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mais non de l'employer eux-mêmes; ils sont aussi exempts du service de la milice. Il n'en est pas de même des procureurs et des sergents. Un procureur possède, en 1687, deux arquebuses, un mousqueton et six mousquets, sans compter six pertuisanes, quatre hallebardes, deux épées, cinq ceinturons, deux pistolets et deux poignards. Il a de plus une épée à garde d'argent supportée par une écharpe de guipure, un hausse-col de cuivre, un drapeau et un tambour. C'est aussi à coup sûr un officier de milice. Deux autres de ses confrères possèdent à la même époque, chacun sept fusils et deux épées. Un autre, en 1704, a une paire de pistolets et cinq épées; mais chez lui, il n'est plus question de fusils.

On conçoit mieux que les sergents royaux ou huissiers aient chez eux un petit arsenal'. Ils étaient quelquefois obligés de s'armer pour remplir leur ministère. Les trente-deux huissiers, qui accompagnèrent le lieutenant général de Troyes au château de Saint-Phal, furent sur le point d'en tenter l'escalade. Une commission du roi Louis XIII, datée de Perpignan, le 20 mai 1642, avait ordonné de lever une compagnie d'huissiers, par la raison que « leur profession les obligeant, à cause des captures, à porter quelquesfois les armes,» il pouvait << se rencontrer parmi eux des hommes capables de servir à la guerre. » Le bailliage de Troyes ordonne, le 19 septembre, à tous huissiers et sergents tant royaux que des seigneurs, de comparoir «< avec armes de guerre » pour qu'il fût dressé un « roolle de ceux qui pourraient servir sa majesté dans ses armées 2. » Aussi ne sommes-nous pas surpris de trouver chez des sergents des râteliers' garnis d'armes, moins nombreuses que celles des procureurs que nous venons de citer, mais cependant formant un ensemble assez varié et capable d'inspirer le respect 3.

Les ecclésiastiques n'ont des armes au XVIIe siècle que par exception. Ce n'est plus comme au xve et au xvie, où ils étaient souvent assujettis au service de guet et de garde. L'évêque Raguier, en 1474, avait une armure complète de couleur blanche; les chanoines portaient au besoin la cuirasse et la hallebarde. On trouve encore chez un chanoine, en 1662, trois fusils et trois « vielz pistolets, » et chez un autre, en 1693, deux arbalètes à jalet et un mousqueton. Il y

1. Arch. judiciaires de l'Aube, n° 1191, 1104, 1154, 1105, etc.

2. Commission du roy pour assembler les huissiers et sergents et en faire un roolle, afin de pouvoir une partie d'iceux servir Sa Majesté en ses armées. Troyes, par Antoine Chevillot, 1642, petit in-8° de 16 p.

3. En 1733, un huissier possède un fusil garny de cuivre, un autre fusil garny de fer avec un mousqueton (10 1.), une paire de pistolets d'arçon, un pistolet de poche, etc. (Arch. jud. Aube, n' 1112).

avait longtemps qu'on ne se servait plus d'arbalètes, et ces armes avaient pu être laissées dans la maison canoniale depuis longtemps.

L'abbé de Montier-la-Celle possédait, en 1662, dans sa maison de ville trois arquebuses, deux fusils et deux mousquets'. Peut-être, dans certains cas, voyageait-il escorté de domestiques armés. En 4662, les ecclésiastiques étaient dispensés de tout service militaire. dans les villes.

Les villes de l'intérieur perdent du reste, à cette époque, leur importance militaire. On leur enlève leur artillerie pour la transporter aux frontières. Cette opération fut faite à Troyes en 1682. Les remparts étant dégarnis, la milice n'avait plus sa raison d'être. Comme elle aurait pu vouloir défendre les privilèges bien diminués de la cité, l'intendant de Champagne fit enlever les chaines, qui étaient encore fixées au coin des rues et qui, en cas de trouble ou d'alarme, interceptaient la circulation 2.

