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gue russe, et dont l'original, écrit en français et presque tout entier de la main de Catherine, a été déposé depuis dans la bibliothèque de l'académie de Pétersbourg. Tandis que la plupart des députés applaudissaient à Pouvrage de l'impératrice, les députés samoyèdes se contentèrent de demander des lois pour contenir l'avidité des gouverneurs qu'on envoyait dans leur pays. Tant de nations réunies ne pouvaient s'entendre, et recevoir les mêmes lois. Dès les premières séances, on avait parlé de donner la liberté aux paysans. Cette seule proposition pouvait être le signal d'une révolution sanglante. Catherine, qui assistait aux délibérations dans une tribune séparée, se hâta de renvoyer des législateurs auxquels il ne manquait qu'une occasion pour devenir des factieux. Avant de se séparer, les députés donnèrent à l'impératrice le titre de mère de la patrie. L'Europe crut voir une nouvelle Sémiramis, et semblait répéter avec Voltaire:

C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la lumière.

La plupart des souverains firent complimenter Catherine; le roi de Prusse la plaçait dans ses lettres entre Lycurgue et Solon; elle occupa toutes les bouches de la renommée, et c'est peutêtre tout ce qu'elle désirait. Ces vaines tentatives de législation n'étaient pas ce qui occupait le plus Catherine; elle nourrissait en secret le dessein d'asservir toutes les puissances du Nord; elle venait de s'allier avec l'Angleterre, tet demandait déjà à la Pologne plusieurs de ses provinces, occupées par les troupes russes. Le cabinet de Versailles, qui fut averti de ses projets, chercha à former en Pologne un parti contre la Russie; mais il n'employa que des moyens insuffisants: il promit des secours, qu'il ne donna point, et ne fit que fournir à l'impératrice de

nouveaux prétextes pour accomplir ses desseins. Pour arrêter l'ambition de Catherine, on employa un autre moyen, qui finit aussi par tourner à l'avantage des Russes. On parvint à engager la Porte à déclarer la guerre à la Russie. Le vieil empire des Othomans perdit dans cette guerre la réputation de puissance et de grandeur qu'il avait conservée en Europe; les Turks furent battus ( Voy. ROMANZOFF); plusieurs de leurs provinces envahjes; le pavillon victorieux des Russes parut dans les mers de la Grèce ; et, sur les bords de la Néva, on forma le projet romanesque de faire revivre les républiques de Sparte et d'Athènes, pour les opposer à la Porte Othomane. Au milieu de ses victoires contre les Turks, Catherine poursuivait ses projets contre la Pologne. Comme elle redoutait l'opposition des puissances de l'Europe, elle associa à sa politique les cours de Berlin et de Vienne, qui siguèrent, en 1772, le fameux traité de partage: la Russie eut les provinces dont elle forma les gouvernements de Polotsk et de Mohilow, et Catherine se réserva l'influence exclusive sur la Pologne, avec la garantie de la constitution polonaise et de ce qui restait à la république de son ancien territoire. Une année après le partage de la Pologne, la paix fut signée à Kainardji, entre la Russie et la Porte Othomane. Catherine ne conserva de ses conquêtes qu'Azof, Tangarok et Kinburn; mais elle se fit accorder la libre navigation de la mer Noire et l'indépendance de la Crimée. Par cette indépendance, qui n'était qu'illusoire, la Crimée devint en effet dépendante de Catherine. Cette paix si heureuse pour la Russie avait encore un autre avantage, celui de venir à propos. Dans la 3. année de la guerre, Moscou et plu

