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tel qu'il nous est parvenu témoignent en faveur d'un original authentique, mais il ne prétend pas cependant que la copie qui en a été faite au xe siècle et dont dérivent les autres ait une valeur absolue, qu'elle soit entièrement exacte et pure de toute interpolation.

Le privilège de 962 se compose de deux parties dont la première n'est que la continuation de celui de 817. Mais le rédacteur d'O' a-t-il connu l'original de L? M. S. le croit. Après avoir étudié les formules de O, il passe au contenu, en le comparant d'une manière continue avec L, et il traite avec beaucoup de soin la question des territoires. D'après lui, Louis le Débonnaire n'aurait point sanctionné toutes les cessions promises en 774, il s'en serait tenu plutôt aux conventions ultérieures conclues sous le règne de son père et dans la suite l'État de saint Pierre aurait subi quelques diminutions. Sur deux points importants, des territoires indiqués dans L ne se retrouvent pas dans O. Il s'agit d'abord d'une série de villes de la Campanie, Segni, Anagni, etc. Faut-il croire qu'elles ne se trouvaient pas dans l'original de L que le rédacteur de O avait sous les yeux ? M. S. ne l'admet pas et avec raison quelque explication que l'on propose, les villes en question faisaient partie, en 962, de l'État de saint Pierre. L'omission dans O du passage de L relatif à la Sardaigne et à la Sicile ne s'explique pas de même façon. Ce serait grâce à une interpolation que ces iles figurent dans L, opinion qui avait déjà été admise par les défenseurs sérieux de l'authenticité de cette pièce. A partir de cet endroit, l'ordre d'énumération n'est point le même dans les deux privilèges, non plus que toutes les clauses. Comme il me serait impossible de suivre ici M. S. dans la discussion de toutes les questions qu'il traite, je n'insisterai que sur deux points.

A un endroit le rédacteur de O reproduit la délimitation géographique qui se trouve dans le célèbre passage de la Vita Adriani relatif à la donation de 774. A diverses reprises M. S. s'est vivement préoccupé de la difficulté d'arriver à des solutions précises sur les donations de Pépin et de Charlemagne. Pour expliquer le silence des annalistes du vin siècle à cet endroit, il remarque que ceux du xe siècle ne parlent pas non plus du privilège de 962. Le rapprochement ne me paraît pas tout à fait exact le privilège de 962 était surtout un acte de confirmation, tandis que les donations de 754 et de 774, créant une situation nouvelle, devaient frapper plus vivement l'attention. La vérité est que le silence des contemporains de Pépin et de Charles n'est pas aussi absolu qu'on le croit, mais ils se sont contentés d'expressions vagues. Quant au fameux passage de la Vita Adriani, M. S. surprend chez le rédacteur l'intention d'être obscur, afin de mieux favoriser les intérêts de la papauté. S'agit-il des territoires dans leur intégralité, ou seulement, comme on l'a souvent soutenu, des patrimoines situés dans ces territoires? Pour M. S., les renseignements que donne la Vita Adriani repré

1. Pour plus de facilité j'emprunte les désignations adoptées par M. S. : 0 = Privilège d'Otto Ier; L = Privilège de Louis le Débonnaire.

sentent non point la réalité, mais les désirs de la cour romaine. Il en donne cette preuve que depuis Pépin (ainsi qu'on en peut juger par la Vita Stephani) tous les pactes de donation procédaient à l'énumération des villes et des territoires: si cette méthode ne se retrouve pas dans la Vita Adriani, c'est que le rédacteur substitue ses inventions à l'analyse exacte du pacte de 774 et M. S. essaie même de déterminer les sources écrites et les cartes dont il s'est servi. C'est là un argument nouveau et ingénieux qui mérite d'être mis en sérieuse considération. Il y a dans ces quelques pages des remarques qui éclairent mieux l'histoire des donations que les trois quarts des dissertations obscures qui se sont entassées sur ce sujet.

