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preuve d'une critique plus saine que le marquis Maffei, qui a décidé, sans aucun motif plausible, que l'arc des Gavii, ainsi que celui de Pola, était un monument funèbre (1).

pu

Les vignettes et les culs-de-lampe qui ornent le commencement et la fin de l'introduction et de chacun des trois chapitres concernant les antiquités de Pola ne sont pas sans intérêt. Une inscription en l'honneur de l'empereur Licinius, dont les noms sont en partie effacés avec soin, sans doute après que Constantin l'eut renversé du trône, a été ingénieusement suppléée par Stuart, quoique son explication fourmille de fautes historiques sur les noms et les qualités des empereurs de cette époque, fautes que le savant voyageur aurait facilement corriger. La médaille des Istrianiens n'a été placée ici que par erreur : on a probablement cru que c'était une monnaie frappée dans la péninsule de l'Istrie; mais aucun antiquaire ne balance maintenant à l'attribuer à la ville d'Istrie ou Istropolis de la Mésie inférieure, bâtie aux bouches de l'Ister, aujourd'hui le Danube. L'aigle, le sphinx, les panthères et la balance, tirés des fragments antiques, et les rinceaux de la frise du temple, dessinés plus en grand, feront plaisir aux amateurs des antiquités et des arts. J'ai déjà indiqué mon opinion relativement au médaillon représentant le buste d'Esculape et à la composition qu'on prétend empruntée du type d'une médaille d'Auguste, et qu'on voudrait placer mal à propos dans le bouclier qui décorait le fronton du temple.

Je ne puis terminer cet article sans informer le public que, plus de trente ans après le voyage de Stuart et Revett, un Français, M. Léon Dufourny, membre de l'Institut et professeur de l'école royale d'architecture, est allé sur les lieux, a mesuré et dessiné de nouveau tous les édifices antiques de cette colonie, et n'a épargné ni temps, ni soins, ni dépenses, pour rendre son travail exact et complet. Il a bien voulu me communiquer son portefeuille et ses recherches; et je me suis persuadé, en les examinant, que, même après la publication de l'ouvrage de Stuart, celui de M. Dufourny sur les antiquités de Pola pourrait paraître avec avantage et offrirait quelque chose de plus satisfaisant, soit par l'exacte précision des mesures, soit par les développements étendus qu'il a donnés aux détails, soit enfin par les observations pleines d'intérêt qu'un séjour de plusieurs mois lui a permis de joindre à ses dessins.

(1) Verona illustrata, p. 111, p. 49. Une autre veuve, Melia Anniana, avait fait bâtir une porte du même genre dans la ville de Jadera [ Zara] de l'Illyrie; elle y avait placé de même, sur le couronnement, la statue de son mari. (Wheler, a Voyage, etc. 1. 1, p. 12; Gruter, Thes. inscr. p. 159, n° 9.)

J'ai tiré de son recueil une copie fidèle d'une inscription du Ix siècle, qui était placée autrefois au-dessus de la porte de l'église cathédrale, et dont les dernières lignes, dans la copie de Stuart (1), étaient inintelligibles. La voici sans les nexus litterarum qui en rendent la lecture difficile: AN. INCARNAT. DNI. DCCCLVII

IND. V. REGTE. LOVDOWICO IMP. AVG

IN ITALIA. HANDEGIS. HVIVS ACEE

ELEC. D. PENTECONS EPS SED. AN. V.

Anno incarnationis Domini DCCCLVII, indictione V, regnante Ludovico Imperatore Augusto in Italia, Handegis hujus ecclesiæ electus (2) die Pentecostes, episcopalis sedis anno V.

L'évêque de Pola, Handegis, avait échappé aux recherches d'Ughelli. (La suite au prochain Numéro.)

E. Q. VISCONTI.

AUSGEWEILTE BRIEFE von C. M. Wieland etc. Lettres choisies de C. M. Wieland à quelques amis, depuis l'année 1751 jusqu'en 1810, rangées par ordre de dates. Quatre volumes in-8° d'environ 1500 pages. Zurich, à la librairie de Gessner.

:

QUELQUE intérêt que le public témoigne pour les écrivains célèbres, quelque désir qu'il puisse avoir de les connaître, même dans leurs rapports particuliers, il me semble que, depuis une trentaine d'années, les éditeurs en ont singulièrement abusé. Nous n'avons guère qu'un volume de lettres de Racine et de Boileau; on n'en a pas imprimé davantage de Montesquieu et de Fontenelle mais on nous a donné vingtquatre volumes de lettres de Voltaire, sans même compter celles qui ne font point partie de l'édition de Beaumarchais. En Allemagne, où la discrétion littéraire est moins grande encore que chez nous, on a aussi publié récemment diverses correspondances d'auteurs morts, qui quelquefois ont brouillé des auteurs vivants, le tout au profit de la vérité et des libraires.

