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millions d'âmes moins fortement trempées dont les opinions changeaient avec celles du parti dominant. Dans une époque de terrorisme, la conscience humaine peut paraître moins scrupuleuse que dans notre temps de liberté et de calme; mais qui nous dépeindra le spectacle que nos contemporains nous offriraient, si ces temps d'angoisse et de tyrannie devaient revenir? » (P. 377.)

M. Rooses ne fait pas seulement l'histoire de Plantin et de ses contemporains, il fait aussi l'histoire de ses livres. Il y emploie des chapitres très fouillés et très curieux. Ainsi le chapitre vi, consacré à la Bible royale ou Bible polyglotte, est une monographie de grande valeur. On y trouvera des détails précieux sur les attaques passionnées que souleva cette grande entreprise scientifique et industrielle malgré l'approbation du pape et du roi. Les ennemis de Plantin et d'Arias Montanus partaient de ce principe que, la Vulgate ayant été déclarée la version authentique de l'Écriture sainte par le concile de Trente, il était défendu de s'en éloigner en aucun point et de recourir jamais aux textes grecs, hébreux ou syriaques. Parmi ces théologiens fanatiques, il faut surtout citer Léon de Castro, professeur à l'université de Salamanque, et Guillaume Lindanus (Vander Linden), inquisiteur des Pays-Bas, plus tard évêque de Ruremonde et de Gand. Tous deux étaient fort ignorants dans les langues incriminées.

Au chapitre VIII, nous trouvons l'histoire tout aussi détaillée du fameux Thesaurus teutonicae linguae (1573), du lexique flamand-latin de Kilianus et des autres dictionnaires publiés par Plantin. C'est une page importante de l'histoire de la philologie néerlandaise. De 1573, dit M. Rooses, date, pour ainsi dire, l'acte d'émancipation du néerlandais; celui-ci devient l'héritier légitime de tous les dialectes qui auparavant se disputaient la prépondérance. La langue de la Flandre occidentale avait servi d'idiome littéraire pendant la phase la plus ancienne de notre civilisation, s'étendant de 1200 à 1450. La prospérité de nos contrées, en se déplaçant vers l'Est et vers le Nord, donna, dans le cours du xvIe siècle, la prépondérance au dialecte du Brabant. C'est la langue. telle qu'elle était parlée à Anvers, le brabançon, la langue du Thesaurus et du dictionnaire de Kiel (Kilianus) qui, grâce à la situation privilégiée de notre métropole commerciale et grâce aussi aux travaux de Plantin et de ses collaborateurs, devint la langue universelle des Pays-Bas. Il manquait à nos contrées une capitale et une cour pour opérer cette fusion des dialectes et créer l'uniformité; l'officine plantinienne combla cette lacune; elle servit d'académie où des savants, guidés et encouragés par la vive intelligence de l'imprimeur, effectuèrent un travail dont nos pères avaient le plus grand besoin et dont nous profitons encore de nos jours » (p. 190). C'est ainsi le Tourangeau Plantin qui a consolidé les bases de la langue néerlandaise.

Douze documents inédits et un index des noms propres et des éditions plantiniennes terminent l'ouvrage de M. Rooses, qui est de plus illustré splendidement par cent planches in-folio hors texte et par des

centaines de gravures, de lettrines, de culs-de-lampe, etc., le tout tire de l'officine plantinienne elle-même et exécuté à la perfection. Les amateurs de beaux livres peuvent difficilement rêver mieux que le Christophe Plantin. Il y a là les portraits en phototypie ou en gravure de Plantin, de sa femme, de ses filles, de Jean Moretus, de Raphelengien (plusieurs d'entre eux sont d'après Rubens), de Guillaume d'Orange, du cardinal Granville, de Philippe II, d'Arias Montanus, de Hubert Goltzius, de Martin de Vos, d'Abraham Ortelius, du cardinal Baronius, de Juste-Lipse, etc. Les grands fac-similés des frontispices et des planches des principaux chefs-d'œuvre de Plantin sont également superbes. Ce sont des merveilles qui font honneur à l'éditeur anversois, M. Joseph Maes.

Je crois en avoir dit assez pour montrer combien le Christophe Plantin de M. Rooses contient de choses neuves et importantes. Il est plein de révélations sur l'histoire d'une industrie moderne de premier ordre, sur les savants et les artistes des Pays-Bas au xvr siècle et sur les mœurs des Anversois à la grande époque historique de leur ville. Je n'ai qu'une critique à faire à l'auteur, c'est de n'avoir pas spécifié plus nettement les documents inédits des archives plantiniennes, qui lui ont servi à édifier sa belle œuvre. Peut-être un inventaire et un numérotage systématique de ces pièces n'existent-ils pas encore. En tout cas, sans indications nouvelles, on pourra difficilement contrôler, sur les pièces originales, les conclusions de l'auteur.

