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Et les grans richesces peschant,

qu'on trouve ainsi dans les autres imprimés:

Et les grandes richesses peschent.

L'e muet de peschent avait permis à l'éditeur de mettre grandes, en changeant peschant en peschent, pour conserver la mesure du vers.

Qu'on me permette de faire remarquer, à l'occasion de cet exemple, que ce n'est pas en corrompant la langue que nous employons encore parfois l'adjectif grand sans e muet devant quelques substantifs féminins; au contraire, c'est en conservant l'ancienne règle que nous disons, grand mère, grand messe, grand chambre, grand chère, grand pitié, etc.

Les grammairiens ne devraient donc pas attacher à cet adjectif ainsi employé le signe qui annonce une élision qui n'a jamais pu exister.

En examinant le texte de la nouvelle édition, il me serait facile de faire une série de remarques qui réunirait toutes les règles de la grammaire du temps; il suffit d'avoir démontré, d'une manière évidente et irrécusable, l'existence et l'observation de quelques-unes de ces règles, qui ne laissent aucun doute sur la vérité d'un système grammatical qui, dans la suite, a été entièrement méconnu et malheureusement changé. Je terminerai cette discussion par cette dernière remarque: Au vers 18327 de la nouvelle édition, on lit, conformément aux

anciens manuscrits:

Car riens ne jure ne ne ment

De fame plus hardiement.

Ce de a embarrassé les copistes et les éditeurs, et ils ont ainsi arrangé le vers où il se trouve:

Car riens ne jure ne ne ment

Com femme, ne plus hardiement.

Ce de est pour que.

Après les divers termes de comparaison, la langue romane primitive employait indifféremment le que ou le de qui était le signe du génitif; cette dernière forme était imitée de la langue grecque.

Ainsi un troubadour disait de sa dame:

Que flors de roser, quan nais,

Non es plus fresca de lei. (Raimond de Miraval.)

Que fleur de rosier, quand elle naît,

N'est pas plus fraîche de elle;

C'est-à-dire qu'elle.

Le vers,

De fame plus hardiement,

signifie donc

Que fame plus hardiement.

La digression grammaticale dont l'édition nouvelle m'a fourni l'occasion, prouvera peut-être combien le travail de M. Méon mérite notre reconnaissance : en mon particulier, je le remercie de m'avoir préparé l'occasion de faire connaître une partie des règles de la grammaire française aux xir et x siècles. On ne rend pas assez de justice aux soins laborieux des érudits qui appliquent leur zèle et leur assiduité à compulser les anciens manuscrits pour nous procurer des textes purs; et j'aime à dire de ces érudits ce que La Motte a dit des anciens :

Leurs travaux ont tiré des mines

L'or que nos mains doivent polir;
Ils ont arraché les épines

Des fleurs qui restent à cueillir.

J'aurais reproché au nouvel éditeur de n'avoir pas donné la liste des nombreux manuscrits qu'il a eu occasion de consulter, si, par des renseignements que je me suis procurés, je n'avais le moyen de suppléer à son silence (1).

Je ne dirai rien des différentes poésies qui sont imprimées à la suite

(1) Voici la liste des principaux manuscrits consultés par M. Méon :

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du roman de la Rose; j'ai préféré d'appliquer toutes mes observations à cet ouvrage principal.

En terminant cet article, me sera-t-il permis d'exprimer de justes regrets sur la perte immense et irréparable que la destruction ou le déplacement d'un très-grand nombre de manuscrits a occasionnée durant les agitations politiques de la France? Ne serait-il pas digne de la sagesse d'un gouvernement essentiellement réparateur de prendre des mesures pour obtenir de chaque département une liste exacte des manuscrits épars et négligés, soit dans les bibliothèques ou autres dépôts publics, soit même dans les cabinets des particuliers qui consentiraient à les faire connaître ?

De tous ces inventaires partiels, on formerait à Paris un catalogue général qui, dans l'occasion, faciliterait le moyen d'user de ces manuscrits pour donner des éditions exactement corrigées d'après les textes primitifs de telles éditions mettraient enfin ces antiques et précieux monuments de la littérature française à l'abri des événements malheureux qu'amène inévitablement le temps destructeur, ou l'ignorance dont l'incurie est encore plus funeste.

RAYNOUARD.

LE LIVRE DES RÉCOMPENSES ET DES PEINES, traduit du chinois, avec des notes et des éclaircissements; par M. Abel Rémusat, Docteur en médecine de la faculté de Paris, Membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres, Lecteur royal et Professeur de Chinois et de Tartare-Mandchou au Collège royal de France. Un vol. in-8° de 79 pages. Paris, 1816.

Tout en s'occupant de recherches très-importantes sur les différentes sectes religieuses répandues dans l'empire chinois, particulièrement celle des Bouddhistes, M. Rémusat, dont les travaux sur la littérature chinoise sont justement appréciés par les savants, a consacré quelques instants à la traduction de cet opuscule, qui ne pourra manquer d'intéresser le lecteur philosophe. C'est un petit traité de morale à l'usage des Tao-sse (1),

(1) Cette secte, dit M. Rémusat dans son avertissement, peut revendiquer en sa faveur de grands titres d'ancienneté, et l'emporter peut-être, sous ce rapport, sur la doctrine des lettres eux-mêmes. ...... Mais, quelle que soit son

et qui jouit à la Chine d'une réputation tellement distinguée, que l'empereur Chun-tchi l'a jugé digne de faire partie d'une collection d'ouvrages moraux publiée par ses ordres, et pour laquelle il n'a pas dédaigné de composer une préface, où sont exprimés des sentiments pleins de noblesse et de générosité.

