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l'évêque de Tréguier, Mgr Le Mintier qui, lui, au contraire, s'était déclaré l'adversaire le plus prononcé des idées nouvelles. Plusieurs fois la tribune de l'Assemblée nationale devait retentir des accusations portées contre lui, de chercher à soulever la Bretagne, ou tout au moins son ancien diocèse.

Qui n'a entendu parler de ce fameux mandement du 14 septembre 1789, où il s'élevait contre les premiers événements de la Révolution, et où il s'attristait sur les malheurs du temps présent et à venir?

D'après lui, «< la religion était anéantie, ses ministres étaient réduits à la triste condition de commis appointés des brigands, on soulevait les gens de la campagne, on attaquait les châteaux. » D'après lui encore « les systèmes d'égalité dans les rangs et la fortune n'étaient que chimères, il fallait réclamer les anciennes lois, etc. (1) » En conséquence, il prescrivait dans son diocèse des processions expiatoires auxquelles tout le clergé séculier et régulier était appelé.

Les patriotes de la région s'en étaient émus et avaient provoqué à Tréguier une réunion de délégués de Pontrieux, de La Roche-Derrien, de Guingamp, de Châtelaudren et de Morlaix. C'est dans cette dernière ville qu'avait été imprimé le mandement. Il fut résolu que « la pièce incendiaire » serait déférée à l'Assemblée nationale par la voie du Garde des sceaux et transmise au procureur général du Parlement de Bretagne. La dénonciation était signée Le Briquir, Le Goaster, Dugoasmeur-Duportal, Le Bonniec, Kergomar, Le Roux Chef-du-Bois, De Launay-Provost, Le Roux, Brunot, Rivoallan, Arthur fils, Couston, Chrétien, Le Guillerm, Bidament, Dumont, Corlouer, Lasbleiz, Labiche, Lejeune, Le Vot, Briand, Stéphan, Guével, secrétaire, etc... (2).

L'instruction commença, mais, quand le 19 mars 1790, une

(1) Moniteur universel: Séance de l'Assemblée nationale du 15 octobre 1789. (2) Conférences ecclésiastiques : Le diocèse de Saint-Brieuc pendant la période révolutionnaire, t. II, p. 431.

commission du Présidial de Rennes vint informer sur l'effet produit par le mandement épiscopal, voici quel fut le langage de la municipalité de Tréguier:

...Nous manquerions à notre conscience, à la vérité, à ce que nous devons à notre prélat, si nous ne réclamions contre les calomnies dont on poursuit depuis longtemps un évêque qui est l'exemple de son diocèse et le père de ses peuples... Le jour où parut le mandement, quelques expressions mal interprétées en ont fait craindre les effets, mais le temps et l'expérience ont fait voir que cette crainte n'était pas fondée...

Peu de jours après, le prélat bénissait avec effusion réciproque les drapeaux de la milice (1). Désormais, la ville de Tréguier, qui, nous allons le voir, venait d'être sacrifiée et ruinée par la Révolution, allait perdre le peu d'enthousiasme avec lequel elle avait accueilli les idées nouvelles.

Après une longue instruction au Châtelet, Le Mintier réussit à se faire décharger d'accusation, grâce à une défense habile,

(1) Dict. de Bretagne d'Ogée : Nouv. édition, II. ...A notre avis, les continuateurs de cet ouvrage se trompent, lorsque commentant le discours de la municipalité à l'évêque, ils disent notamment « que l'intérêt commun faisait serrer les rangs, que le zèle de la municipalité à l'égard d'un mandement qu'elle avait dénoncé naguère, fut ralenti dans la circonstance. » La dénonciation, on l'a vu, partit du club de Tréguier, composé en très grande partie de gens étrangers à cette commune (Voir Annales armoricaines, 293). Au sujet de cette même affaire, nous relevons ceci sur le Registre des délibérations de la Commission de correspondance de la Roche-Derrien, à la date du 2 décembre 1789:

La Commission délibère sur un arrêté du bureau de correspondance de la ville de Tréguier du 27 novembre et la lettre du même jour de M. Couston président, MM. Leroux de Chef-du-Bois, Duval-Lisandini, Bonniec du Reyou, Le Bonniec-Kerjégu et le sieur Fiquenel secrétaire.