Paul FREDERICQ.

RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.

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Palustre.

1.- Bibliothèque de l'École des chartes. T. XLV, 1884, livr. 1. - HAURÉAU. Disputatio mundi et religionis; poème de Gui de la Marche (ce Gui était fils naturel de Hugues XII, comte d'Angoulême et de La Marche). — Em. MOLINIER. Inventaire du trésor du saint-siège sous Boniface VIII (1295); suite. GAUTHIER. Notice sur les mss. de la bibliothèque publique de Pontarlier. Al. PINCHART. Lettres missives tirées des archives de Belgique, concernant l'histoire de France, 1317-1324 (1 lettre écrite au nom de Jeanne, fille de Louis X le Hutin et de Marguerite de Bourgogne, sur les protestations élevées par le duc de Bourgogne et autres vassaux de la couronne contre l'avènement de Philippe V, 1317; elle a dû être envoyée à Jean III, duc de Brabant et de Limbourg. Les deux autres lettres, de l'an 1324, ont trait aux querelles incessantes soulevées entre les sujets des rois de France et d'Angleterre en Guyenne et ailleurs). Bibliographie. Schmitz. Monumenta tachygraphica cod: Paris, lat. 2718; fasc. alter (très utile pour les paléographes). Luchaire. Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, 987-1180 (excellent). La renaissance en France, 9 et 10e livr. Normandie (excellent; ces deux fasc. terminent le t. II et achèvent la description des monuments de la renaissance dans tout le nord de la France). - Les Curiositez de Paris, réimprimées d'après l'édition originale de 1716 (M. de Montaiglon a prouvé que cet ouvrage a pour auteur Claude Marin Saugrain). Corroyer. Guide descriptif du Mont-Saint-Michel (excellent). Tamizey de Larroque. Voyage à Jérusalem de Philippe de Voisins, seigneur de Montaut (un passage de cette relation dit qu'à Monteleone les gens parlaient « gascon; » c'est grifon qu'il faut lire; on ne peut s'étonner que l'on parlât encore grec dans le sud de l'Italie à la fin du xve s.; mais il serait bien invraisemblable qu'on y parlat gascon). Livr. 2. KOHLER. Note sur un ms. de la bibliothèque d'Arezzo (contient le De mysteriis, de saint Hilaire de Poitiers, qu'on croyait perdu, deux hymnes, et un intéressant fragment d'un Voyage en Orient, dont le rédacteur paraît avoir vécu du Ive au ve s.; peut-être est-ce même Galla Placidia qui fit ce voyage, et dont nous posséderions ainsi l'itinéraire. Intéressante analyse de ce morceau). VAESEN. Catalogue du fonds Bourré à la Bibliothèque nationale; suite.-WELWERT. Philippe le Bel et la maison de Luxembourg (rassemble dans les documents de l'époque les principaux faits qui rattachent à la France Henri de Luxembourg, le futur empereur Henri VII, et son frère Baudouin).

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BISSON DE SAINTE-MARIE. Testament de Jacques de Tarente, dernier empereur de Constantinople, en faveur de Louis d'Anjou (15 juillet 1383). Bibliographie. Thibaudeau. Catalogue of the collection of autograph letters and historical documents formed between 1865 and 1882 by Alfred Morrison (admirable collection; plus d'un autographe provient de nos dépôts publics, surtout de celui du ministère des affaires étrangères. M. Delisle publie deux documents indiqués dans ce premier vol. du catalogue; ils se rapportent au règne de Louis XI; l'un est le sauf-conduit accordé à Louis XI par Charles le Téméraire, lors de l'entrevue de Péronne). Moris et Blanc. Cartulaire de l'abbaye de Lérins (travail estimable et utile). - Goiffon. Bullaire de l'abbaye de Saint-Gilles (bon). — Lindner. Das Urkundenwesen Karls IV und seiner Nachfolger, 1346-47 (bon).—Ul. Robert. Étude historique et archéologique sur la roue des Juifs depuis le XIIe s. (court mémoire plein de faits). Marchegay. Variétés historiques (publie 24 documents, allant de 1080 à 1794).

2. Le Cabinet historique. Nouv. série. 1883, nov.-déc., no 6 (Champion). Recueil de lois, décrets et ordonnances, etc., concernant les bibliothèques publiques, communales, universitaires, scolaires et populaires; suite et fin. RAYNAUD. Catalogue des mss. anglais de la Bibliothèque nationale (comprend 95 numéros). Lois, instructions et règlements relatifs aux archives départementales, communales et hospitalières; appendice. Fin. Louis GUIBERT. Les confréries de dévotion et de charité, et les œuvres laïques de bienfaisance à Limoges avant le xve s. (analyse les statuts des confréries de Notre-Dame de Saint-Sauveur et de Saint-Martial. Cette dernière subsiste encore aujourd'hui).