Les lettres de Wieland que nous annonçons n'auront pas, je crois,

(1) Pag. 2, note (6).

(2) Voyez ce mot dans le Glossarium de du Cange.

le fâcheux résultat de troubler la paix littéraire de sa patrie. L'éditeur principal, un de ses gendres, paraît avoir pris soin d'en écarter tout ce qui aurait pu produire un pareil effet. Mais ce qui m'effraie, c'est le nombre de volumes auquel cette correspondance pourrait un jour parvenir. En effet, les quatre que nous annonçons, bien que composés de lettres écrites à toutes les époques de la vie de l'auteur, ne contiennent qu'une très-faible partie de celles qu'il a dû écrire. Quoiqu'elles soient adressées à trente personnes différentes, elles ne présentent de correspondance suivie qu'avec six au plus c'est surtout dans les deux premiers volumes que ces correspondances se trouvent, et ces deux volumes ne comprennent que dix-neuf ans; enfin elles ont presque toutes été recueillies en Suisse et par les mêmes éditeurs. Que sera-ce si de nouveaux éditeurs s'éveillent dans les différentes parties de l'Allemagne où Wieland avait des liaisons, et s'ils entreprennent de compléter sa correspondance pendant les quarante dernières années de sa vie, qui furent, sans doute, celles où ses lettres se multiplièrent davantage par l'importance et la multiplicité de ses relations! Le recueil des lettres de Wieland pourra bien alors égaler en volumes celui de Voltaire.

Les quatre tomes qui paraissent en ce moment ne présentent pas un grand intérêt. On pourrait croire que, l'auteur ayant passé quarante ans dans une ville qui était la résidence d'une cour, ayant même été reçu à cette cour d'une manière distinguée, ses lettres devraient contenir quelques-unes de ces anecdotes qui circulent même dans les plus petites, et qui donnent souvent la clef des événements politiques les plus importants. On se tromperait soit que Wieland ait toujours vécu plus avec les livres qu'avec les hommes, plus avec les êtres poétiques de sa création qu'avec les êtres réels qui l'environnaient; soit qu'il ait toujours été trop prudent pour confier au papier des anec dotes secrètes; soit enfin que ses éditeurs aient eu assez de discrétion pour les supprimer, la vérité est qu'on ne trouvera rien dans ses lettres qui puisse servir à jeter du jour sur l'histoire de son temps; et cela, quoique cette époque comprenne la guerre de sept ans, celle de l'Amérique et toute la révolution.

Ce qui paraîtra plus surprenant encore, c'est que ces quatre volumes n'ont même que peu d'importance pour l'histoire littéraire de l'Allemagne. On voit bien que, lorsque Wieland commença à écrire, les critiques suisses (Bodmer et Breitinger) venaient de détrôner Gottsched; on entrevoit l'opposition qu'eux-mêmes ne tardèrent pas à éprouver de la part des critiques de Berlin (Lessing, Nicolaï et autres); on s'aperçoit de Ja division qui se forma entre les poëtes métriques et les poëtes rimants;

plus tard une lettre de M. Voss indique une autre querelle à propos des libertés permises ou défendues au poëte qui traduit du grec ou du latin en allemand: mais tout cela est connu de quiconque est un peu initié dans l'histoire de la littérature allemande, et les autres lecteurs n'y comprendront rien. Ajoutons que la philosophie de Kant et de ses successeurs n'est pour rien dans cette correspondance, quoique Wieland ait eu pour gendre M. Reinhold, l'un des apôtres de Kant.

Ce n'est pas non plus par leur mérite propre, par leur valeur intrinsèque, si l'on peut s'exprimer ainsi, que ces Lettres pourront se recommander. Wieland lui-même s'accuse plusieurs fois d'une répugnance à écrire des lettres, qu'il qualifie plaisamment d'épistolophobie, et dont on pourrait donner plusieurs causes, parmi lesquelles le premier rang ap-. partiendrait peut-être au sentiment qu'il avait lui-même de la médiocrité de son talent épistolaire. C'est, en effet, lorsque sa réputation fut bien établie que l'épistolophobie le saisit, parce qu'alors il dut craindre plus que jamais les indiscrétions de ces gens de bonne foi qui font imprimer le moindre écrit d'un homme célèbre qui vient à tomber entre leurs mains. Quoi qu'il en soit, si l'on excepte quelques lettres au fameux docteur Zimmermann, ce recueil ne nous présente presque jamais le spirituel, l'ingénieux, le malin Wieland, l'auteur d'Agathon, de Musarion et des Grâces. C'est sous un point de vue tout différent qu'elles peuvent être intéressantes; c'est par les lumières qu'elles nous donnent sur la vie, le caractère et les opinions de l'auteur. Cette manière de les considérer leur donnera, sans doute, une grande vogue en Allemagne, où Wieland a été célèbre pendant soixante ans : elle peut nous fournir à nous-mêmes quelques résultats dignes de l'attention de nos lecteurs.

