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Elle dit dans le prologue de ses lais:

Plusurs en ai oi conter,

Nes (ne les) voil laisser ne oblier.

Et ailleurs, dans le lai da Chèvrefeuille :

Plusurs le me unt cunte et dit,

Et jeo l'ai trove en escrit.

M. de la Rue cite plusieurs autres anciens poëtes français du même siècle, tels que Pierre de Saint-Cloud, Regnaud, l'anonyme auteur du lai de l'Épine, etc.

Il est à regretter qu'il n'ait pas rapporté les textes originaux : dans une question aussi neuve, le système de M. de la Rue eût beaucoup gagné à ce que le lecteur pût se décider d'après ces textes mêmes, qui sont cachés ou ensevelis dans des collections manuscrites, personnes ont l'occasion ou la patience de feuilleter.

que si

peu

de

Pour justifier mon observation, je transcrirai, d'après le manuscrit 7595 de la bibliothèque du Roi, le passage original du lai de l'Épine, que M. de la Rue a rapporté en prose :

Qui que des lais tigne (tienne) a mencoige (mensonge),

Sacies je nes (ne les) tienc pas à songe

Les aventures trespassées

Que diversement ai contées;

Nes (ne les) ai pas dites sans garant;

Les estores (histoires) entrai avant,

Ki (qui) encore sont a Carlion

Sus el monstier (monastère) Saint-Aaron,

Et en Bretaigne sont éues,

Et en pluisors lius (lieux) connéues,

Per chou (ce) que les truis (trouve) en memore,

Vos wel (veux) demonstrer par estore.

Ce texte original prouve-t-il que le trouvère français ait composé ses lais d'après des poésies armoricaines? Il parle seulement d'estores qui sont à Carlion, au monastère de Saint-Aaron; et ces expressions peuvent s'appliquer à des écrits en prose ou en langue latine.

Je ne fais pas cette observation pour combattre un système littéraire dont le succès ne dépend pas d'une autorité de plus ou de moins; mais je la fais pour prouver combien, en matière d'érudition, il importe de mettre les lecteurs à portée de se convaincre par la lecture et la comparaison des textes originaux, surtout quand ces textes ne sont consignés que dans des manuscrits.

Je ne m'arrêterai pas sur divers autres passages d'auteurs français ou anglo-normands encore plus anciens, que M. de la Rue ne fait qu'indiquer, et dont il s'autorise pour appuyer son système.

Il conjecture que le fameux roman de Tristan n'est que la traduction d'un poëme breton; du moins l'existence des lais bretons est confirmée par ce passage où Tristan se félicite d'en avoir enseigné à

sa mie:

Bons lais de harpe vous apris,

Lais bretons de nostre pais.

La connaissance de cette sorte de poésie était un mérite que les trouvères aimaient à faire remarquer dans leurs héros:

Riches hom fut.......

Moult esteit preux et moult curteis

Et moult scut des anciens lais. Roman d'Ypomedon.
Moult scut de lais, moult scut de notes.

Roman du Brut.

Si le système de M. de la Rue, au sujet de l'existence et des ouvrages des poëtes armoricains, peut trouver des contradicteurs, je pense qu'il peut aussi être appuyé de nouvelles preuves.

J'en fournirai une qui me paraît aussi importante que celles que l'auteur a rapportées. C'est le témoignage des troubadours, qui, par leurs voyages dans les différents pays, par leur admission dans les cours des princes, et surtout dans celle des rois anglais, ainsi que par leurs études, ont pu connaître, directement ou indirectement, les ouvrages des poëtes armoricains.

Voici un couplet très-remarquable de Folquet de Marseille; il est tiré d'une pièce que je conjecture avoir été composée vers 1180, et dans laquelle ce troubadour parle expressément des lais de Bretagne: Ja no volgra qu'hom auzis

Los doutz chans dels ausellos,
Mas cill qui son amoros;
Que res tan no m'esbaudis

Co ilh auzelet per la plainha:

E ilh belha cui sui aclis,

Cella mi platz mas que chansos,

Volta ni LAIS DE BRETAINHA.

