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obtenir un passeport, et en quelque sorte des lettres de naturalisation dans une maison à laquelle il n'avait droit de prendre intérêt, que comme enfant privilegié de l'Université.

Il est bien rare que d'excellentes études ne dirigent pas exclusivement les goûts d'un jeune homme vers la culture des lettres, et ne lui inspirent une sorte de dédain pour des professions plus lucratives, mais moins brillantes. Sans leur supposer la prétention et l'espérance d'égaler Boileau et Voltaire, on a vu plus d'une fois des littérateurs imberbes contrarier, à l'exemple de ces grands poëtes, les volontés de leurs parens, et s'élancer sur le Parnasse en secouant avec fierté la poussière des dossiers. M. Boulard put concevoir un semblable désir, mais la rectitude de son jugement et le sentiment du devoir eurent bientôt triomphé de ce premier mouvement. Il connaissait les intentions de son père, et il les respecta. Du collège il passa à l'École de Droit et se livra avec tout le zèle de la pitié filiale à l'étude des lois. L'obéissance détermina sa vocation. Il avait compris qu'il ne s'agissait plus simplement pour lui d'occuper, mais de remplir la place de son père. A l'âge de 28 ans, il fut jugé digne de lui succéder, et il lui succéda en effet le 4 janvier 1782.

Au mois de septembre suivant il épousa l'excellente femme qui a eu la douleur de lui survivre, et qui lui a donné deux fils; l'ainé, membre de la chambre des députés, a reçu à son tour, en 1808, des mains de son père l'héritage de sa charge, honorable et touchante substitution qui en continuant pendant trois générations consécutives les mêmes fonctions dans la même famille, a attaché au nom de Boulard, la première de toutes les illustrations, celle d'une probité séculaire.

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Les vingt-six années du notariat de M. Boulard ne furent pas stériles pour les lettres. Il trouva alors le secret de concilier deux choses qui n'ont rien en effet d'incompatible, le soin des affaires, et les travaux du cabinet. Exact dans l'exercice de ses devoirs publics, mais économe de son temps, les momens que d'autres consacrent à des distractions innocentes, à des délassemens nécessaires, M. Boulard les donnait à la lecture et à la composition; c'était là le plus doux emploi de ses loisirs, et, quand, dans l'intérêt de sa santé, on lui en faisait un reproche; « chacun, repondait-il en souriant, prend » son plaisir où il le trouve. Ce soir, sans sortir de chez » moi, j'aurai fait plus de chemin et causé avec plus d'amis qu'aucun de mes confrères. »

Une vie aussi bien distribuée devait porter ses fruits. Comme notaire, M. Boulard reçut de ses confrères des marques réitérées de leur estime; nommé par leurs libres suffrages, membre de la chambre de discipline et ensuite syndic de sa compagnie, ce fut, en cette dernière qualité, qu'il fut appelé à une séance du Conseil d'état, à l'effet d'y donner son avis sur des dispositions importantes du Code de procédure civile, pour la partie relative au notariat. Lorsque sa retraite fut décidée, la compagnie voulut marquer, par une démarche éclatante, ses regrets et son estime pour le confrère qu'elle allait perdre. Une députation fut chargée de les lui exprimer, par l'organe de son président et de ses syndics. La délibération, sous la date du 4 août 1808, est consignée dans ses registres, monument d'autant plus honorable à la mémoire de M. Boulard, que la distinction qui y est rappelée n'avait été jusques-là accordée à personne.

Des souvenirs non moins flatteurs se rattachent à

l'homme de lettres. M. Boulard, s'était créé une société peu nombreuse, mais choisie avec discernement parmi les plus célèbres littérateurs et les savans les plus distingués de la capitale. Citer leurs noms, c'est faire l'éloge de celui qui fut leur ami. Fontanes, Delille, Villoison, De Sainte-Croix, Millin, etc., composaient habituellement la société de M. Boulard, et personne n'ignore que La Harpe, stupidement persécuté pour des opinions qu'il avait échangées contre celles de sa jeunesse, trouva dans la maison de M. Boulard 'une généreuse hospitalité ; on sait encore que, par son testament, La Harpe le chargea de l'exécution de ses dernières volontés. Il est inutile d'ajouter qu'elles furent remplies avec un soin religieux.

