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Au milieu de ces embarras et de ces appréhensions, les intérêts de son pays lui étaient toujours présents, et, dans le désordre croissant des événements, il cherchait à tirer avantage pour la Comté de toutes les solutions possibles. Il écrit, le 19 juillet, après le massacre de l'hôtel de ville: « Les affaires se disposent de plus en plus ou à la paix générale ou à la continuation d'une forte guerre civile, de sorte que l'une ou l'autre doit faire le repos de notre province. Je souhaite et prie Dieu que ce soit par la première voye, afin que tout le monde y trouve son compte et sa satisfaction. » Il voit approcher cette solution, hâtée par « la déclaration du Roi touchant l'éloignement sans retour et sans équivoque du cardinal Mazarin hors du royaume, accompagnée d'une amnistie générale et de l'esloignement des troupes tant de Paris que des environs de Bordeaux'. » Mais l'amnistie est soumise à des réserves qui remettent tout en question 2. Le clergé de France et le légat s'émeuvent en faveur du Cardinal de Retz, le parlement pour ses membres exilés, Bordeaux traite avec les Anglais ou met sa soumission à des conditions inacceptables; Mairet s'étonne avec raison de ces emportements, avant-coureurs des révolutions de l'avenir. « On appréhende, écrit-il le 9 mai 1653, que le corps de ce grand État ne souffre en plusieurs endroits solution de continuité, principalement du costé de la Guienne, du Poitou et de la Champagne. Les dogues d'Angleterre sont surtout à craindre et la députation solennelle de Bordeaux à Londres est d'une étrange et redoutable conséquence. » Il revient, le 16 mai, sur l'alliance présumée des Bordelais et des Anglais, coïncidant avec la dissolution du long parlement par Cromwell. « Encore une fois, conclut-il, je vous annonce que la campagne sera terrible et les révolutions seront rapides et surprenantes en ce royaume. Dieu nous donne une bonne paix ; c'est le souhait de tous les gens de bien. »

C'était le sien surtout, mais il ne lui fut pas donné d'en voir l'accomplissement comme témoin immédiat et partie intéressée. Mazarin était rentré à Paris le 3 février 1653. Le sort de la province était fixé. En 4654, Mairet fut banni sous un prétexte frivole. Il avait défendu l'honneur du roi d'Espagne accusé de n'avoir accueilli Condé que dans l'intention de le trahir. Le soupçonneux ministre redoutait-il

soubsriant: Monsieur, je ne doute point de la sincérité de vos paroles, mais le passé nous rend un peu deffiants pour le présent et pour l'advenir; et de plus je pense que ceux qui voudroient entreprendre de troubler nostre paix sans aucun sujet de nostre part, le feroient sans vostre participation, estant trop bien instruits de nostre probité. »

1. Lettre du 23 août 1652.

2. Lettre citée plus haut du 29 octobre 1652.

REV. HISTOR. XXV. 1er FASC.

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dans Mairet un familier de la maison de Bourbon, et sentait-il comme un levain de Fronde sous cet empressement à défendre son chef coupable et disgracié? On peut le croire. Peut-être aussi voulaitil se défaire d'un surveillant incommode, en éloignant celui que ses services désignaient pour le poste élevé de résident de l'empereur d'Allemagne à Paris. Il fallait écarter un serviteur de la maison d'Autriche, plus capable que tout autre de pénétrer l'arrière-pensée de la maison de France. Elle se fait jour dans quelques lettres conservées aux archives du Doubs. Dans l'une de ces lettres, la reine mère recommande un comte de Coux au parlement de Dôle, à l'occasion d'un procès qu'il doit soutenir devant cette compagnie. «< Nous aurions cru lui faire tort, dit Anne d'Autriche, si nous n'avions joint notre recommandation à celle du Roi pour vous témoigner la joie que nous aurons d'apprendre l'issue favorable de son procès, vous conviant de lui conserver toute la justice qu'il peut espérer de son bon droit, ne doutant point de votre zèle et de votre affection. » Ce ton flatteur et bienveillant peut s'expliquer par l'origine espagnole de la reine. Le roi écrit à son tour pour obtenir l'extradition de quelques meurtriers, et l'on devine, en lisant cette lettre, combien, sous le couvert de la neutralité, l'annexion morale a déjà fait de chemin. La requête est rédigée en style officiel, mais le désir de plaire et d'inspirer la confiance perce à travers les formes convenues du protocole. Rien n'est plus simple que de réclamer d'un peuple voisin son consentement à l'exécution d'une sentence judiciaire, mais, en demandant cet acte de justice internationale aux membres du parlement de Dôle, Louis XIV semble déjà les traiter comme siens. Rapprochée de la

1.