(1) Traduction interlinéaire :

FOLQUET DE MARSEILLE: Ja no volgra (1).

Jamais ne voudrais qu'homme ouît

Les doux chants des oiselets,

Ces vers peuvent être traduits littéralement dans l'ancien idiome

français :

Ja ne voudrois qu'hom n'entendît

Des oiselets le souef (doux) ramage,
Qu'icil (ceux) que tendre amors engage.

Non, rien aitant ne m'esbaudit
Com oiselet por (par) la campaigne;
Ains (mais) ceste belle que je sers
Me charme et plait moult plus que vers,
Roulades, ni lais de Bretaigne.

Ce passage ne prouve pas seulement que les troubadours avaient la connaissance des lais bretons; ce qui serait déjà beaucoup pour le système de M. de la Rue: mais il autorise à penser que ces lais étaient généralement connus, du moins par leur renommée et par la tradition, dans les cours et dans les châteaux, où les troubadours exerçaient leur talent; autrement auraient-ils fait allusion à ce genre de poésie?

Ce point intéressant de l'histoire littéraire de la France mérite d'être traité avec tous les développements qu'il peut recevoir. M. de la Rue a déjà beaucoup fait; et ses vastes connaissances en ce qui concerne le moyen âge, et surtout l'ancienne littérature française, permettent d'espérer qu'il ne laissera plus aucun doute sur cette question et sur celles qui s'y rattachent, et que même il nous expliquera comment il est arrivé que de tous ces lais et autres poésies des Bretons, rien n'ait été retrouvé jusqu'à ce jour, tandis qu'en Angleterre il a été conservé tant de monuments des poëtes gallois et autres qui ont écrit ou chanté vers les mêmes temps où ont existé les poëtes armoricains.

M. de la Rue a eu soin de nous dire pourquoi c'est dans les auteurs normands ou anglo-normands que l'on trouve le plus fréquemment les traces ou le souvenir de ces poëtes bretons.

Par le traité conclu avec Charles le Simple, les Normands obtinrent la Bretagne en arrière-fief. Leurs rapports avec les Bretons devinrent directs et fréquents; ils eurent besoin et occasion d'étudier la langue et la littérature du pays soumis à leur domination.

Excepté ceux qui sont amoureux;
Vu que rien tant ne m'esbaudit,
Comme les oiselets par la plaine:
Et la belle à qui je suis soumis,
Celle me plaît plus que chansons,
Roulades, ni lais de Bretaigne.

Un grand événement politique établit d'autres rapports entre les Normands et les habitants de la Grande-Bretagne: ce fut la conquête de l'Angleterre par Guillaume. On sait que plusieurs seigneurs normands l'avaient suivi dans son expédition, et que presque tous reçurent des fiefs en récompense.

M. de la Rue conclut de ces faits que les poëtes normands ou anglonormands purent facilement connaître les poésies armoricaines.

Aussi c'est dans les écrits des poëtes anglo-normands qu'il trouve plusieurs indications de lais bretons dont les trouvères français n'ont point parlé.

Si les ouvrages des poètes armoricains ne sont pas venus jusqu'à nous, du moins leur existence sera connue, grâces aux soins laborieux et aux heureuses investigations de M. de la Rue. Le souvenir de ces poëtes est consacré par les troubadours et par les trouvères français et anglo-normands.

L'utilité et le juste succès de la dissertation de M. de la Rue prouvent combien il pourra devenir avantageux aux lettres de publier en original les productions des troubadours et des trouvères, ces anciens poëtes nationaux, que, dans le dernier siècle, on a mal à propos affecté d'opposer les uns aux autres, en disputant sur le degré de mérite qu'ils ont, quoique dans des genres très-différents. N'est-il pas plus convenable que nous mettions notre zèle et nos soins à les faire connaître et apprécier, afin de profiter de tout ce qu'ils offrent d'utile pour la connaissance des mœurs, des usages, des opinions, des faits historiques et les progrès de la langue?