Après avoir murement examiné ledit aretté, Considérant que l'objet d'icelui et les circonstances y détaillées tendent directement à agraver la conduitte anthipatriotique de M. l'évêque de Tréguier, d'après des preuves qui pouvaient être administrées par la suite et les conférences que MM. les députés de différentes villes du diocèse doivent avoir ensemble demain trois de ce mois, ont d'une voix unanime nommé, pour aller les joindre à l'hôtel-de-ville de Tréguier, MM. Stéphan et Morel, auxquels deux députés ils donnent touts pouvoirs pour délibérer et prendre tel arretté qui sera trouvé convenable par la susdite assemblée que nous assurons de nos respects.

Le Corre, Le Goaster, Guégun, Plonevez, Lambert, Le Roux.

où il déclara catégoriquement qu'il n'avait jamais eu l'intention de soulever ses anciens paroissiens, et où il s'efforça de persuader aux juges que le mandement incriminé était copié textuellement dans les Pères de l'Église.

Ceci se passait le 14 septembre 1790.

Rentré à Tréguier, où, disent les continuateurs du Dictionnaire d'Ogée, il fut reçu triomphalement, le fougueux prélat ne tarda pas à lancer une autre instruction pastorale, encore plus enflammée, à laquelle se trouvait annexé un modèle de protestation contre la constitution civile du clergé. Dénoncé de nouveau et mandé à la barre de l'Assemblée nationale, il préféra cette fois s'abstenir de donner des explications, et passa à Jersey (14 février 1791), où il résida pendant plusieurs années (1).

(1) Voir séance de l'Assemblée nationale du 21 février 1791.

Le 13 novembre 1790, nous voyons le Conseil général du département protester contre des lettres de l'ex-évêque, à lui signalées par le club des Amis de la Constitution de Guingamp, décider qu'il sera enjoint au Directoire du district de Lannion de les dénoncer aux tribunaux, et arrêter qu'il en sera donné avis à l'Assemblée Nationale, au roi et au comité des recherches (Arch. des Côtesdu-Nord, Reg. des délib., 1, L. 15).

LE MINTIER (Augustin-René-Louis), né à Sévignac, diocèse de Saint-Malo, d'une famille noble, le 28 décembre 1729, fit ses études à Paris, y reçut les ordres et y devint docteur de Sorbonne. Après avoir été vicaire général de Mgr de Girac, d'abord à Saint-Brieuc (1766), puis à Rennes, où il le suivit (1769), Le Mintier, le 30 avril 1780, fut sacré évêque de Tréguier. Après avoir passé plusieurs années à Jersey, il s'était rendu à Londres où il est mort d'un accès de goutte, le 21 avril 1801. Ses cendres ont été ramenées à Tréguier en 1867. Sur Le Mintier. Voir Biog. nouvelle des contemporains, 1823. Biog. moderne, 1807. Biog. bretonne, 1852-1857. Annuaire des Côtes-du-Nord, 1840. Notice biog. sur Mgr R. L. Le Mintier, dernier évêque et comte de Tréguier, par F. M. PERSON: Prudhomme, Saint-Brieuc, br. in-18 de 15 p.: s. d. (mai 1867). TRESVAUX: Hist. de la persécution rév. en Bretagne (Réimpression), I, 9, 19, 31, 80, 91, 119, 144, 148, 190, 196, 234, 237, 423, 476. II, 254, 210, 392, 398, 407, 414. Moniteur P. DE COURCY: Arm. et nobiliaire. universel 15, 22 oct. 1789, 11 juin, 13, 17 août, 15 sept. et 28 nov. 1790, 15 fév. 1791. Rev. des Arch. des Côtes-du-Nord, fasc. 7, pp. 123-143. A. R. L. Le Mintier, dernier évêque de Tréguier devant le tribunal du district de Lannion (1791). Arch. des Côtes-du-Nord: Lettres du district de Lannion des 9, 16, 23 mars et 5 avril 1790 (Reg. de corresp. synoptique du département et du district de Lannion). (ld.) Dél. du Directoire du dist. de Lannion, 13 janvier, 7, 11, 18 mars, 13 avril 1791 et 6 février 1792. — (Id.) Lettre du Directoire du département du 17 nov. 1790. (Id.) Reg. des domaines nationaux, 1re origine : Délibération du 15 février 1792.- (1d). Reg. des délib. du Directoire du département, 6 août 1791.