Plus loin, à propos des documents de 824, l'auteur établit, d'après le privilège de 962, qu'il a dû y avoir alors, outre la Constitutio et la Promissio que nous avons conservées, un pactum qui s'est perdu. Je n'avais pas encore lu cette partie du mémoire de M. S. quand j'avais supposé, dans un article publié ici, qu'une des pièces de 824 s'était perdue: mon hypothèse se trouve donc confirmée et précisée. J'ajouterai que, si ce Pactum s'est perdu, c'est probablement parce qu'il sanctionnait le droit de confirmation impériale. La cour romaine ne devait pas se soucier beaucoup de conserver ou de produire un pacte qui rappelait une de ses défaites et qui pouvait être invoqué contre elle. On pourrait objecter que le privilège de 962 fait des emprunts au Pactum de 824, et que cependant il n'y est pas question du droit de confirmation, mais du serment stipulé par la Promissio. Je répondrai que M. S. n'a point établi que les rédacteurs du privilège de 962 aient employé soit l'original, soit une copie authentique du Pactum de 824 on peut croire qu'ils se sont servis de copies expurgées. Il était d'autant plus facile de procéder à ces altérations que, ainsi que l'auteur le remarque lui-même, il n'y avait point d'archives impériales régulières et bien tenues où on pût trouver une copie authentique de ces actes; dans les négociations avec le pape, les représentants de l'empereur étaient presque toujours forcés d'accepter les documents tels que les leur présentait la cour pontificale. Enfin on peut observer que la plupart des emprunts faits par le privilège d'Otto aux documents de 824 proviennent soit de la Constitutio, soit de la Promissio. Le Pactum devait pourtant être bien plus développé et contenir, comme celui de 817, un long passage sur les élections: si les rédacteurs ne l'ont pas mis plus largement à contribution, c'est qu'ils ne l'avaient point in-extenso. M. S. croit que des archichapelains impériaux, Bruno de Cologne et Guillaume de Mayence, et des dignitaires de la cour romaine ont participé à l'élaboration du privilège de 962 : dans ce système je suppose que les Allemands ne connaissaient point le texte du pactum de 824, les Romains, qui ne l'ignoraient point, n'en produisirent qu'un texte tronqué et supprimèrent ce qui était le plus défavorable à la papauté.

Il faudrait un véritable mémoire pour faire connaître et apprécier toutes les observations ingénieuses que contient l'étude de M. S. Je n'ai voulu ici qu'en indiquer l'importance: elle est digne de la haute réputation scientifique de l'auteur et on peut assurer qu'elle rendra de

grands services à ceux qui s'occupent des mêmes questions, soit qu'ils en acceptent toutes les conclusions, soit qu'ils s'en écartent sur quelques points. M. S. est en effet de ces maîtres chez qui la pratique de l'érudition la plus minutieuse n'altère ni la netteté, ni la justesse, ni l'originalité du sens historique. C. BAYET.

Monnaies féodales françaises, par E. CARON. Paris, Rollin et Feuardent, 1882, in-4°.

