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La question des formes verbales en -r était entrée dans une nouvelle phase en 1869, lorsque M. Whitley Stokes fit remarquer que le celtique ne change pas s en r; non plus, d'ailleurs, que l'osque, au moins dans la période la plus ancienne que ses textes nous permettent d'atteindre. Dès lors, tombe la théorie ingénieuse de Bopp, à savoir que l'r du passif et déponent latin était un ancien s, reste du pronom réfléchi se, ayant subi le rhotacisme : amor = *amo-se. C'est le procédé dont le lithuanien a fait usage dans la formation des verbes réfléchis. Quant à l'origine de ces formes en r, elle resta tout aussi obscure. Il fut entendu qu'elles étaient propres à l'italique et au celtique, et comme la linguistique était très préoccupée d'établir les liens de parenté entre les membres de la famille indo-européenne si miraculeusement retrouvés, on n'hésita pas à former un groupe intime italo-celtique.

La question entra dans une nouvelle phase lorsqu'en 1875, un celtiste allemand, Windisch, exprima l'hypothèse que les formes celtiques et italiques se rattachaient aux formes indiennes en -r. Ce qui n'était qu'une hypothèse fut démontré par lui en 1887, et en même temps par un autre celtiste allemand, Zimmer. Leurs théories ont un point commun, c'est que les formes en -r ne proviennent originairement que de la 3e personne du pluriel. C'est l'état primitif que présente le sanskrit. Le celtique serait allé plus loin et serait arrivé à constituer un passif et un déponent. De fait, l'irlandais seul a développé le déponent comme le latin. Quant au mode d'évolution, les deux linguistes ont des théories fort divergentes.

Tel était l'état de la question quand M. Dottin l'a reprise. Laissant tout d'abord de côté la question de parenté des formes dans les trois groupes, la supposant non résolue, il les a étudiés indépendamment, dans chacun, à la lumière des lois propres à chaque groupe. Pour le sanskrit et le latin, les textes sont plus anciens; en revanche, on a affaire à des formes depuis longtemps mortes et sur lesquelles aucun descendant linguistique actuel ne peut nous renseigner. Dans les langues celtiques actuelles, les formes en -r sont encore vivantes. On peut donc et on doit consulter les dialectes modernes sur la prononciation et la valeur du suffixe formatif, tout autant que sur les constructions de ces formes. C'est ce qu'a fait M. Dottin avec la plus grande conscience, sans que les résultats aient répondu toujours à ses

efforts. Le travail terminé pour chaque groupe, il a comparé les résultats. Le principal, c'est que le déponent se serait développé en latin et en irlandais d'une façon indépendante et que le déponent irlandais, d'origine récente, ne peut être apparenté étroitement à la voie moyenne de l'indo-européen. Quant à la valeur primitive du suffixe -r, il émet l'hypothèse que r était peut-être, à l'origine, la caractéristique de l'impersonnel. Comme il le reconnaît d'ailleurs lui-même dans sa préface, le pluriel, l'impersonnel ou le passif sont trois modes de l'action verbale qui offrent entre eux le rapport le plus étroit legunt signifie en latin à la fois «< ils lisent, »« on lit; » legitur « on lit » et « il est lu; » Si nous entrons dans le détail de la thèse, nous trouvons discutées des questions d'un haut intérêt; pour le latin, par exemple, celle de l'origine de la 2e personne du singulier en ris ou re. Celle de la 2 personne du singulier déponent, en irlandais, me paraît heureusement résoluc : elle serait identique à l'impersonnel passif. La parenté de « on dit » et « tu dis » est indiscutable. En latin, on emploie la 2e personne du singulier pour traduire l'impersonnel. M. Dottin cite la glose irlandaise ancienne : Intan no labrither in cetni persin, que Zeus traduit par cum loqueris primam personam» et qui signifie tout aussi bien et en réalité « lorsqu'on parle à la première personne. »

D

L'auteur a peut-être été imprudent en paraissant faire reposer sa théorie de l'origine relativement récente du déponent irlandais sur une théorie originale de l'accent, mais qui soulève de sérieuses difficultés, quoiqu'elle renferme une part incontestable de vérité.

P. 179, l'auteur nous dit que l'a des formes galloises comme provator, molhator est difficile à expliquer, ainsi que l'o de brithottor. Je crois que les formes en -ottor de ce genre (canotor) sont formés sur les futurs en -awt. Quant à l'a, il peut s'expliquer par l'accent. Ce peut être l'équivalent d'un o̟ (ā) ancien non accentué : cf. paratosi, préparer, et parawt, préparé. Les deux types brithottor et molhator seraient d'époque différente.

