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soit composé de gens entièrement dévoués au système que Sa Majesté le roi va adopter à présent, qu'ils soient personnellement attachés au chancelier d'État qu'ils doivent épauler de tout leur pouvoir dans les mesures concertées, qu'ils aient pour eux l'assentiment de la France et l'opinion du public, et que surtout leurs possessions dans le royaume les attachent par leur propre intérêt au bonheur de ce pays. D'après mon opinion, le gouvernement devrait être composé

Du chancelier d'état, baron de Hardenberg, chef de tous les départements;

Du ministre des affaires étrangères;

Du ministre de l'intérieur ;

Du ministre des finances;

Du ministre de la guerre;

Du ministre de la justice.

Si j'avais un conseil à donner, je proposerais :

Pour ministre des finances, l'ancien ministre d'état, baron de Voss, le seul homme ici que je crois capable de remplir dignement cette place. Il a pour lui l'opinion de la France et celle du public, il est grand travailleur avec une grande routine d'affaires, il est attaché à ce pays par la grande fortune qu'il possède, il a donné dans plusieurs occasions des preuves de dévouement, et j'ajouterai que la voix publique l'appelle depuis longtemps à ce poste. Le chancelier d'état croit qu'il trouvera en lui un antagoniste à son système, sur l'attachement duquel il ne pourra jamais compter, et il se trompe.

Le chancelier d'état ne peut pas douter de ma sincère amitié pour lui, je lui en ai donné des preuvres trop réelles, et je réponds de M. de Voss et de ses sentiments pour le chancelier d'état comme des miens. Il y a, à la vérité, plusieurs choses dans l'arrangement actuel de l'administration actuelle que M. de Voss désapprouve, je partage ce sentiment avec lui et je n'ai jamais caché, là-dessus, mon opinion. Que le chancelier d'état et M. de Voss se voient une seule fois en ma présence, qu'ils s'expliquent avec cette franchise loyale qui les caractérise tous les deux, comme des hommes qui, tous deux, veulent le bien de la patrie, et ils s'entendront bientôt, j'en suis bien convaincu.

Le département des affaires étrangères se trouve aujourd'hui dans les mains du comte de Goltz, qui est vraiment le plus honnête des hommes et qui a des principes excellents.

Cependant, si les choses doivent marcher selon le nouveau système que l'on vient d'adopter, avec cette vigueur et ce secret qui deviennent absolument nécessaires, ce département ne peut pas, à ce qu'il me parait, rester dans les mains du comte de Goltz, qui a la faiblesse de ne savoir absolument rien cacher à personne et surtout à sa femme, et est au surplus d'une apathie qu'aucun événement ne peut émouvoir, et depuis son dernier voyage entrepris dans un des moments les plus décisifs, il a perdu la considération dans le public'.

1. Le comte de Goltz avait mené les négociations à Erfurt en 1808.

Si j'avais un conseil à donner, je nommerais le comte de Goltz qui, d'ailleurs, n'a pas démérité, ministre à Vienne. J'en rappellerai M. de Humboldt que l'intrigue et la secte y ont placé, d'autant plus qu'il ne sera jamais par conviction dans le nouveau système. Je rappellerais de Pétersbourg M. de Schladen, qui a intrigué dans tout ce qui s'est fait à Koenigsberg dans le temps où l'on travaillait à entraîner le roi dans une nouvelle guerre contre la France, et je le rappellerai avec d'autant plus de raison qu'il a demandé tout à l'heure un congé dans un moment où, avec un peu de tact, il n'aurait jamais dû en concevoir l'idée.

M. de Humboldt, si toutefois l'on trouve nécessaire de le conserver, pourrait alors être nommé à Pétersbourg, où désormais nous n'aurons pas des objets d'un grand intérêt à traiter. Je ne propose pas l'homme qu'il faudrait mettre à la place du comte de Goltz, parce que, pour le moment au moins, je ne sais pas trouver celui qui a les qualités requises pour ce ministère. Je pense qu'il serait bon de donner à celui que l'on nommera à la place du comte de Goltz la direction de la police secrète non seulement à Berlin, mais aussi dans l'intérieur du royaume.

Pour ministre de l'intérieur, je proposerais le conseiller d'état intime Schuckmann, qui est un homme ferme avec d'excellents principes; il est bon travailleur, il a du talent, il connaît le pays parfaitement, il sert depuis longtemps, il doit une grande partie de sa carrière au chancelier d'état, qui pourra compter sur lui à toute épreuve.

Le ministère de la justice est dans les mains de M. de Kircheisen, qui est un homme d'une grande probité, étranger aux sectes et à l'intrigue; il a le défaut d'être faible, mais, à coup sûr, il ne gâtera rien.

