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Sur les événements postérieurs à la grande époque de 1788 et 1789, les histoires de la ville de Rennes sont ou superficielles ou erronées. Ducrest de Villeneuve et de Maillé ont consacré quatre pages aux années 1790 et 1791 (il est vrai que ces écrivains reportent la fédération au mois de juillet 1789) et quatre pages et demie à l'histoire de Rennes, au temps de la Législative.

Quant au récit de Marteville il est plus détaillé, plus vivant et plus exact. Mais dans les trente-cinq petites pages qu'il a consacrées à cette période, cet historien n'a fait que dépouiller et résumer rapidement le registre des délibérations de la Municipalité et le Journal de Rennes. Ce procédé, qui lui a permis d'ailleurs de signaler les incidents les plus mémorables, l'a malheureusement amené à négliger des faits qui ont passionné l'opinion publique, comme la réduction des paroisses de Rennes, en 1791, ou des actes révolutionnaires d'une importance capitale comme la vente des biens nationaux. Enfin, l'œuvre des deux grands corps administratifs qui siégeaient à Rennes, le Directoire du district de Rennes et le Directoire du département d'Ille-et-Vilaine, se trouve injustement reléguée au second plan. Sans doute, la Constituante a donné aux municipalités une autorité très grande, qu'elles ont su développer à la faveur du désordre général, mais il est contraire à la vérité historique de ne pas tenir compte de l'œuvre personnelle des corps administratifs et de leur action sur les municipalités.

Le bel ouvrage de du Châtellier sur la Révolution dans les départements de l'ancienne Bretagne renferme quelques pages sur des événements rennais d'un intérêt général, comme l'élection de Le Coz et le complot de La Rouerie, mais c'est surtout l'histoire du Finistère que du Châtellier a traitée pour cette période.

La question religieuse a été un peu mieux étudiée que le reste. Sur un point spécial, la situation du clergé rennais, soit séculier, soit régulier, avant la Révolution, il faut mettre hors de pair

le grand et savant ouvrage de M. l'abbé Guillotin de Corson : le Pouillé historique de l'archevêché de Rennes. Nous y trouverons des renseignements très précis sur l'état des monuments religieux, des couvents et des paroisses de notre ville, au moment où les lois religieuses de la Constituante sont venues les bouleverser.

Quelque désir que j'aie de n'être désagréable à personne. je ne puis me résoudre à considérer comme œuvre de science un livre qui, publié il y a un demi-siècle, a eu tout récemment, en 1892, les honneurs de la réimpression. Les violences de langage qui se rencontrent presque à chaque ligne de l'Histoire de la Persécution religieuse en Bretagne, par l'abbé Tresvaux du Fraval, lui donnent plutôt le caractère d'un pamphlet.

Vous retrouverez malheureusement ces violences de langage dans les Recherches et Notices de M. Kerviler sur les députés de la Bretagne aux États-Généraux et à l'Assemblée nationale constituante de 1789. C'est d'ailleurs dans l'abbé Tresvaux et dans l'ouvrage de M. Sciout sur la constitution civile du clergé que M. Kerviler a puisé ses renseignements sur le rôle des députés bretons dans cette affaire.

Dans le même ordre d'études la Biographie bretonne, de Levot, rend bien des services aux chercheurs, mais on est obligé de reconnaitre que les renseignements qui s'y trouvent ont toujours besoin d'être contrôlés et que ces Notices rédigées vers 1840, ont un peu le caractère de mémoires écrits sur des souvenirs souvent vagues et inexacts.

En l'absence d'ouvrages spéciaux sur telle ou telle partie de notre sujet, nous serons obligés d'avoir toujours recours aux documents contemporains, manuscrits ou imprimés (1).

Un groupement logique de ces textes doit tenir compte de

(1) Depuis que cette leçon a été prononcée, j'ai pris connaissance de l'étude que M. l'abbé Roussel vient de consacrer à Le Coz sous le titre suivant : Un évêque assermenté 1790-1802 — Le Coz, évêque d'Ille-et-Vilaine. — J'aurai l'occasion de revenir sur cet ouvrage.

leur origine politique. A ce point de vue, les trois partis politiques, que nous avons vus aux prises dans Rennes pendant toute cette période, ne sont pas également représentés dans les Archives.

Les documents émanant des démocrates rennais sont très rares. D'un côté, il ne reste que des détails insignifiants sur l'organisation des sections et leur rôle politique. De l'autre, le Registre des délibérations de la Société des Amis de la Constitution n'est pas dans les dépôts publics. Où est-il? Existe-t-il encore? Je n'en sais rien. Sa disparition est des plus regrettables, et nous sommes réduits à quelques brochures ou adresses qui sont, le plus souvent, muettes sur la société même qui les a publiées.