sieurs autres villes avaient été ravagées nir sa souveraine dans le dessein tant par la peste. Presque dans le même célébré par Voltaire et quelques autemps, un aventurier, nommé Pu- tres philosophes, de chasser les Turks gatschef, qui prenait le nom de Pierre de Constantinople. Sur une route de III, était parvenu à soulever plusieurs près de mille lieues, on ne voyait que provinces de la Russie orientale. La fêtes, décorations théâtrales, prestiges, paix avec les Turks et les événements enchantements; c'étaient de grands qui l'avaient précédée, n'empêchèrent feux allumés dans toute la longueur pas l'attention du peuple et de la cour du chemin; des illuminations dans les de se porter sur un nouveau favori villes; des palais au milieu des eamde l'impératrice. Potemkin, qui pen- pagnes désertes, et ces palais ne dedant plusieurs années joua un si grand vaient être habités qu'un jour! c'étaient rôle, exerçait alors sur l'esprit de Ca- des villages et même des villes noutherine le même ascendant que Grégoi- vellement formées dans les solitudes où re Orloff, et tenait avec elle les rênes les Tatars avaient naguères conduit de l'empire. Ce fut lui qui acheva de leurs troupeaux. Partout une nomsoumettre la Crimée, qui en fit une breuse population, l'image de l'aisance province russe, et porta les limites de et du bonheur; partout des danses, la Russie jusqu'au-delà du Caucase. des chants, les hommages de cent naTandis qu'elle reculait ainsi les fron- tions différentes qui se précipitaient tières de son empire, Catherine vou- au-devant de leur souveraine. Il y lut se montrer dans les provinces qui avait dans tout cela de la fiction et de avaient été soulevées par Pugatschef; la vérité. Catherine voyait de loin des on la vit faire sur le Volga et ensuite villes et des villages dont il n'existait sur le Borysthène une navigation qui que les murailles extérieures; de près, lui plaisait d'antant plus qu'elle n'était elle voyait un peuple nombreux, mais pas sans danger; car elle recherchait ce même peuple courait pendant la les occasions d'étonner par son courage nuit pour lui donner plus loin, le jour des courtisans timides, et ce n'était pas suivant, un spectacle semblable. Caalors un mauvais moyen de faire sa therine fut visitée sur sa route par cour que d'affecter un peu de poltro- deux souverains, le roi de Pologne neric. Ce fut pour charmer les loisirs Stanislas - Auguste, plus aimable que trop prolongés de ce voyage que Ca- jamais, mais qui n'était plus aimé, et therine distribua aux seigneurs les qui ne reçut qu'un accueil gracieux et plus polis de la cour les divers cha- de vaines promesses, et Joseph II, pitres du Bélisaire de Marmontel, empereur d'Allemagne, qui, regardé qu'elle les chargea de traduire, et elle alors comme le plus puissant souvese réserva pour elle-même un de ces rain de l'Europe, orna le triomphe chapitres. L'archevêque de Paris avait de la fière souveraine, et affecta de lancé un mandement contre l'ouvrage n'être que le plus illustre de ses couroriginal; elle voulut que la traduction tisans. Lorsque l'impératrice lut sur fût dédiée à l'archevêque de St.-Péters- un arc de triomphe élevé dans la bourg. Devenue dominatrice de la Tau- ville de Cherson cette inscription qui ride, elle désira la connaître. Elle y annonçait le but du voyage: « C'est était encouragée par Potemkin, qui» ici le chemin de Byzance, » Joseph voulait faire de ce voyage une longue renouvella la promesse qu'il avait faite pompe triomphale, et par-là entrete- dans l'entrevue de Mohilow d'aider

Catherine dans l'exécution de ses desscins. A peu près dans le même temps, deux cours, qui s'étaient montrées les amies de la Russie, travaillaient à lui susciter une double guerre. Frédéric II était mort; Frédéric-Guillaume, son successeur, se ressouvenait d'avoir été mal accueilli par Catherine dans un voyage à Pétersbourg. Le cabinet de St.-James ne pouvait pardonner à cette princesse d'avoir, quelque temps avant son départ pour la Tauride, signé un traité de commerce avec la France. Les deux cours se réunirent pour engager la Porte Othomane et la Suède à prendre les armes contre la Russie. Les Turks ne furent pas plus heureux dans cette guerre qu'ils ne l'avaient été dans la guerre précédente. On peut présumer qu'ils auraient fini par être chassés de l'Europe, si Catherine avait eu ses finances en meilleur état, et si elle ne s'était pas vue menacée par plusieurs diversions des puissances chrétiennes. La paix fut signée à Yassi en 1792. Catherine garda Otschakof et tout le pays situé entre le Bog et le Dniester. Pendant que la Russie était occupée à combattre les Turks, Gustave III se mit en campagne, et menaça un moment Pétersbourg. Après deux ans d'une guerre où les Suédois et les Russes combattirent avec des succès variés, on conclut à Wercla, le 24 août 1790, une paix qui ne changea rien aux limites des deux états. Toutes les guerres suscitées à la Russic semblaient avoir augmenté sa prépondérance politique, et devaient redoubler l'ambition de Catherine. L'influence qu'elle s'était réservée sur la Pologne après le premier partage ressemblait beaucoup à une souveraineté, et déplaisait aux Polonais; elle excitait aussi la jalousie des puissances copartageantes, qui les premières manifestèrent l'envie de se partager ce

