nombre et en bien-être, deviendront d'excellents clients pour la mère patrie. Dans la toponymie primitive ont été les sources de la grande prospérité des colonies antiques qui furent envoyées des Phéniciens de l'Asie sur l'Afrique, l'Espagne et autres pays. Trouvons-en les leçons et appliquons-les.

En vérité, je n'ai jamais dit que la toponymie primitive décrivait les pays et localités de la manière la plus minutieuse, ni qu'elle rendait inutiles nos belles cartes d'état-major. Où est l'homme d'étude qui supprimera un travail intelligent? Mais j'ai avancé que la nomenclature géographique antique offre partout les traits les plus saillants de la topographie des pays. Si l'on en doute, qu'on examine s'il n'en est pas ainsi. Il serait impertinent de ma part de conseiller qu'on laisse de côté nos belles cartes d'état-major, et j'ajoute sans crainte de me tromper que la toponymie primitive est la digne compagne et émule de la carte intelligente.

Je supplie M. Drapeyron de considérer que les monosyllables celtiques et

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