3.

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Revue critique. 1884, no 14. Müller. Ancient inscriptions in Ceylon (collection de mince intérêt historique; son importance est surtout paléographique). Joret. Des rapports intellectuels et littéraires de la France avec l'Allemagne avant 1789 (beaucoup de choses intéressantes). = N° 15. Delattre. Le peuple et l'empire des Mèdes jusqu'à la fin du règne de Cyaxare (mémoire qui témoigne de réelles qualités de méthode et de critique; ajoute peu à nos connaissances positives sur le sujet). — Müller. Cl. Ptolemaei Geographia; vol. I pars prima (édition remarquable).-Chuquet. Le général Chanzy (excellent). = N 16. Mispoulet. Les institutions politiques des Romains; t. II : l'Administration (peu original, mais fort consciencieux et complet; les renvois sont très défectueux). - Variété. Deux lettres intimes de M. et Mme Roland (avant, et aussitôt après leur mariage). = N° 17. Schiller. Geschichte der ræmischen Kaiserzeit. Bd. I (livre tout à fait au courant des dernières découvertes, qu'il résume; écrit dans un esprit partial et exclusif; en somme, bon instrument de travail). — Pélicier. Essai sur le gouvernement de la dame de Beaujeu, 1483-91 (très bon). N° 18. Boissière. L'Algérie romaine (livre très agréable, et qui donne une idée

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juste de l'Algérie romaine; d'ailleurs ni résultats nouveaux, ni érudition). F. de Guilhermy et R. de Lasteyrie. Inscriptions de la France, du ve au XVIIe s.; t. V: ancien diocèse de Paris (M. R. de L. a complété le travail de M. de G. par un copieux supplément et par une table excellente). Chuquet. Goethe; campagne de France, 1792; édition nouvelle (excellent). = N° 19. Enmann. Eine verlorene Geschichte der ræmischen Kaiser, und das Buch De Viris illustribus urbis Romae (travail très consciencieux; prouve qu'Eutrope et Aurélius Victor, dans son De Caesaribus, ont eu une source commune pour la période qui suit l'avènement de Septime Sévère; et que le De viris est un extrait d'un livre plus volumineux sur le même sujet). Gaullieur. Histoire de la Réformation à Bordeaux et dans le ressort du parlement de Guyenne; t. I (science solide, exposé intéressant). - Craven. Le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, d'après l'ouvrage de sir Th. Martin (indispensable à qui veut étudier l'histoire contemporaine).-Lamansky. Secrets d'État de Venise (très curieux). N° 20. Homolle. Les Romains à Délos (excellent et nouveau). - Chastel. Histoire du christianisme; t. IV et V (digne fin d'un ouvrage rempli de faits et d'idées intéressantes). Gachard. Lettres de Philippe II à ses filles, 1581-83 (apporte quelques corrections à la traduction de M. Gachard). Dommartin. Beaurepaire; épisode de la reddition de Verdun (Beaurepaire s'est donné la mort le 2 septembre 1792, entre deux heures et demie et trois heures du matin, non point au sein du conseil de défense, mais seul et dans l'appartement qu'il occupait à l'hôtel de ville. Il n'était pas noble).

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N° 21. E. Du Sommerard. Musée des Thermes et de l'hôtel de Cluny; catalogue (excellent remaniement). — Vatel. Histoire de Mme du Barry (long article, rempli de détails intéressants).= N° 22. Müller. De demis atticis (médiocre). Szanto. Untersuchungen über das attische Burgerrecht (beaucoup de bonnes choses). — Hug. Studien aus dem classischen Alterthum (discours académique, où l'auteur a essayé de mettre en relief les pensées créatrices « du vrai fondateur de la démocratie athénienne, Clisthène »). No 23. Brunot. Un fragment des Histoires de Tacite. Étude sur le De moribus Germanorum (des vues ingénieuses; travail un peu superficiel). Forneron. Histoire générale des émigrés pendant la Révolution française (très intéressant, mais fait beaucoup trop vite. Beaucoup d'erreurs de détail). N° 24. Cagnat. Explorations épigraphiques et archéologiques en Tunisie; fasc. 1-2 (d'heureuses trouvailles, fort bien présentées). Harrisse. Les Corte Real et leurs voyages au Nouveau-Monde (étude remarquable, complétée par le fac-similé d'un planisphère composé en 1502). Hellwald. Kulturgeschichte in ihrer natürlichen Entwickelung (livre rempli d'idées originales et suggestives).

4. — Bulletin critique. 1884, 15 avril. — Gautier. La chevalerie (important pour l'histoire de la civilisation en France). Jouin. Antoine Coysevox; sa vie, son œuvre et ses contemporains (excellent art. de M. Courajod, qui relève des erreurs nombreuses dans cet

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