Page images
PDF
EPUB

féra entrer aux bureaux de la mairie de Nantes. Il y végétait dans un poste subalterne quand, en octobre 1855, on le décida à passer à la préfecture comme employé de 1re classe de la 1re division, avec un modeste traitement de 1,500 fr. L'Empire semblait alors d'une solidité à toute épreuve. Beaucoup de ses amis républicains s'y étaient ralliés. Le préfet, Henri Chevreau, fin lettré, et le secrétaire général, le baron de Girardot, ami des arts, tous deux capables d'apprécier la valeur de Chevas, surent l'attirer à eux et lui firent probablement de belles promesses qui s'envolèrent en fumée. La mort le trouva dans la même situation en 1861, car voici les termes de son acte de décès: « L'an mil huit cent soixante et un, le vingt-trois février, à midi, >> devant nous soussigné Charles Chesneau, adjoint et officier de l'état » civil, délégué de M. le Maire de Nantes, sénateur, commandeur de » la Légion d'honneur, ont comparu Pierre-François Potet, tailleur, » âgé de soixante-deux ans, demeurant rue de Bel-Air, et JosephAuguste-Marie Brouinsard, cordonnier, âgé de vingt-trois ans, >> demeurant passage Sainte-Anne, lesquels nous ont déclaré que » hier, à dix heures du soir, Monsieur Jean-Baptiste-Louis Chevas, » employé à la préfecture, célibataire, âgé de soixante-deux ans, né » à Pornic (Loire-Inférieure), fils des feus Jean-Baptiste Chevas et » Marguerite Gautier, est décédé en sa demeure, sise rue Sarrazin, > numéro premier. Les déclarants ont signé avec nous le présent acte » après lecture. (Signé) Brouinsard, P.-F. Potet et C. Chesneau. >>

L'acceptation de fonctions à la préfecture sous le gouvernement de Napoléon III avait sans doute brouillé Chevas avec ses amis du National de l'Ouest restés dans une opposition inflexible; c'est ce qui peut expliquer le silence des journaux de cette nuance au lendemain de sa mort.

Chevas avait dispersé des articles innombrables dans les journaux républicains et libéraux, le National de l'Ouest, la Vigie du Morbihan, l'Ami de la Constitution de la Rochelle, la Revue des Provinces de l'Ouest, etc., etc. Il avait écrit des vaudevilles, des nouvelles, des vers, sous différents pseudonymes (Voir le Répertoire général de biobibliographie bretonne, par M. René Kerviler, t. IX, pp. 182 et suiv.), mais en même temps il étudiait, à leurs sources, l'histoire et l'archéologie de la Bretagne.

Il avait été admis au nombre des membres de la Société acadé

mique de la Loire-Inférieure et, dans son compte rendu des travaux de cette société pendant l'année 1841, le docteur Gély, après lui avoir souhaité la bienvenue, disait : « M. Verger, auquel nous devons déjà » de curieuses recherches dans nos archives nantaises et des travaux >> sur les monuments de l'époque romaine, vient de s'associer avec » M. Chevas pour publier un résumé statistique et historique sur chaque commune du département; c'est là un travail immense pour >> lequel nos deux collègues ont déjà réuni beaucoup de matériaux. » Mais quand il fallut songer à publier le résultat des travaux des deux savants chercheurs, les difficultés qui se produisirent (surtout au point de vue financier, en présence de l'indifférence habituelle du public pour tout livre sérieux), rebutèrent M. Verger qui déclara abandonner l'entreprise et cette collaboration.

Chevas fut plus persévérant. De concert avec MM. Charpentier père et fils et Ci éditeurs, il résolut de faire paraître, par livraison de 90 à 100 pages in-4o, un grand ouvrage intitulé Statistique el Histoire des communes du département de la Loire-Inférieure par J. CHEVAS, avec des vues et des cartes dessinées par F. BENOIST.