Wieland naquit en 1733 à Biberach, petite ville impériale de Souabe. Ses parents étaient de bons bourgeois, peu aisés, mais qui, depuis des siècles, prenaient part au gouvernement de la ville. Dès son enfance, on remarqua en lui une certaine gravité et une sensibilité extrême. Son éducation fut très-soignée, et son intelligence non moins précoce. Il étudia de bonne heure, et sans quitter la maison paternelle, non-seulement les langues anciennes, mais l'histoire, la logique, les mathématiques. Son goût pour les vers se manifesta dès l'âge de dix ans par un grand nombre de petites compositions poétiques. A onze ans il faisait avec facilité des vers latins: dès lors, il avait le bon esprit de condamner au feu ces productions prématurées, et d'en préparer de meilleures par l'étude et la méditation. A quatorze ans, il fut envoyé à l'un des meilleurs colléges de l'Allemagne, près de Magdebourg; mais là les ouvrages de Wolf et de Bayle lui firent tout abandonner pour l'étude de la philo

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sophie. Il lut Fontenelle, Voltaire, d'Argens, et voulut se faire un système qui, fondé sur de telles lectures, ne pouvait pas être fort religieux : il en vint même à des doutes sur l'existence de Dieu, qui lui'firent passer bien des nuits dans les larmes. Il flotta ainsi d'une opinion à l'autre jusqu'à l'âge de seize ans. La Théodicée de Leibnitz produisit alors un changement heureux dans ses idées. La poésie, qui ne peut se passer d'idées religieuses, le rapprocha de la religion; et il y fut enfin ramené par l'amour qu'il conçut pour une de ses cousines, Sophie de Guttermann, qui fut depuis Mme la Roche, mais qui, bien que mariée à un autre, demeura sa meilleure amie jusqu'à la fin de ses jours.

C'est à cette époque de la vie de notre auteur que commence sa correspondance imprimée : ses premières lettres sont adressées au pieux Bodmer, auteur de la Noachide et d'autres poemes tirés de l'Écriture sainte. Wieland, alors non moins religieux, le choisit pour son patron littéraire, et Bodmer jouissait, en effet, en Allemagne de toute la considération nécessaire pour justifier la confiance du jeune auteur. Lorsque l'on connaît les ouvrages de l'époque brillante de Wieland, ses lettres à son premier protecteur deviennent très-curieuses; il y est à peu près aussi humble et aussi gauche que Rousseau dans sa première lettre à Voltaire; il accable Bodmer d'éloges, il dénigre tous ses ennemis, il parle de lui-même avec la plus grande modestie : mais il énonce, d'ailleurs, les opinions les plus tranchantes sur les poëtes vivants ou morts; il y met sans façon Virgile bien au-dessus d'Homère, et Klopstock au-dessus de Milton. Il n'a point d'expressions pour louer Young autant qu'il l'admire; mais en revanche il professe le plus grand mépris pour Bocace, pour La Fontaine, pour Crébillon le fils, et pour tous les esprits forts. C'est tout le zèle, toute la présomption, toute l'intolérance d'un jeune enthousiaste; et ce jeune enthousiaste devait un jour écrire des Contes moins libertins, mais plus voluptueux, que ceux de Boccace et de La Fontaine; il devait, dans le Miroir d'or, imiter les inventions de Crébillon le fils; il devait traduire Lucien, et porter au dernier degré la liberté des opinions religieuses.

On sent bien, au reste, qu'un changement aussi prodigieux ne put pas s'opérer fort vite. Wieland, invité par Bodmer à venir habiter Zurich avec lui, et traité en quelque sorte comme son fils pendant quelques années, dut rester longtemps fidèle à la première influence qu'avait exercée sur lui son protecteur. Celle de sa passion platonique pour Sophie durait encore; lorsque sa cousine fut mariée, on entrevoit qu'un autre amour du même genre l'occupa à Zurich, et ensuite un troisième à Berne: aussi tous les ouvrages qu'il composa, ou, du moins, qu'il publia pendant cet intervalle, qui fut d'environ huit ans, sont-ils de ce qu'on ap

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