Le ministre de la guerre doit être un homme très ferme, capable d'en imposer au mauvais esprit qui a gagné les jeunes officiers et de rétablir cette discipline sévère sans laquelle il n'existe pas d'armée. Il faut que ses principes politiques pour le système actuel soient bien constatés, il faut qu'il soit connu comme tel en France et dans le public, et personne ne réunit à un plus haut degré toutes ces qualités que le lieutenant général de Grawert, gouverneur en Silésie, qui jouit d'une très grande considération méritée dans l'étranger et dans l'armée.

Ce n'est qu'à la hâte que j'ai tracé ce petit aperçu sur notre position extérieure et intérieure; je ne sais si je me suis trompé dans mes aperçus, mais ma conviction intime est qu'un ministère composé de cette manière peut seul nous valoir la confiance entière de la France, rétablir enfin le calme dans notre intérieur.

C'est au baron de Hardenberg, à l'ami qui m'a vu le même dans toutes les occasions et qui doit être convaincu de mon attachement, que je confie ces pensées qui ne doivent être que pour lui; il sait que, depuis la paix de Tilsitt, j'ai poursuivi sans relâche le but que je croyais seul capable de sauver mon pays, il sait que j'ai dit hautement mes opinions, malgré les persécutions inouïes que l'on m'a fait éprouver,

et, dans ma position, j'ai au moins la présomption qu'aucun autre intérêt secondaire ne peut influer mes opinions.

Berlin, le 6 janvier 1812.

Signé Le prince de HATZFELD.

C'était à peu près un an plus tard, au commencement de l'année 1813, que l'auteur de ce mémoire, chargé de nouveau d'une mission diplomatique, revint à Paris où, deux ans auparavant, il avait vu l'empereur, après la naissance d'un fils, au comble du bonheur. Que les temps étaient changés! La grande armée avait disparu, la Prusse commençait à secouer le joug que le traité du 24 février 1812 lui avait imposé, et les chefs patriotiques, que le mémoire du prince Hatzfeld avait dénoncés, travaillaient énergiquement à l'œuvre de la délivrance.

Alfred STERN.

LES PAPIERS DE SOULAVIE.

Bien que l'auteur des Mémoires de Richelieu et de l'Histoire de la Décadence de la Monarchie française ne jouisse plus de la bruyante renommée qu'il avait encore au commencement de ce siècle, on sait généralement que Soulavie ne fut pas seulement un fabricateur de mémoires apocryphes, mais qu'il fut aussi un grand collectionneur et que, dans sa bibliothèque riche en ouvrages rares, en plaquettes introuvables et en estampes historiques, il possédait une grande masse de documents authentiques et de lettres autographes précieuses, fruits de ses vols dans les collections publiques et privées à la fin du règne de Louis XVI et pendant la Révolution. On ignora longtemps ce qu'étaient devenues ces collections considérables; la biographie Michaud affirma qu'elles avaient été saisies par ordre de l'empereur à la mort de Soulavie, en 1813, et déposées aux archives des Affaires étrangères; plus tard, en 1862, M. Feuillet de Conches nia formellement ce fait important et déclara qu'il n'y avait dans ces archives qu'un seul volume provenant du cabinet de Soulavie'; M. Baschet, dans son excellente Histoire du Dépôt des Affaires étrangères, établit qu'au moins une partie des papiers de Soulavie était entrée dans ces riches archives; mais on sait que l'admirable livre de M. Baschet est un merveilleux tour de force et qu'il fut écrit presque entier sur des documents

1. Causeries d'un Curieux, Paris, 1862, in-8°, tome II, p. 472.

trouvés en dehors de ces archives, alors presque complètement fermées, même à leur historien; il n'est donc pas étonnant que M. Baschet n'ait connu qu'une partie de la vérité. J'ai eu le bonheur d'avoir communication des documents relatifs à la saisie pratiquée chez Soulavie, après sa mort, à la requête du ministre des Relations extérieures; ils m'ont paru mériter que l'attention des historiens fût appelée à nouveau sur les papiers de Soulavie; pour tous ceux qui s'occupent de l'histoire de la fin du XVIIIe s., cette question a d'autant plus d'intérêt qu'il paraît certain qu'il est sorti des papiers de Soulavie, depuis leur saisie, un certain nombre de publications, dont l'authenticité douteuse suscita de bruyantes et interminables polémiques, qui auraient été complètement inutiles si l'on avait su que ces publications faisaient en quelque sorte partie de l'héritage de Soulavie.