La première livraison de 70 pages parut (1845), consacrée à la commune de Pornic, son pays natal. Elle était excellente mais fut la seule.

Malgré tout il ne se découragea pas. En 1852, il commença la publication de ses Notes historiques et statistiques sur les communes de la Loire-Inférieure. Le premier volume imprimé à Paimbœuf, chez Eugène Fetu, in-8° de 438 pages, Nantes, L. et A. Guéraud, est occupé par le canton de Bourgneuf.

Evariste Colombel, ancien député et maire de Nantes, en rendit compte à la Société académique en 1853, dans un rapport sérieusement étudié et justement louangeur.

En voici quelques passages:

« M. Chevas, disait-il, a une méthode à lui: cette méthode consiste » à rejeter tout ce qui est tradition, tout ce qui est version anté» rieure. Il n'admet que ce qu'il a vu. Pour aventurer un fait ou une » date, et c'est, après tout, l'histoire, il lui faut un acte... L'histoire » n'est pas un poème, c'est un inventaire en raccourci; tant pis pour >> ceux qui en font un pamphlet!... Droit féodal, usages, coutumes, » redevances, juridictions, tout lui passe par les mains, et il connaît

» tout... En compulsant des chartes, M. Chevas est devenu feudiste, >> ce qui n'est pas un mince éloge, et il a des aperçus que ne désa» vouerait pas Hévin et que signerait Merlin. »

Pour montrer avec quel soin l'auteur a fait son travail, Colombel remarque que, pour la seule petite commune des Moutiers, Chevas a analysé 179 titres.

En 1855, il fit un nouveau rapport également favorable sur le tome second de l'ouvrage dont le manuscrit était prêt pour l'impression. Le canton du Pellerin fait le sujet de ce volume. Malheureusement le défaut d'argent empêcha de l'imprimer, de même que les tomes suivants qui sont restés manuscrits; et cela est d'autant plus regrettable que rarement le département de la Loire-Inférieure a été l'objet d'études plus consciencieuses.

Avant ces publications historiques remplies de documents inédits, Chevas, sous le pseudonyme de J. C. Le Meder, c'est-à-dire le Chercheur, avait écrit le texte descriptif qui accompagne les dessins d'Hippolyte Lalaisse et de Félix Benoist dans le bel ouvrage intitulé : Galerie armoricaine, costumes et vues pittoresques de la Bretagne (2 volumes grand in-4°, Nantes, lith. Charpentier, imp. Vincent Forest, 1844-1851). Ces dessins, où les costumes sont coloriés, ont été faits lorsque, dans toute la Bretagne, les paysans portaient encore leurs vêtements nationaux si artistiques; ils sont exacts et inté

ressants.

En peignant les mœurs des populations bretonnes, Chevas a tracé souvent de fort jolies scènes. Son style est simple, clair, un peu sec, mais dit heaucoup de choses en peu de mots. C'est bien le style d'un homme qui admirait et apprenait par cœur les chansons de Béranger.

Quel que soit le jugement porté sur le caractère de Chevas, il faut reconnaître que ce fut un esprit très ouvert, un érudit, un travailleur que ne découragèrent jamais les insuccès et les persécutions, un Breton attaché du fond de l'âme à sa petite patrie. Son nom mérite à coup sûr de prendre place parmi ceux des hommes remarquables de la Bretagne, dans les Biographies où figurent déjà bien des personnages qui ne le valaient pas.

COMPTES RENDUS

Sylvestre Budes et les Bretons en Italie, par Léon Mirot, ancien membre de l'Ecole de Rome. Extrait de la bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1897-1898, Paris, Picard, in-8° de 80 pages.