A MM. LES PRÉSIDENTS Et conseillerS DU PARLEMENT DE DÔLE. Très chers et bien amés. Désirant que l'assassinat commis en la personne du feu sieur Iugurta d'Orologne et sur ses enfants vivants nos subjetz, ne demeure impuny, et que les sentences données par nostre prévost des mareschaux et bailly d'Angers, obtenues par feu M. François Julliot, vivant notre conseiller magistrat au siège présidial de notre ville de Chaumont en Bassigny, pour dame Catherine d'Orologne, sa veuve, et le pareatis que nous leur en avons accordé soyent pleinement exécutés contre les cy-desnommez, Nous avons bien voulu vous escrire cette lettre dans la certitude qui nous a esté donnée qu'ils sont dans votre juridiction, pour vous prier de laisser exécuter les sentences de pareatis selon leur forme et teneur, permettant d'arrester les condamnés et d'agir à l'encontre d'eulx par la voie accoutumée; à quoy nous assurant que vous serez bien disposez puisque vous savez la chose qui nous sera très agréable, nous prions Dieu qu'il vous ait, très chers et bien amez, en sa sainte garde.

Écrit à La Fère, le xx juillet 1656.

Louis.

lettre du comte de Brienne citée plus haut, celle-ci laisse entendre que l'on considère les Comtois comme des sujets acquis à la nationalité française et qu'on entend même les traiter en sujets privilégiés. Le langage du jeune roi laisse pressentir l'annexion future, et sous la courtoisie des termes elle a bien l'air d'une prise de possession anticipée. La conquête était faite et ratifiée par avance, au moins dans la partie la plus ambitieuse et la plus éclairée de la population. TIVIER.

TRAITÉ DE NEUTRALITÉ ENTRE LA FRANCE ET LA FRANCHE-COMTÉ.

Le Comte de Brienne, Conseillier du Roy en ses conseils, chevalier de ses ordres, Secrétaire d'Estat et des commandements de Sa Majesté, ayant esté par elle commis pour examiner et resouldre les conditions de neutralité ou suspension d'armes proposée et demandée par le sieur Jean de Mairet, gentilhomme bourguignon de la cité de Besançon, envoyé exprès en cour par les sieurs commis du Roy catholique au gouvernement de la Franche-Comté de Bourgongne, ayant d'eux suffisant pouvoir, a accordé les traittés et articles suyvants soubs le bon plaisir de Sa Majesté, dont il a promis de fournir l'acte de rattification en bonne forme dans un mois.

Qu'il y aura neutralité ou suspension d'armes entre ceux du duché de Bourgongne, Bresse, Bassigny et aultres pays adjacents du gouvernement dudit duché, et ceux de la Franche-Comté de Bourgongne (Besançon compris) jusqu'au terme et temps qu'il plaise à Dieu nous donner la paix générale entre les deux couronnes de France et d'Espagne. Que les troupes et gens de ladite Majesté, de quelque nation qu'elles puissent estre, soit en corps d'armée ou aultrement, n'entreront point dans ladite Franche-Comté de Bourgongne (Besançon compris) et n'y feront aucune course, siège, surprinse de place ny pillage ou vexation quelconque, et ne s'y commettra aucun acte d'hostilité, et le semblable sera religieusement observé par ceux de la Franche-Comté, ainsy que tout a esté cy-devant exécuté de part et d'aultre par les traittés précédents.

Que Sa Majesté s'employera sérieusement envers ses alliés à ce qu'ils ne nous troublent point aussy le repos et la tranquillité de ladite Franche-Comté de Bourgongne.

Et d'autant qu'en faveur et en conséquence du dernier traitté d'accomodement qui expire au dernier jour de la présente année, il s'en est fait un autre en forme de déclaration et par lettres patentes des deux Roys qui permet la jouissance mutuelle des biens des vassaux et subjets des deux partis, situés en France et dans la Franche-Comté,

Sa Majesté d'une part et lesdits sieurs Commis au gouvernement de la Franche-Comté de l'aultre, consentent la continuation de ladite jouyssance réciproque.

En considération desquelles choses ledit sieur de Mairet promet et s'oblige, en vertu de sa procuration, de payer la somme de cent mille libvres tournois par chascun an, par forme de contribution, en un seul payement qui se fera par advance à la manière accoustumée dans la ville de Lyon, d'année en année, le premier jour du mois d'apvril de chascune desdites années, à commencer le premier payement par l'année prochaine mil six cent cinquante deux.