Mais revenons à Le Roux de Chef-du-Bois.

Lors de la première formation des administrations, qui eut lieu au mois de mai 1790, bien que ne figurant pas sur la liste des électeurs, il fut élu membre du Département par 307 voix sur 514 votants.

Dans cette Assemblée, où il fut très assidu (ses signatures aux registres de délibération en font foi), il joua un rôle de quelque importance, et il n'est même pas rare d'y voir son nom figurer à côté de ceux des membres du Directoire, qui, lorsqu'ils se trouvaient débordés par la besogne, n'hésitaient pas à faire appel à son zèle, pour « les aider dans l'expédition des affaires courantes (1). » Bien que ces registres de cette époque contiennent de nombreuses lacunes, il est encore possible d'y rencontrer, en maint endroit, la preuve de son activité et de son dévouement à la chose publique.

A plusieurs reprises, nous le trouvons vice-président élu, avec voix prépondérante (23 novembre 1790, 18 juillet et 29 octobre 1792).

Le 16 novembre 1791, il fait un rapport au nom du bureau de la guerre; le 29 novembre 1792, il lit un autre rapport au sujet de la suppression des domaines congéables.

A l'heure où la Patrie est déclarée en danger, c'est Le Roux, vice-président qui est chargé avec trois de ses collègues, Launay-Provost, Denis et Toudic, de « rédiger une adresse aux citoyens du département pour leur rappeler tout ce que l'empire a droit d'attendre de leur dévouement et de leur patriotisme dans la grande circonstance où l'on se trouve. »>

Il est nommé successivement d'une foule de commissions : commissaire vérificateur (15 juillet 1790), commissaire pour contrôler les dépenses particulières de l'administration départementale (4 décembre); commissaire pour vérifier les comptes du district et les caisses des receveurs du district de Lannion

(1) Voyez notamment au registre tout le mois d'octobre 1792.

(8 décembre), commissaire pour la vérification des rôles de 1790 pour le district de Lannion (14 décembre), commissaire chargé de suivre les travaux des ingénieurs pour les grandes routes du même district (15 décembre 1791), commissaire pour surveiller l'armement des côtes et la défense des paroisses du littoral depuis la rivière de Tréguier jusqu'à Perros exclusivement (janvier 1792); commissaire pour fixer les limites et les débornements des paroisses du district de Lannion (10 mai 1792); commissaire (en même temps que cinq de ses collègues) « pour assister, sur l'invitation du professeur de rhétorique du département, à la pièce dramatique que représentent les jeunes élèves en terminant leur carrière scholastique » (juillet 1792); commissaire pour surveiller l'exécution de la «< loi relative au complément de l'armée. » (8 août 1792).

Le 12 mars 1792, l'Administration centrale l'envoie à Lannion, avec son collègue Prigent, « pour prendre des renseignements sur l'insouciance du Directoire de ce district à exécuter les arrêtés du Département du 23 janvier et 2 mars précédents >> et tâcher de réchauffer son zèle.

Le 26 août suivant, l'Administration centrale le charge, en compagnie du citoyen Jouannin, administrateur du district de Saint-Brieuc, de se mettre à la tête de la force armée à l'effet de rétablir l'ordre et de saisir les auteurs de troubles survenus à Yffiniac (1).

Le Roux fut réélu membre du Conseil général par l'Assemblée électorale qui se tint à Lamballe, le 11 novembre 1792, et jours suivants. Son beau-frère Stéphan, élu en même temps, mais pour la première fois, partagea alors ses travaux et tous

(1) Arch. des Côtes-du-Nord. Rég. de délib., 14, 15 et 16.

Cette émeute avait été causée par des gens de Quessoy et de Pommeret, qui, armés de bâtons, avaient dissous violemment l'Assemblée primaire qui se tenait à Yffiniac, chef-lieu du canton. La force armée, arrivée le lendemain au milieu de la plus grande effervescence, dut arrêter 29 individus, qu'elle ramena à SaintBrieuc. Ces troubles se renouvelèrent à Quessoy au mois de juillet de l'année suivante (id).

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