Les compagnies de l'arquebuse et de la milice subsistèrent jusqu'à la Révolution, à Troyes comme dans la plupart des villes, mais avec une importance plus nominale que réelle. Les magistrats et les riches bourgeois se faisaient exempter; ils dédaignaient les fonctions d'officiers, parce qu'elles ne donnaient ni prestige, ni autorité. Une loi générale s'imposait de plus en plus à tous, et supprimait les distinctions qui dérivaient de la force matérielle des individus. L'aristocratie des villes, comme la noblesse, quittait ses armes offensives et défensives; elle comptait sur le pouvoir central pour défendre ses privilèges. Elle eut sans doute tort de se désarmer; car on ne défend bien ses droits que soi-même. La bourgeoisie, comme la noblesse, ne conserva plus que l'apparence de la force. Que l'on compare aux collections d'armes des bourgeois de 4623 et de 1686 celle d'un bourgeois de 1789. Celui-ci a un fusil à deux coups pour la chasse, une épée à garde d'argent et une épée de deuil. L'arme n'est plus qu'une parure, qu'il devient facile d'enlever aux nobles et aux bourgeois, et dont ils ne se soucieront plus par la suite, parce qu'elle a cessé d'être pour eux le signe et la garantie de l'autorité.

Albert BABEAU.

1. Arch. judiciaires de l'Aube, no 1236, etc.

2. Une de ces chaînes est conservée au musée archéologique de Troyes.

DIDEROT

ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE.

Les pages que voici ne sont pas, comme leur titre pourrait le faire supposer, une étude sur la puissante administration à laquelle La Reynie et Sartine ont attaché leur nom et qui attend encore un historien. Diderot a pris ici le mot de police dans l'acception que lui ont plusieurs fois donnée Pascal, Bossuet, Fléchier, Fénelon, Massillon, Montesquieu et Voltaire, c'est-à-dire dans le sens d'organisation politique. Le doute qui pourrait résulter de l'emploi de ce terme tombé en désuétude serait dissipé d'ailleurs dès les premières lignes. Ce que Diderot tente ici, ce n'est rien moins qu'une esquisse de notre histoire féodale et de nos origines parlementaires. Il ne faut, bien entendu, demander à cette rapide ébauche ni développements approfondis, ni exactitude absolue. Diderot écrivait à huit cents lieues de son cabinet, très probablement sans livres sous la main, et son but principal était de montrer à Catherine les dangers que, selon lui, les réformes de Maupeou faisaient courir à la monarchie française. L'occasion lui était bonne pour exalter en même temps la sagesse de sa bienfaitrice, tout occupée alors de donner un code à son empire. La Récapitulation qui termine cet essai nous en révèle l'instigateur et nous en fait voir le but; c'est M. de Narishkin qui avait demandé à Diderot de jeter sur le papier un historique des récentes révolutions judiciaires de la France, et Diderot se vante d'avoir emprunté les éléments de cet exposé aux actes particuliers et secrets de la magistrature. Comment se les était-il procurés à Saint-Pétersbourg ? C'est ce qu'il ne nous dit pas. Il reconnaît d'ailleurs lui-même qu'il a pu commettre de légères inexactitudes dans le récit des procédés du chancelier à l'égard d'Aiguillon; ce n'est point la seule faute sans doute qu'on pourrait reprendre dans ce résumé. Les préliminaires et les péripéties de la lutte de Maupeou ont trouvé un récent historien dans M. Jules Flammermont et c'est à son livre qu'il faudrait cons

tamment renvoyer le lecteur si l'on entreprenait une critique sérieuse de ce que le philosophe a dit de ces réformes et de leurs conséquences. L'avenir, en somme, a donné raison à Maupeou sur plus d'un point; mais les contemporains n'en jugeaient et ne pouvaient pas en juger ainsi. Nous applaudissons aujourd'hui à la largeur et à la supériorité de ses vues; en 1773, Maupeou n'était aux yeux d'un grand nombre qu'un ambitieux, servi par des comparses médiocres ou décriés pour apprécier sainement une révolution, il ne faut pas y avoir assisté.

Au moment où celle-ci se produisit, Catherine était, comme elle le disait elle-même, en pleine législomanie, et une circonstance presque puérile, l'embargo mis pendant quelques jours par la censure sur une traduction de son Instruction aux députés, avait donné encore plus d'éclat à ces velléités pour lesquelles Voltaire n'avait pas assez de louanges hyperboliques. S'il est vrai que Catherine faisait de l'Esprit des lois son bréviaire, comme ses flatteurs ne se lassaient pas de le répéter, elle se l'était si parfaitement assimilé qu'elle en a reproduit des paragraphes entiers dans sa fameuse Instruction pour la commission chargée de dresser le projet d'un nouveau code de lois. Diderot s'en était-il aperçu ? C'est bien probable, mais il n'eut garde de le dire, car il aurait à cela d'autant plus mauvaise grâce que son érudition historique était, comme celle de presque tous ses contemporains, en partie puisée dans l'immortel livre de Montesquieu; le surplus lui venait du président Hénault et même de l'abbé Dubos.

