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CORRESPONDANCE.

LETTRES DE M. A. PROST ET DE M. FUSTEL DE COULANGES

(A PROPOS DE L'IMMUNITÉ MÉROVINGIENNE.)

Monsieur,

18 mars 18841.

J'ai reçu le numéro de la Revue que vous avez eu l'attention de me faire adresser, et dont je vous remercie. J'y trouve, avec les observations que vous avez bien voulu accueillir, la réponse de M. Fustel de Coulanges qui me cause quelque étonnement. M. F. de C. paraît tenir beaucoup à écarter l'idée que je puisse être quelquefois d'accord avec lui, et à montrer que nos opinions sont au contraire plutôt différentes. Cela pourrait bien être sur certains points, comme je l'ai annoncé; mais cela n'est pas sur le sens de la locution Causas audire et du mot fredum, seuls objets des observations auxquelles il veut bien répondre.

Pour l'interprétation de la locution Causas audire, dont le sens est juger, exercer la juridiction, M. F. de C. ne saurait contester davantage que nous étions lui et moi d'accord, quoi qu'il en ait dit. Mais cela importerait peu maintenant, suivant lui, et au moins serions-nous en dissentiment, il le craint, dit-il, sur le caractère des restrictions édictées par le privilège d'immunité touchant l'exercice de cette juridiction. Il ne se trompe pas cette fois; car c'est là le point principal des réserves que j'aurais à faire et que j'ai annoncées sur ses appréciations. J'y reviendrai.

Pour ce qui est du fredum, M. F. de C. m'a relu, dit-il. Je constate cependant qu'il ne me comprend pas encore. La faute en est à moi certainement; car c'est à moi de m'expliquer assez clairement pour que ma pensée se présente au lecteur sans ambiguïté. Je vais tâcher de le faire.

M. F. de C. a cru et il croit encore que je rejetais l'interprétation communément admise pour le mot fredum, et que je voulais en substituer à celle-là une autre à laquelle je donnerais pour tout fondement un texte unique, et de plus modifié, dit-il, par moi; autant dire, comme ne manqueront pas de le faire ceux qui lisent entre les lignes, falsifié pour les besoins de la cause. Voilà ce que j'ai pu donner à penser. Je me suis évidemment fort mal expliqué. Voici au contraire ce que je voulais dire, ce que je crois avoir dit.

1. Cette lettre ayant été égarée par accident, nous n'avons pu la publier en mai. Voyez la lettre de M. Prost et la réplique de M. Fustel de Coulanges t. XXIV, p. 357.

-

1re Thèse. Je signalais d'abord, mais sans y insister, parce que cela ne me semblait pas nécessaire, l'interprétation communément admise, et qui n'a jamais été contestée, du mot fredum. Je m'exprimais ainsi : « Le fredum était la part du fisc dans la compositio due pour un «< crime, pour un délit ou pour une injure à celui qui en avait été vic«< time, en réparation du tort qu'il avait subi. Cette part du fisc était « ordinairement le tiers de la compositio. »

2o Thèse. — Je rappelais ensuite que le fredum payé ainsi au souverain pouvait être considéré comme une amende pour violation de la paix publique; opinion généralement admise, disais-je, et fournissant à ce sujet une justification que M. F. de C. a cru s'appliquer, non à cette 2e thèse, mais à la première. De là vient son erreur en ce qui me

concerne.

3o Thèse.

Mentionnant alors un texte de la Lex Ripuar. où le mot fredum ne semble pas s'accorder avec son interprétation ordinaire, je proposais pour ce cas particulier une interprétation spéciale du mot fredum, en disant d'où pouvait venir cette singularité d'une double interprétation du même mot. J'essayais ainsi d'expliquer, après l'avoir préalablement restitué, ce texte évidemment altéré qui, sans ces modifications, est, ce me semble, absolument inintelligible.

Voici le texte en question, avec les changements, entre parenthèses, que j'ai proposé d'y introduire :

« Nullus judex fiscalis de quacumque libet causa freda non exigat, prius quam facinus componatur..... Fredum autem non illi (ille?) « judici tribuat cui (qui?) culpam commisit, sed illi (ille?) qui solutio« nem recipit, tertiam partem coram testibus fisco tribuat, ut pax per< petua stabilis permaneat. >> -Lex Ripuar - Baluze, Capitul. I, 52. Les trois corrections que j'ai cru devoir introduire dans la version empruntée à Baluze sont pour ce qui est des deux dernières justifiées par le même texte reproduit avec ces deux corrections dans un capitulaire de Charlemagne, Excerpta ex lege Longobard., XXXII. Cf. Baluze, Capitul. I, 354. La deuxième correction est de plus confirmée encore par une glose citée dans l'édition de Pertz (Leges, IV, 510, no 125), et qui porte Non illi judici tribuat scilicet reus qui culpam commisit, sed ille qui solutionem recepit. »