RAYNOUARD.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

Pour remplir la place vacante par le décès de M. Delisle de Sales, l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres a élu, dans sa séance du 25 octobre, M. Raynouard, déjà membre de l'Académie française.

L'Académie royale des sciences a nommé, dans sa séance du 14 octobre, trois correspondants pour la section d'astronomie; savoir: M. Pond, demeurant à Greenwich; M. Bessel, à Koenigsberg; et M. Mudge, à Londres. Ils remplacent MM. Bernard, Cagnoli et Schroeter, décédés en 1816; le 1" à Trans, près Draguignan, le 2o à Vérone, et le 3° à Lilienthal.

L'Académie des beaux-arts, qui avait perdu depuis peu de temps M. Vincent

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et M. Ménageot, vient de perdre encore M. Dejoux. Les funérailles de ce sculpteur ont eu lieu le 20 octobre; et M. Quatremère de Quincy, secrétaire perpétuel de cette académie, a prononcé un discours dont nous transcrirons ici quelques lignes : Issu d'une des plus nobles et des plus anciennes familles de France, mais tombee depuis longtemps dans l'obscurité, M. Dejoux, élevé par la pauvreté pour le travail, ne conçut que fort tard le projet de rentrer, par une route tout à fait diffé<< rente, dans l'illustration dont sa famille et son nom étaient déchus. L'idée de se « réhabiliter, si l'on peut dire, par l'anoblissement que donne le talent, le porta « dans la carrière des beaux-arts. Mais il commença ses études à l'âge où d'autres

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« les terminent: de là les efforts prodigieux qu'il fit pour regagner le temps perdu;

« de là peut-être cette habitude de faire difficilement, qui a bien quelques avantages, "pourvu qu'elle ne laisse pas trop son empreinte dans les productions de l'artiste. « Vous rappeler, Messieurs, le Saint-Sébastien de M Dejoux, sa statue de Catinat, «son groupe colossal d'Ajax enlevant Cassandre, et d'autres grands ouvrages aux« quels les vicissitudes de la révolution n'ont pas permis d'arriver à leur destination, « c'est vous retracer assez les titres qu'il s'est acquis dans l'honorable carrière qu'il « a parcourue, et où il a enfin atteint ce qui avait été le but de son ambition et de « ses efforts. »>

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Traité classique de littérature; par C. L. Grandperret, professeur de rhétorique. Lyon, imprimerie de Kindelem, et à Paris, chez Brunot-Labbe, 1816, 2 vol. in-12, 24 feuilles.

Leçons latines de littérature et de morale, ou Recueil en prose et en vers des plus beaux morceaux des auteurs latins anciens, etc.; par MM. Noël et de la Place; nouvelle édition, corrigée et augmentée. Paris, Lenormant, 1816, 2 vol. in-8°.

Mélanges littéraires, composés de morceaux inédits de Diderot, Caylus, Thomas, Rivarol, André Chénier, etc., recueillis par M. Fayolle; Paris, imprimerie de Poulet, chez Pouplin, 1816, in-12, 10 feuilles, 2 fr. 50 cent.

Tableau historique de l'état et des progrès de la littérature française, depuis 1789; par Marie-Joseph Chénier. Paris, imprimerie de Fain, librairie de Maradan, 1816, in-8°, xxix et 392 pages, 6 francs.

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A sure and easy way, etc. Moyen sûr et facile de distinguer les genres des substantifs dans la langue française; par Aug. Noël. Boulogne-sur-mer, imprimerie de MTM Olivier-Dolet, 1816, in-18.

Sion, ou les Merveilles de la Montagne sainte, poëme en trois chants; par J. L. Boucharlat. Paris, imprimerie de P. Didot l'aîné, et chez Eymery, Delaunay, Péli- · cier, 1816, in-8°, 1 franc 50 centimes.

Le Médisant, comédie en trois actes et en vers, par Ét. Gosse; représentée sur le Théâtre français, le 23 septembre 1816. Paris, imprimerie de P. Didot l'aîné, librairie de Barba, 1816, in-8°, 92 pages, 2 francs.

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