qui restait du territoire de la république. L'Autriche, et surtout la Prusse, engagèrent publiquement les Polonais à défendre leur indépendance, afin d'obliger Catherine à prendre un parti décisif. Catherine hésitait encore; mais elle céda enfin aux intrigues de ses favoris, qui espéraient avoir en Pologne un grand nombre de paysans. Ils envoyaient des émissaires à Varsovie pour échauffer les esprits et animer les orateurs de la diète contre l'impératrice. Chaque matin, ils mettaient sous les yeux de Catherine des gazettes qu'ils avaient fait composer eux-mêmes, et dans lesquelles cette princesse était accablée des injures les plus grossières. Catherine fit ce qu'on désirait, et acheva de détrôner Poniatowski, qu'elle avait fait roi. Un nouveau partage de la Pologne fut arrêté entre le roi de Prusse et l'impératrice de Russie en 1792, et, l'année suivante, cette contrée tout entière, définitivement partagée entre ces deux souverains et l'Autriche, perdit jusqu'à son nom. Quelque temps après, Catherine réunit à son empire la Courlande, la Samogitie, le Sémigalle et le cercle de Pilten. A cette époque, la révolution qui avait éclaté en France menaçait de changer la face de l'Europe. Catherine vit cette révolution avec horreur; mais, au fond du cœur, elle n'était pas fâchée de voir les puissances méridionales, et surtout la France qu'elle n'aimait point, ébranlées par des troubles dont l'histoire n'offrait point d'exemple. Elle fit à plusieurs émigrés un accueil généreux, et leur prodigua des promesses qu'elle ne voulait point tenir. En 1794, une insurrection ayant éclaté en Pologne, les derniers efforts des Polonais pour reconquérir leur indépendance furent regardés par Catherine comme un des premiers ef

fets de la révolution française. Le massacre de Prague et la ruine entière de plusieurs provinces (V. SouVAROW) achevèrent de soumettre ce malheureux pays que l'Europe aurait dû s'empresser de défendre, et qui devait offrir comme une barrière aux invasions des Russes. Catherine venait de commencer contre la Perse une guerre qui n'était encore signalée par aucun événement remarquable, et, si on en croit quelques historiens, elle nourrissait le projet de rétablir l'empire du Moghol et de détruire la domination anglaise dans le Bengale, lorsqu'elle fut frappée d'une apoplexie foudroyante, qui la précipita dans le tombeau, le 9 novembre 1796, à l'âge de soixante-sept ans, après un règne de trente-trois et demi. Catherine a été jugée diversement par les historiens; les uns ont vanté ses qualités avec exagération; les autres l'ont représentée comme une princesse cruelle, ambitieuse, dissimulée. Ce qui doit être à la fois pour elle un sujet de louange et de blâme, c'est qu'elle fut pleurée de tous ceux qui étaient attachés à son service, admis à son intimité, et de ceux qu'elle avait associés à son ambition, et qui avaient profité des abus de son règne. Les uns la regrettaient sincèrement; les autres redoutaient un règne nouveau, où leurs crimes pouvaient être punis. Pendant la vie de Catherine, on la comparait à Sémiramis, sans songer que la reine de Babylone avait aussi fait périr son époux. Catherine montra quelquefois toutes les faiblesses d'une femme, et souvent la fermeté et le caractère d'un grand prince. Elle eut deux passions qui ne la quittèrent qu'au tombeau, l'amour et la gloire. La première fut une source de scandale pour ses sujets; la seconde troubla souvent le repos de l'Europe, et lui fit préférer un vain