C'est, je le répète, pour l'explication particulière de ce texte que j'ai proposé une interprétation spéciale du mot fredum applicable à ce cas seulement. Il ne s'agissait nullement de substituer à l'interprétation ordinaire une interprétation nouvelle. Il s'agissait seulement d'introduire celle-ci, à titre d'exception, à côté de la première conservée avec son caractère général. Cette pensée était clairement exprimée dans le passage suivant, qui termine la discussion: Ces considérations tendraient à faire croire que le fredum aurait pu avoir une double origine, dont il subsisterait des traces distinctes dans la législation des « capitulaires. Dans l'un et l'autre cas, le fredum serait bien le prix de la paix, pacis pecunia, friedensgeld comme disent les Allemands;

CORRESPONDANCE.

LETTRES DE M. A. PROST ET DE M. FUSTEL DE COULANGES

(A PROPOS DE L'IMMUNITÉ MÉROVINGIENNE.)

Monsieur,

18 mars 18841.

J'ai reçu le numéro de la Revue que vous avez eu l'attention de me faire adresser, et dont je vous remercie. J'y trouve, avec les observations que vous avez bien voulu accueillir, la réponse de M. Fustel de Coulanges qui me cause quelque étonnement. M. F. de C. paraît tenir beaucoup à écarter l'idée que je puisse être quelquefois d'accord avec lui, et à montrer que nos opinions sont au contraire plutôt différentes. Cela pourrait bien être sur certains points, comme je l'ai annoncé ; mais cela n'est pas sur le sens de la locution Causas audire et du mot fredum, seuls objets des observations auxquelles il veut bien répondre. Pour l'interprétation de la locution Causas audire, dont le sens est juger, exercer la juridiction, M. F. de C. ne saurait contester davantage que nous étions lui et moi d'accord, quoi qu'il en ait dit. Mais cela importerait peu maintenant, suivant lui, et au moins serions-nous en dissentiment, il le craint, dit-il, sur le caractère des restrictions édictées par le privilège d'immunité touchant l'exercice de cette juridiction. Il ne se trompe pas cette fois; car c'est là le point principal des réserves que j'aurais à faire et que j'ai annoncées sur ses appréciations. J'y reviendrai.

Pour ce qui est du fredum, M. F. de C. m'a relu, dit-il. Je constate cependant qu'il ne me comprend pas encore. La faute en est à moi certainement; car c'est à moi de m'expliquer assez clairement pour que ma pensée se présente au lecteur sans ambiguïté. Je vais tâcher de le faire.

M. F. de C. a cru et il croit encore que je rejetais l'interprétation communément admise pour le mot fredum, et que je voulais en substituer à celle-là une autre à laquelle je donnerais pour tout fondement un texte unique, et de plus modifié, dit-il, par moi; autant dire, comme ne manqueront pas de le faire ceux qui lisent entre les lignes, falsifié pour les besoins de la cause. Voilà ce que j'ai pu donner à penser. Je me suis évidemment fort mal expliqué. Voici au contraire ce que je voulais dire, ce que je crois avoir dit.

1. Cette lettre ayant été égarée par accident, nous n'avons pu la publier en mai. Voyez la lettre de M. Prost et la réplique de M. Fustel de Coulanges t. XXIV, p. 357.

1re Thèse. Je signalais d'abord, mais sans y insister, parce que cela ne me semblait pas nécessaire, l'interprétation communément admise, et qui n'a jamais été contestée, du mot fredum. Je m'exprimais ainsi « Le fredum était la part du fisc dans la compositio due pour un «< crime, pour un délit ou pour une injure à celui qui en avait été vic« time, en réparation du tort qu'il avait subi. Cette part du fisc était « ordinairement le tiers de la compositio. »

2e Thèse. Je rappelais ensuite que le fredum payé ainsi au souverain pouvait être considéré comme une amende pour violation de la paix publique; opinion généralement admise, disais-je, et fournissant à ce sujet une justification que M. F. de C. a cru s'appliquer, non à cette 2 thèse, mais à la première. De là vient son erreur en ce qui me

concerne.

3e Thèse. Mentionnant alors un texte de la Lex Ripuar. où le mot fredum ne semble pas s'accorder avec son interprétation ordinaire, je proposais pour ce cas particulier une interprétation spéciale du mot fredum, en disant d'où pouvait venir cette singularité d'une double interprétation du même mot. J'essayais ainsi d'expliquer, après l'avoir préalablement restitué, ce texte évidemment altéré qui, sans ces modifications, est, ce me semble, absolument inintelligible.