Les éditeurs modernes du Traité des Récompenses et des Peines n'ont pas manqué de reproduire cette préface en tête de ce livre; et M. Rémusat en a donné la traduction immédiatement avant celle de l'éditeur chinois : mais autant celle-là est noblement écrite, autant celle-ci est remplie de puérilités et d'extravagances. A en croire ce sectaire, l'auteur de cet ouvrage, Wang-siang, étant mort subitement dans un temps où il avait seulement formé le projet de le composer, aurait été rappelé miraculeusement à la vie pour qu'il pût exécuter son dessein, après quoi il vécut jusqu'à deux cents ans. Plusieurs autres miracles encore sont cités pour faire sentir l'excellence de ce livre et le fruit qu'on peut en retirer : quant à celui qu'on peut retirer de cette singulière préface, qui heureusement ne nuit en rien à la bonté des préceptes donnés ou plutôt recueillis par Wang-siang, c'est d'apprendre que celui-ci vivait sous la dynastie des Soung.

Selon la doctrine des Tao-sse, il y a des Esprits chargés de surveiller toutes les actions de l'homme, d'enregistrer ses bonnes et mauvaises œuvres, et d'en rendre compte, à certaines époques, à un conseil d'Esprits célestes supérieurs, où l'on détermine la nature des récompenses à donner, ou des peines à infliger à chaque individu selon ses mérites. C'est pour exciter les hommes à éviter les unes et à se rendre dignes des autres, que le sectaire chinois a composé ce traité de morale.

Quelques-uns des préceptes qu'il contient sembleront puérils au lecteur; mais la plupart se font remarquer, soit par la noblesse de la pensée, soit par une naïveté vraiment touchante.

Tels nous ont paru être ceux-ci, entre beaucoup d'autres :

<«< Suivre la raison, dit le sage, c'est avancer; s'en écarter, c'est reculer.

>> On suit la raison lorsqu'on est sincère, pieux, bon ami, bon frère;

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Lorsqu'on a un cœur compatissant pour tous les êtres vivants;

origine, il est certain qu'elle fut réformée, vers le v siècle avant notre ère, par un personnage qui est encore universellement révéré sous sous le nom de Lao-tseu [le Vieillard].

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Quand on est plein de tendresse pour les orphelins, et de commisération pour les veuves;

« Quand on évite de faire du mal aux insectes, aux herbes et aux arbres;

<«< Quand on sait être compatissant pour le mal d'autrui; se réjouir de son bonheur; aider ses semblables dans leurs nécessités, les délivrer de leurs périls; voir le bien qui leur arrive comme obtenu par soimême, et ressentir les pertes qu'ils éprouvent comme si on les faisait soi-même.

<«< Alors on est révéré de tout le monde, protégé par la Raison céleste, accompagné par le bonheur et les richesses; toute impureté s'éloigne d'un homme qui agit ainsi. Les Esprits et les Intelligences lui composent une garde : ce qu'il entreprend s'achève; il peut prétendre à devenir Esprit ou du moins immortel.

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« Pour devenir immortel du ciel, il faut avoir effectué mille trois cents bonnes actions; pour être immortel de la terre, il faut en avoir fait trois cents (1). »

Wang-siang, après avoir ainsi tracé le modèle de la conduite du juste, passe à la contre-partie, c'est-à-dire à l'énumération des fautes et des vices qui constituent le caractère du méchant, et cette liste, comme dans tous les pays du monde, est malheureusement beaucoup plus longue que la première.

«Ne point honorer ceux qui sont plus âgés que soi, dit-il, et se révolter contre ceux qu'on devrait servir;

«Recevoir des grâces sans en être touché, et nourrir des ressentiments implacables;

«Accorder des récompenses à des hommes indignes; envoyer les

:

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(1) Ce passage demandait une explication aussi M. Rémusat nous l'a-t-il donnée dans une note où il nous apprend que, dans la mythologie des Tao-sse, le nom d'immortels de la terre est donné à certains ermites retirés dans les montagnes; ce que signifie à la lettre le caractère chinois sian, d'après sa composition. Il y en a de deux espèces ceux du ciel, qui peuvent monter au ciel et voler dans les airs; et ceux de la terre, qui peuvent retarder les années, mettre un frein au temps, et jouir d'une vie éternelle. Ce sont les expressions du commentateur. est dit dans le Tao-king, ajoute-t-il, que, si un homme a une seule vertu, cent Esprits seront occupés à l'amplifier; s'il en a dix, celui qui préside à la vie lui tiendra en réserve des espaces de cent jours; s'il en a cent, la fleur d'Orient [ le soleil] transportera son nom et sa gloire dans les contrées lointaines; s'il en a mille, son bonheur ira jusqu'à la septième génération; s'il en a dix mille, il peut tout, il s'élève en l'air en plein jour.

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