L'étude de la numismatique, cette auxiliaire indispensable de l'histoire, a été facilitée depuis quelques années par la publication de quelques livres excellents. J'ai rendu compte, il y a peu de mois, dans la Revue du volume de M. Hoffman sur les monnaies françaises de la troisième race. Je dois signaler aujourd'hui à l'attention des lecteurs de cette revue un excellent ouvrage de M. Caron, intitulé Monnaies féodales françaises, et dont le premier fascicule vient de paraitre. Ce travail est destiné à compléter le grand répertoire publié par M. Poëy d'Avant sous le titre de monnaies féodales de France, qui lui-même avait avantageusement remplacé le traité de Tobiesen-Duby sur les monnaies des barons paru il y a près de cent ans. A peine terminé, le catalogue de M. Poëy d'Avant était devenu incomplet, de plus on lui reprocha des classifications parfois hasardées et une ignorance de la paléographie et de l'art héraldique qui l'avait entraîné à commettre un grand nombre d'erreurs; en outre, une recherche attentive dans les collections publiques ou privées et l'étude de nombreuses trouvailles faites pendant vingt ans ont permis à M. Caron de réunir un nombre respectable de monnaies nouvelles et intéressantes. Compléter et rectifier Poëy d'Avant, tel a été son but; il a suivi son plan, qui, malheureusement, n'est pas irréprochable, il s'est astreint, bien malgré lui, j'en suis sûr, à ne parler ni de la Flandre, ni du Cambrésis, de l'Alsace, de la Lorraine, de la Savoie, etc., autant de provinces françaises. Il est même moins complet que son devancier, ayant négligé de s'occuper des princes de Rethel, Sully, Bouillon, etc., et autres grands seigneurs qui cherchèrent aux XVIe et XVIIe siècle à constituer une féodalité nouvelle et ont affirmé leurs tendances en frappant monnaie. Ces monnaies sont sans valeur artistique, mais elles n'en constituent pas moins une des pages les plus curieuses de notre histoire numismatique. L'ouvrage complet se composera de trois fascicules, et je compte en parler de nouveau et avec plus de détails quand il sera terminé ; qu'il me suffise, pour le moment, de l'annoncer aux numismatistes et aux érudits. Le premier fascicule, le seul paru, contient les provinces suivantes : Ile-de-France, Bretagne, Anjou, Perche, Berry, Auvergne, Limousin; plus de 200 monnaies nouvelles sont décrites dans le texte et les types les plus intéressants sont gravés sur huit planches. Tous les savants qui possèdent l'ouvrage de M. Poëy d'Avant devront avoir celui de M. Caron, qui en est le complément indispensable. J. ROMAN.

Stato e Chiesa negli Scritti politici, dalla fine della lotta per le Investiture, sino alla morte di Ludovico il Bavaro (1122-1347), par Fr. SCADUTO. Florence, Le Monnier, 1882.

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Marsilio da Padova, riformatore politico e religioso del secolo XIV, par Bald. LABANCA. Padoue, Salmin frères, 1882.

Les maîtres de la critique historique en Italie, tels que MM. Villari, Malfatti, del Lungo, ont la satisfaction de voir se former derrière eux une compagnie nombreuse de disciples et de continuateurs fort habiles à explorer les recoins de l'histoire véritablement originale de la péninsule, à savoir: le moyen âge et le xvie siècle. Les deux monographies dont je veux rendre compte sont inspirées plus ou moins directement par les recherches de M. Villari au t. II de son Nicolò Machiavelli e i suoi tempi. L'éminent critique avait retracé, dans un chapitre curieux, la suite des théories politiques italiennes antérieures au Prince. MM. Scaduto et Labanca complètent ce tableau et analysent en détail, le premier, tous les traités écrits soit en Italie, soit en France, depuis le XIIe siècle jusqu'au milieu du xive, sur l'origine divine ou humaine des gouvernements, sur l'Église et l'Empire, leurs prétentions à la primauté universelle et l'antagonisme de leurs droits; le second, la vie et les doctrines de Marsilio de Padoue, le protégé de Louis de Bavière, l'adversaire résolu de la suprématie pontificale et le premier parmi tous ces théoriciens qui ait entrevu dans le consentement universel le fondement du droit social et de l'autorité politique. Les deux écrivains sont d'accord sur les idées essentielles de l'œuvre maîtresse de Marsilio, le Defensor Pacis, sauf une, la plus importante, peut-être, celle de l'État, entendu à la façon des modernes, l'État-nation, autonome, indépendant de toute souveraineté supérieure ou mystique. M. Labanca affirme (p. 126-128) que cette notion est clairement exprimée par le réformateur padouan; M. Scaduto, après M. Villari, est d'un avis contraire (p. 132). Selon lui, Marsilio n'a point dépassé la notion de l'État-cité, qu'il emprunte à Aristote plus encore qu'à la commune italienne du moyen âge. Or, cette idée apparaît déjà chez la plupart des prédécesseurs de Marsilio, dans le De Regimine Principum de saint Thomas, le De Potestate regia et papali de Jean de Paris. Sur ce point, M. L. me semble avoir cédé à un enthousiasme qui l'entraîne parfois un peu loin. Ne nous montre-t-il pas Marsilio comme « prophète de l'avenir, » précurseur de la Réforme et de la Révolution française? De la première, parce qu'il croit à la révélation individuelle du Saint-Esprit dans la conscience du fidèle et diminue le rôle médiateur du prêtre; de la seconde, parce qu'il considère le peuple, ou plutôt les citoyens les meilleurs (pars valentior civium) comme les gardiens les plus sùrs de la loi et les chefs naturels de la société, dont ils règlent par l'élection l'organisme entier (p. 220-222). Mais cette doctrine religieuse est au fond du christianisme même que les Italiens ont façonné selon leur génie propre, et, au XIIIe siècle particulièrement, elle s'est manifestée d'une façon éclatante

