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CHAPITRE XI

LA RÉVOLUTION AMÉRICAINE ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Washington.

Francklin. Hamilton.

$1. Publicistes américains: Th. Payne. -
John Adams. Jefferson.
$ 2. Publicistes de 89: Mirabeau et l'abbé Siéyès.

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Le travail critique de la philosophie du xvme siècle, appliquée à l'état social et politique, en même temps qu'il aboutissait, comme cela avait eu lieu au xvI° siècle lors de la Réforme, au XVII° siècle lors de la révolution anglaise, à certaines idées erronées, chimériques et dangereuses, devait cependant aussi se condenser en principes lumineux, règles d'une société nouvelle fondée sur le droit (1). Deux grands événements à la fin du XVIe siècle, portant l'une et l'autre le nom de révolutions, sont l'expression dans les faits de cette révolution antérieure, opérée dans les idées par les penseurs et les publicistes de ce siècle l'une est la révolution américaine; l'autre, la révolution française. Ces deux événements sont la limite de cette histoire, et nous ne voulons pas y entrer cependant nous voudrions aller jusqu'au seuil et indiquer quelques-uns des écrivains et des politiques qui, soit en Amérique, soit en France, ont prévu, préparé et inauguré ces deux événe

ments.

Le peuple américain plus pratique que spéculatif, plus préoccupé de faire passer les principes dans les lois que de trouver des théories et des principes, ne nous offre pas de ces

(1) Voir l'Introduction de notre troisième édition, tom. I.

grandes constructions théoriques telles que nous en ave rencontré dans l'Angleterre du XVIe siècle ou dans la Fran du xvi. C'est dans l'action même, en se mêlant au mo ment des faits que les publicistes américains ont exposé ler vues politiques. Cependant nous regretterions que des no comme ceux de Franklin et de Washington manquasser: notre histoire.

THOMAS PAYNE. Un très grand nombre d'écrits parural au début de l'insurrection américaine pour défendre la cas des Américains contre le gouvernement anglais. De tous e écrits de circonstance qui ne se rattachent que de loin à l'his toire de la science politique, celui qui obtint le plus de suces et a conservé le plus de renommée, est le pamphlet intitul Common sense par Thomas Payne, secrétaire du Comite dei affaires étrangères au congrès pendant la guerre de l'indépe dance, et qui, plus tard devenu citoyen français, siégea à Convention comme député, et fut emprisonné sous la Terre Le Common sense est une brochure très courte, intéressan surtout comme la première apparition franche de l'idée rep blicaine au XVI° siècle. Montesquieu était tout à fait fav rable au gouvernement monarchique sous forme anglaise · et J.-J. Rousseau lui-même n'avait prescrit la forme répubécaine que comme applicable aux petits États et non a grands; et il avait dit que, sous de certaines conditions, b monarchie elle-même est république. C'est évidemment l'émancipation des États-Unis qui réveilla dans le monde lider de la forme républicaine. Cette forme avait échoué en Ang terre et n'avait pas trop réussi en Hollande. La guerre d'Amérique ne fut pas seulement la guerre à l'Angleterre, mais encore la guerre à la royauté.

Le Common sense commence par une distinction judicieuse entre le gouvernement et la société, distinction que les publicistes ne faisaient pas assez. «Quelques écrivains, dit l'auteur, ont confondu la société avec le gouvernement comme s'il n'y eût qu'une légère différence, tandis qu'ils sont non seulement

listincts en eux-mêmes mais encore distincts par leur origine. La société est produite par nos besoins; le gouvernement par nos vices; la première procure notre bonheur d'une manière positive, en unissant nos affections; le second d'une manière négative en restreignant nos vices. L'un encourage l'union, l'autre crée des distinctions. L'un protège, l'autre punit. »

Cette distinction posée, il est facile de prévoir les conséquences que l'auteur en tirera: c'est que si le gouvernement arrive à faire lui-même tous les maux que nous aurions à subir sans gouvernement, on a le droit de le supprimer et de le changer. Nous avons déjà assez souvent rencontré cette doctrine pour n'avoir plus besoin de la développer; mais d'ordinaire, il ne s'agissait, sous le nom de tyrannie, que de la monarchie absolue. Ici le tyran, c'est l'Angleterre. L'objet à combattre, c'est le gouvernement anglais. Il est curieux de voir comment l'esprit républicain bat en brèche cette forme de gouvernement qui avait d'abord paru en France, dans la première moitié du siècle, l'idéal de la liberté.

