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inquisiteurs ne connaissait point de limites, et qu'elle dépassait de beaucoup celle même de nos juges d'instruction modernes.

A tout cet ensemble de preuves s'ajoute naturellement le tarif établi, suivant le Pseudo-Rainier, pour le rachat des incestes dans la secte cathare. M. K. en parle sérieusement, comme s'il ne lui inspirait pas l'ombre d'un soupçon. Est-il en cela d'une bonne foi entière? Quelque atteinte que dût en éprouver notre confiance dans sa sincérité parfaite, nous voudrions presque pouvoir en douter'. Mais ce qui l'emporte peut-être sur le passage du Pseudo-Rainier, c'est un témoignage fourni par Geoffroi de Vigeois, et sur l'autorité duquel, en ce qui concerne les abominations qui leur étaient reprochées, M. K. déclare les hérétiques convaincus par leurs propres aveux. Nous en détachons la partie la plus écrasante pour la bonne renommée de la secte. Elle fera juger de ce que vaut le reste. Qu'on veuille bien seulement en excuser le caractère au moins étrange. Ce n'est pas nous qui imaginons de faire appel à de semblables textes. « Vierna, conjux Sicardi de Boyssa et de Granouillet, palam confessa est a quinquaginta religiosioribus ejusdem sectae nocte quadam fuisse stupratam, cum ipsa eisdem, vitae causa sanctioris, thoro viri spreto, conjunxisset2. »

Nous terminerons ici. Il ne nous déplaît pas, d'ailleurs, de voir l'inquisition ainsi défendue, car c'est d'elle, on ne doit pas l'oublier, qu'il s'agit toujours en cette affaire. Et voilà aussi l'utilité très réelle de livres comme celui dont nous avons essayé de donner une idée. En employant de pareils arguments pour justifier le tribunal extraordinaire institué par l'Église au début du XIe siècle, ils démontrent, mieux qu'on ne pourrait le faire par aucune autre voie, à quel point la justification en est difficile.

Charles MOLINIER.

1. Le même doute nous est inspiré par un autre passage du travail de M. K. C'est celui où, d'après une lettre de Grégoire IX du 13 juin 1233 (Potthast, Regesta, n° 9229), reproduisant elle-même une communication de Conrad de Marbourg, de l'archevêque de Mayence et de l'évêque d'Hildesheim, il décrit les rites secrets des Lucifériens. Ces rites ne sont que les pratiques supposées d'une sorcellerie répugnante et absurde, accompagnée bien entendu d'une monstrueuse promiscuité. M. K. déclare pourtant qu'on ne saurait les mettre en doute, que la réalité en est fondée sur des faits positifs « auf Thatsachen. » Voir p. 161-164. La lettre de Grégoire IX figure dans le Thesaurus novus anecdotorum, t. I, p. 950-953.

2. Labbe, Nova bibliotheca manuscriptorum librorum, t. II, p. 327.

Anjoukori okmánytar (Codex diplom. hungaricus andegavensis). 2e vol. publié par Emerich NAGY. Budapest, 1881.

Magyar országgyülési emlékek (Monumenta comitialia regni Hungariae). 7o vol. publié par W. FRAKNOI. Budapest, 1881. Erdélyi országgyülési emlékek (Monumenta comitialia regni Transylvaniae). 7° vol. publié par Alex. SZILAGYI. Budapest, 1884. Chacun de ces trois volumes publiés au nom de l'Académie hongroise par un de ses membres continue une collection de documents historiques. Leur caractère commun est d'intéresser plutôt l'histoire intérieure et administrative du pays que l'histoire des relations extérieures de la Hongrie qui a fait l'objet de publications parallèles; exemple, les Monuments de la diplomatie des rois angevins, édités par M. Wenzel, sur lesquels nous avons attiré l'attention des lecteurs de la Revue à ses débuts. Aussi, tout en constatant les services rendus par les habiles et soigneux éditeurs à l'histoire spéciale et détaillée de leur pays, nous nous bornerons à indiquer ce qui dans ces recueils nous parait être utile pour l'histoire générale de la civilisation européenne et de la politique autrichienne.

M. Nagy fait mieux connaître l'administration de Charles-Robert, le premier roi de la dynastie d'Anjou pendant les dix dernières années de son règne de 1322 à 1332. C'est l'époque où, sous des rois capétiens, par les progrès, à la fois de l'autorité royale et d'un régime féodal très soumis à la couronne, la Hongrie, jusque-là seule de son espèce par ses institutions sociales, entrait dans le concert européen. Un grand nombre d'actes royaux nous font assister à cette administration énergique, qui développait par la culture et par l'exploitation encouragée des mines les richesses du pays, et qui se montrait également résolue à écraser tout ce qui lui résistait, et à combler de faveurs tout ce qui l'aidait. Contre les despotes provinciaux qui depuis longtemps étaient les vrais rois de certaines régions et dont Mathieu Csak de Trencsén est resté le type effrayant, Charles-Robert déploie toutes les puissances d'habileté et de haine qui portaient si haut, en Hongrie comme en France et en Italie, sa glorieuse maison. Sur l'intensité de cette haine, que la ruine même des adversaires ne désarmait pas, voir les nos 137 et 260: il semble qu'on lit un des actes les plus violents de Charles d'Anjou ou de Philippe le Bel.