Et à raison et en faveur de ladite somme et contribution générale faitte au Roy, toutes les autres contributions particulières cesseront et demeureront compensées et amorties, et à l'esgard du chasteau de Courlaon, il est convenu que lesdits Comtois luy donneront la somme de trois cent libvres par mois, pour l'entretient et subsistance de la garnison que sa Majesté y veut estre entretenue.

Lesdits sieurs Commis par Sa Majesté catholique au gouvernement du Comté de Bourgongne pourront tenir dez à présent, si bon leur semble, soit à la cour ou à Paris, une personne de créance en qualité de résident, tant pour les interests particuliers de la province dont il aura soing que pour avoir l'œuil à tenir la main à l'observance plus exacte des conditions, circonstances et dépendances du présent traitté.

Et en cas que la paix ou la trefue à longues années entre les couronnes de France et d'Espagne soit signée et rattifiée, lesd. Comtois seront tenus quittes et deschargez entièrement des payements qui resteroient à faire, bien que l'exécution des articles de ladite paix ne suyvit pas incontinent la rattification d'icelle qui suffiroit en tous cas à les acquitter de la contribution à laquelle ils sont obligez par le présent traitté duquel ledit sieur de Mairet promet fournir aussy la rattification en bonne forme dans un mois après celle de Sa Majesté.

Fait à Paris, le vingt-quatrième jour de septembre mil six cent cinquante et un, signé sur l'original de Brienne et J. de Mairet et scelé à double sceau de cire d'Espagne.

S'ensuyt la ratification du traité cy-dessus..... En témoignage de quoy ladite Majesté a signé la présente de sa main et y a fait apposer son scel secret à Paris, le vingt-cinquième jour de septembre mil six cent cinquante et un. Signé sur ledit original Louys et son scel royal y apposé et au bas d'iceluy la signature de Guénegaud.

NOTE. La somme remise à Mme de Brienne par la reine mère (voy. p. 58) fut de 1,000 pistoles pour la reine et 20,000 1. pour elle (voy. le reçu aux Arch. du Doubs). Mairet n'avait reçu d'abord que 450 pistoles; il s'en plaignit dans le reçu qu'il donna le 17 oct. 1651: « en attendant qu'il plaise à messeigneurs les conseillers-gouverneurs de m'ordonner une récompense plus digne d'eux et des services que j'ay rendus à la province. » Le 22 novembre fut donné ordre « de payer à M. Mairet ... la somme de 1,000 pistoles d'Espagne. »

LA FRANCE ET LA PRUSSE

1763-1769.

RÉTABLISSEMENT DES RAPPORTS DIPLOMATIQUES
APRÈS LA GUERRE DE SEPT ANS'.

Les rapports diplomatiques se renouèrent assez promptement entre les puissances qui avaient pris part à la guerre de Sept Ans. Les cours de Berlin et de Versailles firent exception; elles ne se renvoyèrent pas de ministres et ne rétablirent point de correspondance officielle avant l'année 1769.

Louis XV gardait rancune à Frédéric II de l'alliance qu'il avait contractée avec l'Angleterre et du concours qu'il lui avait prêté dans une lutte désastreuse pour la puissance coloniale de la France. Frédéric, malgré ses succès militaires, ne pardonnait pas à Louis XV de s'être ligué avec l'Autriche et d'avoir laissé remettre en question la possession de la Silésie. En 1763, le roi de Prusse paraissait bien résolu à traiter la cour de Versailles avec toute la supériorité d'un vainqueur et à attendre ses ouvertures; mais l'intérêt, ce premier mobile de la politique, ne pouvait manquer à la longue de faire sentir sa puissance.

En Allemagne, dans toutes les classes de la société, et surtout parmi les princes protestants, on ressentait très vivement, au lendemain de la guerre, le besoin de renouer avec la France des relations de bon voisinage et beaucoup désapprouvaient, sans oser élever la voix, la politique d'abstention dans laquelle Frédéric se renfermait à l'égard de Louis XV.

Rien ne nuisait davantage à la situation de la Prusse qu'un état de choses qui rendait impossible tout rapport d'affaires avec la cour de Versailles. Faute d'agents diplomatiques, les questions touchant au commerce étaient forcément réservées. Elles demandaient cependant une solution rapide. Macaulay, dans sa vie de Frédéric, trace un tableau saisissant de l'état intérieur du royaume prussien, où l'agriculture et le commerce semblaient pour longtemps ruinés.

Les désastres privés, dit-il, la détresse de toutes les classes sociales étaient de nature à épouvanter l'esprit le plus ferme... Les champs

1. D'après les correspondances du dépôt des Affaires Étrangères.

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