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puter à Lucrèce ; mais d'autres, riant avec Juvénal (sat. x, 122), du fameux vers :

O fortunatam natam me consule Romam!

sont bien éloignés de placer notre orateur à un si haut rang parmi les poëtes.

Personne n'a été plus pénétré du mérite de Cicéron que Pline l'Ancien, et personne n'en a fait un éloge plus complet et plus éloquent que lui dans cette belle apostrophe : « Pourrois-je, sans crime, passer ton nom sous silence, ô Cicéron! Que célébrerai-je en toi comme le titre distinctif de ta gloire? Ah! sans doute il suffira d'attester cet hommage flatteur qu'un peuple entier, qu'un peuple tel que celui de Rome rendit à tes sublimes talens, et de choisir dans toute la suite d'une si belle vie les seules actions qui signalèrent ton consulat. Tu parles, et les Tribus romaines renoncent à la loi Agraire, à cette loi qui leur assuroit les premiers besoins de la vie. Tu conseilles : elles pardonnent à Roscius, auteur de la loi qui régloit les rangs au spectacle, et consentent à une distinction injurieuse pour elles. Tu persuades, et les enfans des proscrits se condamnent eux-mêmes à ne plus prétendre aux honneurs. Catilina fuit devant ton génie : c'est toi qui proscris Marc-Antoine. Reçois mon hommage, ô toi qui le premier fus nommé PÈRE DE LA PATRIE; toiqui le premier méritas le triomphe sans quitter la toge, et le premier obtins les lauriers de la victoire avec les seules armes de la parole; toi le père de l'éloquence et des lettres latines; toi, enfin, pour me

servir des expressions de César autrefois ton ennemi, toi qui remportas le plus beau de tous les triomphes, puisqu'il est plus glorieux d'avoir étendu pour les Romains les limites du génie, que d'avoir reculé les bornes de leur empire. »

CL. CLAUDIEN (n. vers 365 de J.-C.-m, vers 410) étoit un poëte très remarquable pour le temps où il a vécu, mais bien médiocre si l'on rapproche ses poésies de celles qui ont illustré le beau siècle d'Auguste. Ce n'est pas qu'on ne trouve dans la plupart de ses ouvrages, surtout dans l'Enlèvement de Proserpine (poëme au reste très défectueux pour le plan), un style élevé, de fortes images, des descriptions brillantes ; mais comme ce ton est soutenu d'un bout à l'autre et que les caractères sont uniformes, cela répand sur l'ensemble une monotonie fatigante qui a fait dire à La Harpe, que «l'harmonie des poëmes satiriques ou héroïques de Claudien ressemble parfaitement au son d'une cloche qui tinte toujours le même carrillon. » Les morceaux que l'on regarde comme à-peu-près les chefs-d'œuvre de notre poëte, sont ses deux Invectives, l'une contre Rufin, et l'autre contre Eutrope, chacune en deux livres. Ces deux hommes étoient ennemis du ministre Stilicon l'ami et le protecteur de Claudien. Quelques connoisseurs trouvent le poëme contre Eutrope préférable à celui qui regarde Rufin; et d'autres admirent particulièrement le début de l'ouvrage contre Rufin. Clau

dien a encore fait preuve d'imagination et de talent dans deux Epithalames, l'un à l'occasion du mariage d'Honorius avec Marie, fille de Stilicon et de Serena; l'autre sur le mariage de Palladius et de Celerina. On trouve encore d'assez beaux passages dans son Enlèvement de Proserpine, poëme qui a été imité et perfectionné en vers français par M. Michaud; dans ses Consulats d'Honorius, dans ses sept petits poëmes didactiques ou descriptifs publiés sous le nom d'Idylles, et parmi lesquels on distingue le Phénix et la Tendresse filiale des deux Siciliens, etc. Enfin on peut dire que Claudien, malgré ses défauts, est peut-être après Stace, le poëte épique latin qui s'est approché davantage de Virgile, surtout dans quelques descriptions et comparaisons.