Les deux autres volumes nous transportent dans des époques où la Hongrie était beaucoup moins puissante, où la conquête ottomane partageait ce royaume mutilé entre trois dominations: celle du musulman, celle de l'empereur autrichien, celle du prince de Transylvanie, qui fut plus d'une fois le seul représentant de la nationalité hongroise, mais dans un État particulier. L'éminent secrétaire général de l'Académie, M. le chanoine Fraknói, continue à étudier les diètes hongroises de cette époque, celles qui se tenaient dans le tiers de la Hongrie soumis à la maison d'Autriche. Le tome VII va de 1582 à 1587. Il com

prend par conséquent deux diètes importantes, celle de 1582 et celle de 1587. Ces assemblées se réunissaient sous le règne de Rodolphe, l'un des empereurs les plus fanatiques de sa famille, mais sur l'obstination duquel l'emportaient le plus souvent une indécision maladive et les singulières préoccupations des sciences occultes. Nul prince ne fut plus antipathique aux Hongrois, peuple de caractère ouvert, que ce taciturne, et l'antipathie était tellement réciproque que Rodolphe mit à peine le pied dans le royaume de Saint-Étienne. Néanmoins le caractère parfaitement constitutionnel de la couronne magyare était pleinement reconnu par la cour; la quatrième pièce du volume, le long exposé de la situation et des demandes adressées par le trône à la diète de Presbourg en janvier 1582, pièce extraite par M. Fraknói des archives de Vienne, est du plus haut intérêt pour l'histoire de l'Europe centrale vers la fin du xvre siècle, et pour l'histoire de la monarchie des Habsbourg dans son ensemble. Les pièces suivantes, notamment la septième tirée du même trésor, nous font assister à une phase de ce long duo entre l'Autriche et les Hongrois, duo qui a été tantôt un duel, tantôt comme aujourd'hui un dualisme amical. Assez souvent, notamment dans ces deux diètes de 1582 et de 1587 que M. Fraknói fait si bien connaître par ses notices et par les documents, ce n'était ni tout à fait l'un ni tout à fait l'autre : des rapports tendus, qu'en 1587 l'approche de guerres atroces avec les Turcs rendait plus angoissants. A cette dernière date aussi, une curieuse correspondance s'engage entre les deux diètes de Pologne et de Hongrie; les Polonais, qui voulaient détourner leurs voisins de soutenir l'archiduc Maximilien, candidat d'une faible minorité à leur trône vacant, invoquent l'amitié traditionnelle des deux pays, et établissent entre les peuples et les princes une distinction que l'on pourrait croire toute moderne et occidentale (p. 247). — Nous signalons aux personnes qui s'occupent de la Croatie et de l'Esclavonie la dernière partie du volume de M. Fraknói, elles y trouveront l'histoire documentaire des assemblées tenues synchroniquement dans ces deux contrées.

M. Szilagyi, l'historien de la Transylvanie, continue à éclaircir l'histoire parlementaire de cette principauté. De 1614 à 1621, c'est la plus grande partie et la plus agitée du règne de Gabriel Bethlen (BethlenGabor disent nos précis d'histoire, lesquels pourraient ne pas ignorer, depuis le temps qu'on le leur dit, que le prénom en hongrois se met après le nom de famille, et que Gabor signifie Gabriel). Les diètes de Transylvanie ne sont pas d'ailleurs le seul objet de cette publication, il y a des choses d'un intérêt plus général. Le rôle même de ce prince éminent, sa situation difficile et dramatique entre l'empereur, ses ennemis protestants et les Turcs, entre trois religions et sept ou huit peuples; et par suite l'histoire prodigieusement riche et incessamment enrichie de la guerre de Trente ans reçoivent des lumières nouvelles des travaux de M. Szilagyi.

Au total, dans ce mouvement de publication des sources nationales

qui est un peu par toute l'Europe l'honneur de notre temps, l'Académie hongroise continue à occuper une noble et utile place.

Edouard SAYOUS.

Der Reichstag unter den Hohenstaufen. Ein Beitrag zur deutschen Verfassungsgeschichte von Carl WACKER. Eingeleitet von W. Arndt (Sixième fascicule des Historische Studien). Leipzig, Veit, 4882. 142 pp. in-8°. Prix: 3 marcs.