par la religion franciscaine et dans le sein de la société joachimite; quant à la doctrine sociale de Marsilio, où M. L. découvre même les germes du socialisme moderne, j'y verrais simplement l'application logique de l'idée dominante du Defensor Pacis, idée que je crois encore plus péripatéticienne que révolutionnaire. N'oublions pas que Padoue était au XIVe siècle, pour l'Italie, la forteresse du péripatétisme, comme Bologne était la métropole du Droit romain. La théorie démocratique de Marsilio a pour source principale la Politique d'Aristote. J'en trouve la preuve dans une contradiction assez grave. Si Marsilio écarte l'Église du gouvernement temporel du monde et la fait rentrer, dépouillée de toute immunité ecclésiastique, dans le droit commun et sous la loi commune de l'État, il laisse encore au gouvernail le prince œcuménique, l'empereur, qui préside à la direction générale du navire. C'est lui, par exemple, qui peut seul accorder au pape l'autorisation de réunir le concile universel. En d'autres passages du Defensor, le prince n'est plus qu'un monarque élu à vie par le peuple responsable et soumis au contrôle populaire. Or, si la notion démocratique de Marsilio avait été inspirée directement par l'expérience historique plutôt que par une tradition philosophique, par l'exemple des communes italiennes plutôt que par l'École, cette primauté de l'empire eut-elle ainsi persisté dans la théorie du réformateur? S'il y eut des communes gibelines, telles que Pise, leur attachement à l'empereur s'explique beaucoup par la terreur d'une commune inquiétante, telle que fut longtemps Florence pour ses voisins. Mais la commune italienne, considérée in abstracto, qui représente le mouvement d'indépendance des bourgeois et des petits seigneurs du contado, est hostile au saint-empire, c'est-à-dire à la haute féodalité, bien plus encore qu'au saint-siège. Enfin, les définitions que Marsilio donne du peuple, universitas civium, communitas civium, universitas fidelium, humanus legislator, répondent plutôt à ce que les historiens du xvIe siècle appellent l'universale, le peuple dans son ensemble et soumis au niveau égalitaire de la tyrannie du xve siècle, qu'à la société italienne des communes, société toute hiérarchique, dont tantôt la haute bourgeoisie, tantôt la moyenne bourgeoisie est la classe dirigeante, où l'individu se noie, non pas dans une foule homogène de citoyens égaux, mais dans une corporation limitée; où le gouvernement, en temps de paix civile, appartient non pas à la volonté populaire, au suffrage universel tel que Marsilio le conçoit, mais à des juridictions superposées de conseils et de magistrats élus par des corps électoraux distincts et fermés.

Nous touchons, il me semble, sur ce point particulier, au trait caractéristique de toute la littérature politique du moyen âge. Tous ces écrivains sans exception, les partisans de la suprématie ecclésiastique, tels que saint Bernard, Jean de Salisbury, saint Thomas et son école; les partisans de l'empire, tels que Dante et Marsilio de Padoue dans son traité de Translatione imperii; ceux de la France, tels que Pierre Du Bois, Jean de Paris et plusieurs autres avocats anonymes des préten

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