PIERRE CORNEILLE (V. tom. 1, pag. 128). Les chefs-d'œuvre de ce père de la tragédie sont Cinna, le Cid, les Horaces, Rodogune et Polyeucte. Une seule de ces pièces eût fait la réputation d'un grand écrivain. «Le Cid, selon La Bruyère, n'a eu qu'une voix pour lui à sa naissance, qui a été celle de l'admiration ; il s'est vu plus fort que l'autorité et la politique ( l'Académie et Richelieu ) qui ont tenté vainement de le détruire; il a réuni en sa faveur des esprits toujours partagés d'opinions et de sentimens, les grands et le peuple. Ils s'accordent tous à le savoir de mémoire et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent. Le Cid enfin est un des plus beaux

poëmes que l'on puisse faire ; et l'une des meilleures critiques qui aient été faites sur aucun sujet, est celle du Cid. »

.

Boileau regardoit Polyeucte comme le chef-d'œuvre de Corneille. Il ne connoissoit rien au-dessus des trois premiers actes des Horaces. Il n'avoit point de termes assez forts pour exalter Cinna, à la réserve des vers qui ouvrent la pièce, et dont il avoue s'être moqué dans son 3.e chant de l'Art poétique, (sans doute dans ces vers: }

Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer,

De ce qu'il veut, d'abord ne sait pas m'informer;
Et qui débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.

Mais il étoit comme transporté d'admiration lors-
qu'il récitoit l'imprécation de la reine Cléopâtre å
son fils dans la dernière scène de Rodogune, pièce
que l'auteur lui-même préféroit à toutes ses autres
tragédies. Tout ce que Corneille a fait de merveil-
leux étoit parcouru du satirique avec une profusion
d'éloges ; mais il n'étoit point content de la tragédie
d'Othon, qui se passe tout en raisonnement et où
il n'y a pas d'action tragique. Corneille avoit affecté
d'y
faire parler trois ministres d'état,
dans le temps
où Louis XIV n'en avoit pas moins que Galba, c'est-
à-dire, MM. Le Tellier, Colbert et de Lionne. Boi-
leau ne se cachoit point d'avoir attaqué directement
Othon dans ces quatre vers du 3.e chant de l'Art
poétique :

Vos froids raisonnemens ne feront qu'attiédir

Un spectateur toujours paresseux d'applaudir,

Et qui des vains efforts de votre rhétorique,
Justement fatigué s'endort et vous critique.

On peut encore mettre au rang des bonnes pièces de Corneille la Mort de Pompée, Heraclius, Sertorius, et Nicomède qu'il affectionnoit beaucoup. Quant au Menteur, comédie de caractère qui a précédé Molière, on peut dire qu'il a ouvert la carrière de la bonne comédie, comme le Cid avoit ouvert celle de la tragédie.

Les deux meilleures pièces de Thomas Corneille (n. 1625-m. 1709) sont Ariane et le Comte d'Essex; son Festin de Pierre est mieux versifié que ses tragédies assez mal écrites en général.

Prosper Jolyot dE CRÉBILLON (n. 1674—m.. 1762 ) tient un rang distingué parmi nos tragiques, et le mérite par quelques-unes de ses pièces. Rhadamiste est l'un des plus beaux ouvrages qui honorent la scène française. Les passions y sont peintes avec une énergie, une profondeur, une vérité qui rend la fable de cette tragédie attachante au suprême degré. Aucune pièce n'offre une intrigue aussi simple, et peu sont aussi intéressantes. Elle eût suffi seule pour faire monter Crébillon au rang de nos premiers écrivains dramatiques. Atrée et Thyeste est la pièce la plus terrible qui soit au théâtre; l'affreux caractère d'Atrée fait frissonner d'un bout à l'autre. Le songe prophétique de Thyeste (ACT. 11, sc. 2) est un beau morceau de poésie. La reconnoissance de Thyeste de la part d'Atrée (ACT. 11, sc. 5),

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