La grande histoire des institutions allemandes publiée par M. Waitz, de 1844 à 1874, a eu cet honneur de provoquer par toute l'Allemagne un mouvement de recherches et d'études qui dure encore. Bien loin de s'oublier dans la contemplation du monument que venait d'élever leur compatriote, les érudits allemands, se rendant compte des chances de durée que lui assurait le génie de l'architecte, ne songèrent plus qu'à le fortifier par une foule de travaux en sous-œuvre, destinés à le mettre un jour hors de pair. Les uns, prenant la truelle, bouchèrent les trous et cimentèrent plus étroitement les pierres que Waitz avait accumulées parfois à la grosse. Les autres recoururent au marteau pour aplanir les surfaces, redresser les angles et faire disparaître quelques saillies inutiles. M. Carl Wacker n'a pas lui-même d'autre prétention. Il veut de la même manière parfaire le grand édifice à l'un de ses étages, celui des Staufen, moins encore, à l'une des pièces de cet étage, celle des diètes de l'empire sous les Staufen, et il abrite modestement sa prétention sous le nom du professeur Arndt qui avait lui-même proposé cette tâche aux élèves de son séminaire historique. Toute difficile qu'elle était, l'entreprise a été menée à bien. Nous disons difficile, car enfin, si, dans les études de ce genre, les textes témoignent de quelque chose, c'est à la condition de savoir les interroger. Il n'y a jamais eu à cette époque d'ordonnance qui réglât dans tous ses détails la tenue des diètes, le mode, le temps et le lieu de leur convocation, la forme de leurs délibérations, leurs attributions exactes; jamais non plus il n'y a eu de véritables procès-verbaux de leurs séances. Or, chacun des points que nous venons d'énumérer fait l'objet d'un chapitre spécial dans l'opuscule de M. W. C'est dire avec quel soin l'auteur a dù rassembler les textes, chartes ou chroniques, qui pouvaient servir à son dessein, avec quelle critique il a su les examiner, en historien et en juriste à la fois, pour en tirer tant de renseignements précis que ces textes ne contenaient qu'en germe ou par incidence. Aussi la contribution apportée par l'auteur à l'œuvre de Joachim, de Franklin, de Roth et de Waitz est-elle assez sensible pour justifier aux yeux des plus exigeants cette reprise du sujet.

L'appendice du livre mérite aussi une mention. M. W. a dressé la liste des 130 diètes impériales tenues entre les années 1125 et 1247 sur tout le territoire du saint empire, en ne regardant comme telles touteREV. HISTOR. XXV. 2e FASC.

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fois que les assemblées où se trouvaient des représentants de toutes les parties de l'Allemagne. Pour bien établir ce dernier point, il n'a eu d'autre ressource que d'examiner les souscriptions des rares documents rédigés à l'occasion de ces assemblées, et de considérer la nature de leurs délibérations, la qualification de curia generalis, curia sollemnis donnée à la plupart des diètes n'ayant point paru garantir toujours suffisamment le fait de leur généralité.

Dans cette liste des diètes impériales figurent celles de Besançon (fin oct. 1157) et de Saint-Jean-de-Losne (comm. de sept. 1162) que M. W. mentionne en indiquant soigneusement, comme toujours, les diverses sources contemporaines où il en est question.

En résumé, travail très méthodique et qui satisfait de tout point aux exigences du sujet.

Alfred LEROUX.

Dei remoti fattori della potenza economica di Firenze nel medio-evo, considerazioni sociali-economiche, del dottor Giuseppe TONIOLO, professore di economia politica presso l'università di Pisa. Milan, Hoepli, 1882. 1 vol. in-8° de x1-220 p.

Nul ne s'étonnera sans doute qu'un professeur d'économie politique soit plus économiste qu'historien. On le voit à l'usage, je ne voudrais pas dire l'abus, de la terminologie plus ou moins barbare où se complaît la science qu'il enseigne, et aussi à la position qu'il prend devant l'histoire. Il ne prétend point remonter aux sources. Il tient pour autorités des auteurs modernes, MM. Reumont, Hartwig, Lastig, Villari, Capponi, Perrens. Il admet comme établi ce qu'il y trouve; il y prend les citations, les assertions même, et il bâtit là-dessus ses raisonnements. C'était son droit, étant donné ce qu'il voulait faire; et, comme il a beaucoup de lecture, on ne peut pas lui reprocher de bâtir en l'air. Tout au plus est-il permis de regretter qu'il invoque quelquefois des compilateurs tels que cet Inghirami, étonnant auteur d'une histoire de Toscane, qui prend dans Sismondi ses citations d'Ammirato, et donne bien d'autres preuves d'un travail superficiel, léger à l'excès.

Il faut donc, et M. Toniolo ne nous en voudra pas, jeter à la mer l'historien qu'il y a en lui, et ne conserver que l'économiste. Pour justifier ce procédé, je ne prendrai qu'un exemple dans les passages, d'ailleurs assez rares, où notre auteur s'aventure sur le terrain de la critique historique.

A la p. 60, note 2, M. Toniolo dit : « On admettait jusqu'à présent, et Perrens l'affirme encore (I, 109), que la première fois où se trouve le nom de consuls de la ville, c'est dans un document de 1002 sur Pegna... Ce document n'est pas faux, mais la date est une erreur de copiste; il faut lire 1182, comme il résulte d'autres indications du document. » Voici les observations que suggèrent ces lignes :

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