L'abbé Soulavie, en arrivant à Paris en 1778, se fit connaître comme un naturaliste éminent et, dès 1779, il lisait à l'Académie des sciences des fragments de son Histoire naturelle de la France méridionale, fort estimée encore aujourd'hui par les géologues. C'est seulement vers 1784, après la publication du huitième et dernier volume de ce grand ouvrage, que Soulavie paraît s'être occupé d'études historiques proprement dites et entreprit d'écrire une histoire du règne de Louis XV. Il profita des hautes relations qu'il s'était créées depuis six ans pour se faire introduire dans les bibliothèques et dans les archives privées, alors beaucoup plus facilement accessibles qu'aujourd'hui. Il travailla plusieurs années dans la bibliothèque du maréchal de Richelieu, dont les portefeuilles contenaient des richesses inappréciables; Soulavie déclare lui-même qu'il y vola la correspondance du maréchal avec son amante, Mlle de Valois, correspondance où, entre autres documents importants, se trouvait le manuscrit sur l'Homme au Masque de Fer dont il est parlé dans le rapport du comte d'Hauterive au duc de Bassano publié plus loin. Pendant les premières années de la Révolution, Soulavie eut encore plus de facilité pour grossir ses collections et pour continuer ses recherches; il eut entre ses mains tous les papiers secrets de Louis XVI, saisis tant dans les cachettes des Tuileries que dans celles de Versailles; et il est permis de penser qu'il s'efforça d'en garder quelques-uns pour lui. Cependant il ne faudrait pas croire que tous les documents possédés par lui furent le produit de larcins coupables, il en achetait parfois; c'est ainsi qu'il réunit à prix d'argent une grande quantité de pièces relatives au Secret

du Roi.

En même temps, à partir de 1789, Soulavie devenait un spécula

teur littéraire et s'ingéniait à exploiter l'énorme mouvement créé par la Révolution. Il renonça à la grande et sérieuse Histoire du règne de Louis XV qu'il préparait depuis longtemps, et il résolut de tirer des matériaux amassés par lui une série de publications lucratives. C'est alors qu'il forma une Société pour éditer la Collection historique des Mémoires du règne de Louis XV. On devait publier les mémoires de Duclos, de Massillon, du président Hénault, de Maurepas, d'Aiguillon, de Richelieu, etc., par livraisons d'environ cent pages paraissant le 10, le 20 et le 30 de chaque mois; la publication commença le 30 septembre 1790 et se continua au moins jusqu'après la 30 livraison, à la fin de 1791. On avait publié de cette manière la Correspondance secrète du cardinal de Tencin avec sa sœur, les premiers volumes de la Vie secrète du maréchal de Richelieu et de ses Mémoires, le premier volume des Mémoires de Duclos, les Mémoires de Maurepas et ceux d'Aiguillon. A la fin de l'année 1794, Soulavie se réconcilia avec son ancien libraire Buisson, qui continua la publication des Mémoires du règne de Louis XV, non plus en livraisons, mais en volumes; c'est ainsi que furent terminés les Mémoires de Richelieu en 1792 et 1793.

Une circonstance imprévue empêcha Soulavie de publier plusieurs autres ouvrages annoncés depuis longtemps, entre autres des Mémoires du duc de Choiseul. Nommé ministre résident de la République française à Genève, le 22 fructidor an II, il cessa ses publications et emporta avec lui ses collections. Ce fut l'occasion de son malheur. Arrêté le 7 vendémiaire an III, par ordre du Comité de Salut public, il n'eut pas le temps de mettre en sûreté tous ses papiers; il fut obligé de laisser à la légation une caisse qui fut pillée; elle contenait une petite partie des papiers du Secret du Roi, la première composition inédite des Mémoires de Louis XVI, la première composition des Mémoires de la Révolution et la suite des Mémoires de Duclos, dont la première partie seule avait été publiée. Pendant plusieurs années, Soulavie réclama vainement ses papiers ou une indemnité; il n'obtint aucun résultat et parut se décourager; il revint à ses premières occupations, en cessant toutefois de fabriquer des mémoires apocryphes; il craignait sans doute la censure. Il publia, en 4804, les Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, en 6 vol. in-8°, en 1803, l'Histoire de la décadence de la Monarchie française, en 3 vol. in-8°, et enfin, en 1809, 2 vol. de Pièces inédites sur les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Il faut croire que ces publications eurent peu de succès, car, depuis 4809, Soulavie ne cessa de fatiguer de ses réclamations l'empereur et le gouvernement. Il écrit au comte de Ségur, à Cambacérès; il publie, en 1810, deux

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