Voici le texte en question, avec les changements, entre parenthèses, que j'ai proposé d'y introduire :

« Nullus judex fiscalis de quacumque libet causa freda non exigat, prius quam facinus componatur..... Fredum autem non illi (ille?) « judici tribuat cui (qui?) culpam commisit, sed illi (ille?) qui solutio« nem recipit, tertiam partem coram testibus fisco tribuat, ut pax perpetua stabilis permaneat. » -Lex Ripuar! Baluze, Capitul. I, 52. Les trois corrections que j'ai cru devoir introduire dans la version empruntée à Baluze sont pour ce qui est des deux dernières justifiées par le même texte reproduit avec ces deux corrections dans un capitulaire de Charlemagne, Excerpta ex lege Longobard., XXXII. Cf. Baluze, Capitul. I, 354. La deuxième correction est de plus confirmée encore par une glose citee dans l'édition de Pertz (Leges, IV, 510, no 125), et qui porte Non illi judici tribuat scilicet reus qui culpam commisit, sed ille qui solutionem recepit. »

C'est, je le répète, pour l'explication particulière de ce texte que j'ai proposé une interprétation spéciale du mot fredum applicable à ce cas seulement. Il ne s'agissait nullement de substituer à l'interprétation ordinaire une interprétation nouvelle. Il s'agissait seulement d'introduire celle-ci, à titre d'exception, à côté de la première conservée avec son caractère général. Cette pensée était clairement exprimée dans le passage suivant, qui termine la discussion: Ces considérations ten<draient à faire croire que le fredum aurait pu avoir une double ori«gine, dont il subsisterait des traces distinctes dans la législation des capitulaires. Dans l'un et l'autre cas, le fredum serait bien le prix de la paix, pacis pecunia, friedensgeld comme disent les Allemands;

mais, dans l'un, il s'agirait de la paix publique violée antérieurement, « dans l'autre, d'une paix privée en quelque sorte, assurée ultérieure«ment entre les parties; » entre celui qui avait reçu et celui qui

avait été contraint de payer l'indemnité.

Il paraîtrait résulter de là que sous la dénomination unique de fredum se fussent confondues en quelque sorte les mentions de deux perceptions distinctes, analogues d'ailleurs, du fisc, correspondant à des usages différents, à des dispositions d'origine diverse, dont l'une, tombée en désuétude, n'aurait laissé de traces que dans le texte que j'ai essayé d'expliquer, et dont l'autre, restée au contraire en vigueur, se retrouverait dans tous les textes, sauf celui-là, qui mentionnent encore le fredum. Voilà ce que j'ai dit à propos du fredum. Je souhaiterais beaucoup, Monsieur, si cela n'était pas indiscret, que vous consentissiez à publier ces nouvelles observations. Elles pourraient attirer l'attention sur le texte assurément intéressant que je signale, et dont je ne me flatte pas d'avoir épuisé la discussion.

Loin de là. Je serais désireux au contraire d'avoir proposé une explication qui serait, je le déclare, plus satisfaisante que la mienne, si elle permettait de conserver au mot fredum dans ce cas, de même que dans tous les autres, sa signification ordinaire.

Veuillez agréer, etc.

Aug. PROST.

Baluze, en donnant les Capitul. excerpta ex lege Longobard. (tome I, p. 350), cite en manchette la Lex Longobard.

Je voudrais bien savoir quelle édition il vise. Je n'en puis trouver aucune où soient notées, comme il le fait, les Lib. Tit. et Ch.

L'édition de Pertz donne ces indications, mais ses mentions ne correspondent pas à celles de Baluze.

Cher Monsieur,

A. P.

6 juin 1884.

Vos lecteurs seront certainement enchantés de lire cette nouvelle lettre de M. Prost. Je me hâte de me mettre d'accord avec lui en les engageant à lire aussi son mémoire. Ils le trouveront dans la Revue historique de Droit, année 1882, pages 113-179 et 262-350.

Quant à l'article bien connu de la loi des Ripuaires, j'ai peut-être eu tort de dire que M. Prost l'avait modifié, puisqu'il dit dans sa lettre qu'il n'y a fait que « trois corrections. » Il trouvera d'ailleurs l'explication très simple de cet article dans l'édition de M. Sohm, Monumenta, Leges, t. V, p. 268, et, mieux encore, dans un document ancien, l'Expositio au liber Papiensis, Kar. M., & 125.

Recevez, etc.

FUSTEL DE COULANGES.

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