L'Italie a été au XIVe siècle le rendez-vous des gens de guerre de tous les pays, Allemands, Anglais, Hongrois, Français. Ces aventuriers, d'ordinaire, ne combattaient pas pêle-mêle et confondus. Beaucoup des bandes que soudoyaient à l'envi, papes, seigneurs et grandes villes, avaient un caractère national, étaient formées d'hommes originaires du même pays, de la même province. Elles avaient de plus une organisation assez forte pour durer, pour conserver un certain temps leur cohésion; on peut donc écrire leur histoire. C'est ainsi que M. Durrieu nous donnait naguère un livre sur les Gascons en Italie. Le travail que nous annonçons est consacré à une compagnie de mercenaires bretons qui, vers la fin du XIV siècle, a joué en Italie un grand rôle politique et militaire. Son chef, Sylvestre Budes, était le propre cousin germain de Du Guesclin. Il se distingua d'abord dans la guerre contre les Anglais. Puis il passa avec ses compagnons au service du pape Grégoire XI, quand celui-ci, décidé à retourner à Rome, entreprit la reconquête de l'Etat pontifical. Les Bretons formèrent le noyau de l'armée que menait au delà des Alpes le cardinal légat, Robert de Genève. Nous ne pouvons songer à les suivre dans le détail de leurs opérations militaires, que M. Mirot raconte avec une érudition aussi minutieuse que sûre. Nous signalerons seulement deux épisodes particulièrement importants. D'abord l'effroyable sac de Césène; cette mesure atroce, qui pèse si lourdement sur la mémoire de Robert de Genève, fut conseillée par Sylvestre Budes, et provoquée (il faut le dire) par le massacre de quatre cents environ des siens par les gens de Césène. Puis, en 1378, quand, après la mort de Grégoire XI, les cardinaux, prétendant que l'élection d'Urbain VI

leur avait été arrachée par la violence, lui opposèrent Robert de Genève sous le nom de Clément VII, les Bretons suivirent naturellement leur ancien chef, qui représentait d'ailleurs la politique française. En 1379, Clément VII les lança (avec les Gascons de Bernardon de la Salle) sur Rome où résidait son rival. Malgré leur résistance acharnée, ils furent taillés en pièces à Marino et cette bataille eut des résultats décisifs, car elle détruisit l'espoir de Clément VII de s'emparer d'un seul coup de Rome et de son rival; et elle l'obligea à gagner Avignon, ce qui éternisa le schisme. Sylvestre Budes accompagna le pape en France; ses troupes se dispersèrent et se fondirent. « La réputation des Bretons survécut longtemps à leur disparition. Leur nom devint un terme générique sous lequel on désigna les troupes d'aventuriers. » Quant à Budes, il périt en 1380, décapité par ordre du bailli royal de Mâcon, pour des motifs mystérieux sur lesquels M. Micot n'est pas parvenu à faire la pleine lumière. Le plus probable est qu'on voulut châtier les « pilleries en royaume de France » dont il s'était rendu coupable.

E. JORDAN.

* **

Charles ROBERT. Expédition des Emigrés à Quiberon; le comte d'Artois à l'ile d'Yeu, Paris, Lamulle et Poisson, in-8° de XXVIII-372 pages.

Après tant d'autres, M. l'abbé Robert a entrepris de raconter l'expédition de Quiberon; et ceux même (je suis du nombre) qui ne seraient pas disposés à souscrire à toutes ses affirmations, très peu nuancées, à toutes ses appréciations, parfois très véhémentes, doivent tout d'abord rendre hommage à la clarté, à l'intérêt, à la vivacité de son récit, à l'étendue de son érudition, qui ne paraît avoir rien laissé échapper de tout ce qui s'est écrit d'important sur Quiberon, à ses recherches approfondies récompensées par d'heureuses trouvailles. Son livre se présente avec des conclusions si catégoriques qu'il est difficile d'en parler sans marquer ses propres positions. Je dois donc dire qu'il est plusieurs points sur lesquels le savant auteur ne m'a pas convaincu 1o Je crois très probable qu'il n'y a pas eu à Quiberon de capitulation régulière; si l'on entend par là une convention conclue entre les chefs de deux armées ennemies, de leurs plénipotentiaires,

« PreviousContinue »