S'il m'eût fallu relever ici ces plagiats involontaires, ces réminiscences ou ces allusions, j'aurais dù placer une note sous chaque paragraphe, presque sous chaque ligne du texte. Je ne voulais pas abuser ainsi de l'hospitalité de la Revue historique et j'ai borné mon commentaire à quelques éclaircissements indispensables. Il me reste à dire que ces pages, rigoureusement inédites, sont empruntées au manuscrit dont j'ai donné déjà d'importants extraits dans la Nouvelle Revue et qui appartient à la Bibliothèque particulière des czars, au palais de l'Ermitage.

Maurice TOURVEUX.

ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE.

Ce ne sont point des maximes, ce sont des faits.

1. La nation française secoue le joug des Romains. Un héros est élevé sur un pavois. La loi salique est rédigée dans trois assemblées. Le prince et la loi sont institués en même temps.

Sans la loi, rien n'aurait été fixé. Sans l'autorité, la loi n'aurait point eu d'exécution.

Pour assurer l'exécution de la loi, les Français déposent entre les mains du roi toute la puissance publique. Voilà la première faute, le péché originel. Déposer entre les mains d'un roi toute la puissance publique, ce n'est pas seulement lui conférer le pouvoir de faire exécu ter les lois ou de les ramener à leur pureté, à leur activité première, quand elles l'ont perdue, c'est lui accorder bien davantage, ainsi que le temps ne manque jamais de le prouver.

2. Dans le commencement, les rois, convaincus que cette puissance publique n'était qu'un dépôt, se conduisirent en conséquence; ils sentirent que toucher à la législation n'était point une affaire d'autorité souveraine. De là ces conseils nombreux assemblés dès les premiers âges de la monarchie. Aucune disposition souveraine ajoutée à la loi salique sans le suffrage des principaux de la nation.

3. Les lois s'anéantissent dans le déclin de la maison de Clovis. 4. Charlemagne les renouvelle et tire la loi salique de l'oubli. Il recueille les décrets des rois. Il y ajoute ses capitulaires. Et qu'est-ce que ces capitulaires? Les vœux d'un peuple qui délibère avec son souverain sur des intérêts communs. Victorieux et redouté, quoiqu'il pût tout, Charlemagne fit alors ce que Catherine II fait aujourd'hui. Aussi ce Charlemagne de France et cet Alfred d'Angleterre, son contemporain, n'étaient pas des hommes ordinaires. Si Sa Majesté fait peu de cas du premier, c'est qu'elle a le droit d'être difficile en grands souverains. Mais qu'arrive-t-il ? C'est que les lois périssent sur la fin de la seconde

race.

Sa Majesté Impériale concevra combien la législation mise sous la sauvegarde d'un seul homme est vacillante et de peu de durée. C'est la nation même qui doit en être la conservatrice d'âge en âge, condition qui suppose des lois simples, un code qui puisse être entre les mains des sujets dès la plus tendre enfance. Les prêtres ont été bien plus adroits que le roi. Mais peut-être que Catherine II est la première souveraine qui ait sincèrement désiré que ses sujets fussent instruits.

5. Des usages suppléent pendant des siècles aux lois oubliées, c'est-àdire qu'on en use ainsi, parce qu'on a continué d'en user ainsi; quelle singulière base de police et de tranquillité publique !

6. Le droit romain paraît. Je ne sais quel rapport il pouvait y avoir entre le droit romain et la constitution d'un gouvernement féodal dans toute sa férocité.

Le fait est que les usages se modifient insensiblement par l'apparition de ce droit, ainsi que Sa Majesté Impériale voit elle-même les pensées de ses sujets se modifier par l'apparition de son code ou de son instruction.

Et comment cette modification se fit-elle ? Füt-ce par la connaissance que la nation ou le souverain prit de ce droit? Nullement. Est-ce qu'une nation barbare lit? Est-ce qu'une nation policée lit un ouvrage de droit? Est-ce qu'un souverain lit? Oui, une fois, tous les quatre ou cinq cents ans, sous le pôle.

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