Pour suivre l'évolution de l'opinion démocratique à Rennes, je ne vois pas d'autre moyen que d'étudier le principal journal de notre ville à cette époque, ce que, dans le langage courant nos pères appelaient le Journal de Rennes. Je vous ai parlé l'année dernière du Bulletin de la correspondance de Rennes, que René Vatar fils, un des nombreux imprimeurs et libraires rennais de ce nom, avait commencé à publier le 1° mai 1789. Le journal a paru sous ce titre jusqu'au 15 juillet 1790 et sa collection forme 5 volumes in-8°.

Le 17 juillet 1790, il est devenu le Journal des départements, districts et municipalités de la ci-devant province de Bretagne, par une Société de patriotes. Enfin, le 1er décembre de la même année, il est devenu le Journal des départements, districts et municipalités de la ci-devant province de Bretagne et des Amis de la Constitution, titre qu'il a conservé pendant toute la période qui nous occupe.

Dès les premiers jours, le journal de Vatar, qui paraissait tous les jours, excepté le lundi, sans compter des suppléments assez fréquents, le journal de Vatar a été l'organe des revendications des démocrates rennais. C'est là seulement que l'on peut se rendre compte de la nature de leur opposition aux actes

des administrations rennaises. Le Journal de Rennes a pris parti contre Le Chapelier en 1791, et contre Le Coz en 1792. Je me borne d'ailleurs à signaler la nuance politique du Journal de Rennes, me réservant de consacrer une de nos séances à des recherches sur la Presse rennaise pendant la Révolution. Vatar avait un confrère dans le rédacteur des Affiches de Rennes, feuille hebdomadaire pour la Bretagne, qui, en février 1790, était dans sa 6° année, et dont le dernier numéro porte la date du 27 février 1792, époque à laquelle, achetée par Vatar, elle se fondit dans le Journal de Rennes. Comme celui-ci, les Affiches de Rennes étaient patriotes, mais il est difficile de les classer dans l'une ou l'autre des deux fractions de ce parti.

Le parti hostile à la Révolution est représenté surtout dans les dépôts publics par des brochures théoriques en nombre très considérable. Cependant nous aurons l'occasion de citer et de publier des documents manuscrits beaucoup plus curieux, que nous avons trouvés pour la plupart dans les dossiers des prêtres insermentés qui, depuis 1792, ont été jugés par le Tribunal criminel. Ces dossiers font partie des Archives du Palais, si riches en documents de premier ordre sur l'histoire du clergé insermenté et de la Chouannerie dans l'Ille-et-Vilaine.

Quant au parti constitutionnel, qui est resté au pouvoir jusqu'aux premiers jours de la République, il faut chercher l'expression de sa pensée et le résumé de son œuvre dans les Registres de Délibérations des trois administrations rennaises, collections complètes pour l'administration municipale et le Directoire de district, très incomplètes pour le Directoire de département. A côté de ces gros registres et des nombreuses liasses qui leur servent de commentaires, il y a lieu de citer un certain nombre de brochures que le département fit imprimer à ses frais pour éclairer les citoyens sur les grandes questions à l'ordre du jour; telles les Observations de Le Coz sur la constitution civile du clergé; telle encore l'Instruction de Lanjuinais et de Maingui sur la même constitution.

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Ainsi la Brochure est le procédé employé par tous les partis pour la propagation de leurs idées. De nos jours, le Journal a tué la Brochure. Sous la Révolution, le journal est l'exception. La liste est longue des brochures rédigées et publiées à Rennes pendant les trois années qui nous occupent. Malheureusement, le chercheur a beaucoup de peine à se procurer ces feuilles volantes ou ces petits livres. Le savant archiviste du département d'Ille-et-Vilaine en a réuni un certain nombre, surtout sur la question religieuse, mais je sais un autre dépôt public qui devrait en posséder une collection complète je veux parler de la Bibliothèque municipale. Deux recueils factices renferment une liste suffisante de celles que les événements rennais de 88 et de 89 ont suscitées, mais pour la suite, c'est le dénuement à peu près absolu.

Je suis persuadé qu'en cherchant bien, plus d'un Rennais retrouverait, abandonné peut-être dans un grenier ou au fond d'une armoire, un de ces témoins précieux de la tourmente révolutionnaire. Sait-il bien le service qu'il rendrait aux chercheurs et aussi à sa ville natale, en confiant à la Bibliothèque municipale le soin d'assurer sa conservation?

CONCLUSION

Je m'arrête, Messieurs, après avoir formulé ce vœu. Je crois inutile de rappeler que dans l'exposé d'événements encore rapprochés de nous, dans l'étude de problèmes dont quelquesuns n'ont pas encore reçu de solution définitive, je ne confondrai jamais l'histoire avec la polémique. Je me contenterai de dire que mes efforts tendront uniquement à retracer fidèlement la physionomie de cette époque si vivante et à faire jaillir du rapprochement des diverses opinions la plus grande somme possible de lumière et de vérité.

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