La persécution avait lié M. Boulard à La Harpe. L'injustice et la cruauté révoltaient cette ame sensible et vertueuse, et la vue d'un opprimé suffisait pour éveiller en lui un attrait irrésistible de sympathie; mais ce qui surprendra ceux qui n'ont pas eu le bonheur de conhaître personnellement M. Boulard, c'est que, malgré la fermeté de ses principes bien connus, et qu'il n'était pas homme à désavouer, il échappa au système dé terreur dont presque tous ses amis furent les victimes. Telle était l'aménité de ses mœurs, l'affabilité de son langage, l'indulgence inoffensive de son caractère, que s'il dut rencontrer souvent des contradicteurs, il ne trouva point d'ennemis. Dans un temps où une fortune indépendante était érigée en crime d'état, où le soupçon de sentimens religieux conduisait à l'échaffaud, riche et pieux, M. Boulard ne fut jamais inquiété. C'est que sa conduite publique et privée avait quelque chose de populaire. On le savait bienfaisant, protecteur des pauyres, sans ambition; il fut oublié, et ce fut par l'ascen

dant de ses vertus modestes que dans ces jours de deuil, il éloigna de dessus sa tête les dangers qu'auraient pu attirer sur elle son amour de l'ordre, son attachement à la monarchie légitime, et son horreur pour les excès qui désolaient alors notre patrie.

Ce n'était pas certainement à l'époque dont nous ve nons de parler que M. Boulard aurait accepté des fonctions publiques: mais lorsqu'un gouvernement régulier vint mettre un terme à l'anarchie, M. Boulard reçut, sans l'avoir sollicitée, sa nomination aux fonctions de maire du XI. me arrondissement. Un de ses amis avait demandé pour lui, et à son insu, cette place honorable et gratuite. M. Boulard apprit sa nomination par le Moniteur; il ne crut pas devoir refuser. Il vit dans cette magistrature toute paternelle un moyen de plus de faire le bien, et il fit à cette espérance le sacrifice de ce qu'il avait toujours préféré, les douceurs de la vie domestique.

Nous n'avons pas besoin de dire dans quel sens fut constamment dirigée l'administration de M. Boulard; les habitans de ce quartier du faubourg S.-Germain n'en ont pas perdu le souvenir. Bon et juste envers tous, c'était sur-tout envers les employés de la mairie qu'il aimait à se montrer sous les traits d'un père et d'un ami. « Vingt fois, a écrit un témoin oculaire, M. Rou» thier, avocat à la cour de cassation, vingt fois j'ai >> trouvé M. Boulard au milieu des employés, faisant » l'expéditionnaire, les soulageant ainsi d'une partie de leurs travaux, et ménageant le temps des personnes qui se présentaient au bureau. Ces braves gens, disaitil, ne doivent pas perdre leur journée; j'ai quelque plaisir à les servir : ils se souviendront de la bonne volonté de leur maire. » Qu'il y a d'intelligence, de délicatesse et de bonté dans de telles paroles et dans de telles ac

tions! Quel exemple, mais aussi quelle leçon pour ces commis si richement payés, qui rebutent les solliciteurs par la froideur de leur accueil, qui les accablent de la hauteur de leurs réponses ou de leurs refus, qui les consument en frais de démarches et de séjour, et qui ont l'air encore d'accorder une grace, lorsqu'une persévérance importune leur arrache enfin un acte de jus tice qu'ils ne sont plus les maîtres de différer!

Comme maire, M. Boulard était président du conrité de bienfaisance : c'était sans doute de toutes ses attributions officielles celle qu'il aurait le plus regretté de ne pas exercer. Il en connaissait d'avance tous les droits, et il les avait fait valoir en son propre et privé nom de puis longues années.

Cette passion de faire le bien incognitò était si vive chez M. Boulard, qu'elle le suivit même dans ses fonctions publiques. Magistrat ou particulier, il se croyait tou jours à son poste, quand il fallait secourir les malheureux, Qu'il nous soit permis de citer à cette occasion un seul trait; c'est encore sur l'autorité de M. Routhier que nous nous appuyons; nons allons même emprunter ses paroles. « Une femme veuve, chargée de cinq enfans, plongée dans la misère la plus absolue, réclame les secours du comité de bienfaisance; mais il faut du temps, des réunions, des renseignemens, des formalités. M. Boulard va la trouver, s'assure de son misérable état, lui donne tout ce qui lui est nécessaire; mais à condition, lui ditil, que le comité de bienfaisance n'en saura rien, parce que je ne veux pas empiéter sur les droits de mes confrères.

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Voilà l'homme par excellence, voilà le Samaritain de l'Évangile; voilà le modèle qu'il faut mettre sans cesse sous les yeux des heureux de la terre. Qu'ils sont enne

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