Llemitior a une variante llemittor qui est sans doute la vraie forme. L'auteur, au cours de sa démonstration du fait important et, à mon avis, décisif que les langues brittoniques ne possèdent, en réalité, que l'impersonnel, écarte avec raison les objections qu'a forinulées Thurneysen contre cette théorie: 1o c'est que le pronom de la 3o per

sonne du singulier peut manquer et qu'il est par conséquent virtuellement contenu dans le verbe, qu'il en est par conséquent le sujet; 2o les temps passés sont fournis à la conjugaison en -r par t =*todont le sens est passif et cependant la construction des pronoms est la même que pour les formes en -r. M. Dottin a raison de répondre sur le premier point que l'omission du sujet peut s'expliquer aussi bien dans l'hypothèse d'un régime que dans l'hypothèse d'un sujet. Il aurait pu ajouter que l'omission du régime n'est presque toujours qu'apparente. Dans la poésie galloise, chaque fois que le sujet ou régime précède, il est séparé du verbe par la particule relative a, exprimée ou sous-entendue c'est une affaire de métrique (1).

On répondra que a peut être sujet ou régime. Dans ce cas, l'analogie doit décider. Il est contraire à la logique de supposer que cet a soit sujet, puisque aux autres personnes le pronom est nettement régime. On ne peut trancher directement la question pour la 3o personne que dans le cas où le verbe est précédé de la négation. Dans le plus grand nombre des cas, le pronom complément n'apparaît pas : c'est qu'il a été fondu ou élidé par ny. Il y a deux constructions en usage avec ny: ou les explosives sourdes deviennent spirantes sourdes, ou elles deviennent explosives sonores (2). La raison de cette différence est sans doute dans la présence du pronom, au moins primitivement, car à l'époque des textes il ne me paraît pas que la langue ait nettement conscience de ces différences. Mais on trouve avec les formes en -r, en gallois, un pronom qui, d'après l'usage de la langue, ne peut être que régime, c'est s. Je relève chez un poète du XVe siècle, Robin Ddu o Fon:

Tyrau main nadd tir Mon ynt

Drwyddyn, ac nis diwreiddir (et on ne les déracinera pas) (3).

L'autre objection, M. Dottin y répond en disant que la construction des pronoms infixes avec les formes passives en -t- peut être due à l'influence des formes en -r, quand le sens primitif des formes en -t s'est effacé. La raison est peu convaincante. Il y en a une autre plus

(1) Cf. Livre Rouge, Skene, II, 96. Voir Twrnf glywher.

(2) Livre d'Aneurin, II, 78. 24, ny goffo e neges; Livre Noir, 7. 3: ni glivit, tu n'entends pas.

(3) Ceinion Llen. Gym., I, pp. 2, 18. 2.

nette, c'est que ces formes en -t avec régime ne sont pas des formes passives, ce sont primitivement des formes moyennes. En moyengallois, les formes en -at avec sens actif sont encore fréquentes. La plus connue est gwyddiat, il savait = *veidiato ou *vidiato.

L'explication donnée pour rym awyr, en gallois, me paraît juste. C'est une construction semblable à celle de bwyr chez Taliessin, que l'auteur n'a pas bien comprise dans ce passage:

Trugar Duw, dy gerenhyd

An bwyr gwar, anwar gwledig.

<< Dieu miséricordieux, que ton amour

Soit à nous doucement, redoutable maître. »

Supposons la composition de an bwyr (sit nobis) oblitérée, dans une construction de ce genre, la formule aura incontestablement le sens de donne-nous : c'est l'histoire de rym awyr.

L'avant-propos contient sur la méthode en linguistique, sur la façon dont on doit concevoir l'unité linguistique indo-européenne, sur les questions de parenté linguistique, des remarques aussi justes que profitables: il est à souhaiter qu'elles se répandent. Le rôle que peuvent jouer les dialectes vivants préoccupe à juste titre l'auteur. C'est là qu'est l'avenir de la linguistique. A la clarté des faits actuels s'évanouiront les conceptions nuageuses et d'autant plus séduisantes, où trop de linguistes se complaisent.

J. LOTH.

BIBLIOGRAPHIE DES ARTICLES DE REVUES

INTERESSANT LA BRETAGNE

1897

The Academy.

P. 49. L'épée d'Arthur était appelée Excalibur. M. Skeat ne se rappelle pas en avoir vu une explication. Rencontrant dans un manuscrit du XIVe siècle l'expression cultellum ex calibe, il croit que Excalibur a été amené par ex calibe. Un correspondant, M. Brown (p. 85), lui fait observer qu'il a proposé, lui dès 1894, as chalybs et vu dans byrn l'anglais brown.

M. Nicholson les met d'accord en leur représentant que Excalibur est venu du Caliburnus de Gaufrei de Monmouth et renvoie à son article de l'Academy (avril 1896). Lui, tire Caliburnus de cal-, stem, stalk et du latin eburnus.

M. Nicholson ignore lui-même que caliburnus est une déformation du nom gallois de l'épée d'Arthur, Caled-vwlch, qui entaille fortement. Gaufrei a eu sous les yeux probablement une forme écrite Calet-bulg. Il est probable que Caliburnus a passé par ́Caliburgus et 'Calebulgus (v. J. Loth, Mabinogion, 1, 200, 273).

Archæologia Cambrensis.

Pp. 125 et suiv. J. Rhys. Epigraphic notes.

Le savant professeur d'Oxford revient sur quelques-unes des

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