Les gouvernements absolus, dit Th. Payne, ont cet avantage, que, comme ils sont simples, quand on souffre l'on sait d'où viennent les souffrances. Mais la constitution d'Angleterre est si extraordinairement complexe que la nation peut souffrir pendant des années sans être capable de découvrir où gît le mal; les uns le placent dans une partie, les autres dans une autre, et chaque médecin politique s'avise d'un remède différent. Voici en effet les éléments dont se compose le gouvernement anglais 1° les restes de la tyrannie monarchique dans la personne du roi; 2° les restes de la tyrannie aristocratique, dans la personne des pairs ou lords; 3° les nouveaux éléments républicains dans la Chambre des communes, d'où dépend toute la liberté anglaise. Les deux premiers pouvoirs étant héréditaires sont indépendants du peuple, et par conséquent, au sens constitutionnel, ne contribuent en rien à la liberté de l'Etat. Dire que la constitution anglaise est une union des trois pouvoirs, se tenant réciproquement en échec, est une opinion

burlesque; ces mots n'ont pas de sens, ou ce sont là de pla contradictions. En effet, dire que la Chambre des commu est un frein pour le pouvoir royal, c'est supposer deux choses 1o que le roi ne peut inspirer confiance sans être toujou surveillé, en d'autres termes que la soif du pouvoir absolu est mal naturel de la monarchie; 2o que la Chambre des commu étant chargée de cette surveillance, est plus sage, en d'autr termes mérite plus de confiance que la couronne. Mais de autre côté, la même constitution qui donne aux communes! pouvoir de réfréner le roi, donne au roi le pouvoir de réfr les communes, en opposant un veto à leurs votes; ce qui su pose que le roi est plus sage que ceux que nous avons de supposés plus sages que lui.

De ces critiques, dont nous ne pouvons que donner extrait, Thom. Payne conclut que les préventions des Ang en faveur de leur gouvernement viennent beaucoup plus l'orgueil national que de la raison. Les individus sont, No aucun doute, plus libres en Angleterre que dans quelqu autres contrées ; mais la volonté du roi est aussi bien la en Angleterre qu'en France, avec cette différence, qu'au be de procéder directement de la société, elle est donnée so l'apparence formidable d'un acte du parlement. Par cons quent, laissant de côté tout orgueil national, la vérité est qu c'est uniquement aux mœurs, et non à la constitution du goe vernement que l'on doit que la couronne en Angleterre n'est pas aussi oppressive qu'en Turquie.

FRANKLIN. Franklin est une des figures les plus origi nales des temps modernes. Il rappelle Socrate avec moins d'élévation. Il avait beaucoup lu les Mémorables de Xénopho et s'en était inspiré. Il avait le don proverbial: il excellait. comme les sages de la Grèce, à résumer en maximes concises et spirituelles les résultats de l'expérience humaine. S morale était un peu terre à terre, mais elle s'élevait à l'occH sion. Son calendrier moral est bien connu et bien ingénieux. Il avait fait un dénombrement des qualités qu'il voulait acqué

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Industrie

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rir et conserver, et les avait ramenées à treize principales: Tempérance-Silence - Ordre - Résolution - Frugalité Sincérité Justice- Modération - Propreté — Tranquillité -Chasteté Humilité. Ce catalogue une fois dressé, Franklin réfléchissant qu'il lui était difficile de lutter à la fois contre treize défauts, et de surveiller à la fois treize vertus, voulut, comme Horace, combattre ses ennemis séparément, et il appliqua à la morale la maxime de la politique: Diviser pour régner. Je dressai, dit-il, un petit livre de treize pages, portant chacune en tête le nom d'une des vertus. Je réglai chaque page en encre rouge, de manière à y établir sept colonnes, une pour chaque jour de la semaine, mettant en haut de chacune des colonnes la première lettre du nom de ces jours. Je traçai ensuite treize lignes transversales, au couronnement desquelles j'écrivis les premières lettres du nom d'une des treize vertus. Sur cette ligne et, à la colonne du jour, je faisais ma petite marque d'encre pour noter les fautes que, d'après mon examen de conscience, je reconnaissais avoir commises contre telle ou telle vertu... Je résolus de donner une semaine d'attention sérieuse à chacune de ces vertus séparément. Ainsi mon grand soin pendant la première semaine fut d'éviter la plus légère faute contre la tempérance, laissant les autres vertus courir leur chemin ordinaire, mais marquant chaque soir les fautes de la journée... De même qu'un homme qui veut nettoyer son jardin, ne cherche pas à en arracher toutes les mauvaises herbes en même temps... Ainsi j'espérai goûter le plaisir encourageant de voir dans mes pages le progrès que j'aurais fait dans la vertu par la diminution progressive du nombre des marques jusqu'à ce qu'enfin, après avoir recommencé plusieurs fois, j'eusse le bonheur de trouver mon livret tout blanc pendant treize semaines (1). »

Parmi les écrits de morale de B. Franklin, celui qui offre

(1) Franklin, Autobiography, ch. v.

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