éclat à une durable renommée. Il faut pourtant convenir qu'elle fut plus réservée dans ses amours que l'impératrice Elisabeth. Au milieu de ses intrigues galantes, elle déploya un art peu commun, celui de contenir ses amants les uns par les autres, de les renvoyer ou de les rappeler à propos, et de les faire servir à ses desseins politiques. Au reste, les intrigues de ses favoris, les plaisirs, les chagrins, les tracasseries de l'amour, ne lui firent jamais perdre de vue les projets de son ambition; elle donnait à la fois des rendez-vous à ses amants, et travaillait avec ses ministres; dans le même temps, elle envoyait un message amoureux à quelque officier de ses gardes, écrivait une lettre philosophique à Voltaire ou au roi de Prusse, et signait l'ordre d'attaquer les Turks ou d'envahir la Pologne. Passionnée pour la renom-. mée, elle flattait tous les écrivains d'une grande réputation, dans l'espoir d'être flattée à son tour dans leurs écrits. Quoiqu'elle aimât peu la France, dont elle était jalouse, et qui contraria quelquefois ses desseins, les Français étaient pour elle ce que les Grecs étaient pour Alexandre; elle avait à Paris un agent littéraire (Voy. GRIMM); elle invita plusieurs fois Voltaire a venir dans ses états; elle proposa à d'Alembert de venir achever l'Encyclopédie à Pétersbourg, et de suivre l'éducation du grand-duc. Diderot, qu'elle avait fait venir à Pétersbourg, s'entretenait souvent avec elle, et, dans la chaleur de la conversation, lui frappait quelquefois sur le genou, sans qu'elle parût blessée de cet excès de familiarité. A force de prévenances, elle obtint ce qu'elle désirait, et l'Europe littéraire la plaça parmi les plus grands monarques.. Il faut dire qu'elle avait mérité une partie des éloges qu'on lui donnait; elle avait consacré

son règne par des institutions et des monuments utiles. Quelques-uns de ses édits avaient favorisé le commerce et réformé la législation. Eile fonda des hôpitaux et des villes, fit creuser des canaux. Par ses ordres, Pallas fit un voyage dans plusieurs provinces dont on ignorait les ressources et les productions. Blumager et Billings parcoururent, l'un l'archipel du Nord, l'autre l'Océan oriental jusqu'aux côtes du Japon. Quelques établissements d'éducation furent formés sous ses auspices. Elle s'occupa quelquefois de la réforme des abus dans J'administration, dans l'ordre judiciaire, dans la levée des impôts; mais elle fut trop souvent détournée de ses projets d'amélioration, et n'eut point assez de fermeté pour se faire obéir et pour achever le bien qu'elle avait commencé. Pressée de jouir de sa gloire, elle voulut tout improviser, jusqu'à la civilisation, et, sous ses lois, la Russie fut corrompue, sans cesser d'être barbare. L'empire russe, peu florissant au dedans, fut toujours menaçant au dehors, et semblait ne chercher son éclat que dans les entreprises for mées contre l'Europe. Avant la mort de Catherine, plusieurs des monuments de son règne ressemblaient déjà à des débris. Législation, colonies, éducation, instituts, manufactures, bâtiments, hôpitaux, canaux, villes, forteresses, tout avait été commencé et abandonné sans être achevé. Cette manie de Catherine de tout ébaucher, sans rien finir, est bien caractérisée par un mot de Joseph II. Pendant son voyage en Tauride, elle invita ce prince à poser la seconde pierre de la ville d'Ecatherinoslaw, dont elle venait de poser la première en grande cérémonie. Joseph, de retour, disait : « J'ai fini une grande affaire en un jour >> avec l'impératrice de Russie; elle a

» posé la première pierre d'une ville, » et moi la dernière. » Catherine ambitionnait aussi la gloire littéraire, et la publication des œuvres du roi de Prusse lui fit naître la pensée d'altacher aussi son nom à quelque ouvrage remarquable; mais elle finit par abandonner ce projet. On a de Catherine II les ouvrages suivants : I. Antidote, ou Refutation du voyage en Sibérie, par l'abbé Chappe, en français, imprimé à la suite de cet ouvrage, dans l'édition d'Amsterdam, Rey, 176971, 6 vol. in-12; II. le Czarowitz Chlore, composé en russe, et traduit en français par Formey, sous ce titre : le Czarowitz Chlore, conte moral de main impériale et de maîtresse, Berlin, 1782, in-8'.; III. Instruction pour la commission chargée de dresser le projet d'un nouveau Code de lois, Pétersbourg, 1765, in-8°.; id. en français, latin, allemand et russe, 1770, in-4°.; en russe et en grec vulgaire, in-8". On y retrouve presqu'en entier le Traité des délits et des peines, de Beccaria. IV. Correspondance avec Voltaire, etc.; V. pièces de théâtre (dans le Theatre de l'Ermitage); VI. Oleg, drame historique, traduit en français de l'original russe de Derschawin; VII. Lettres à Zimmermann, dans les Archives litéraires, tom. III, pag. 210; VIII. plusieurs écrits en allemand et en russe, sur lesquels on peut consulter l'Allemagne savante, de Meusel. M. Castera a écrit la Vie de Catherine II, 1798, 3 vol. in-8°., ou 4 vol. iu-12. M. d'Harmensen M. d'Harmensen, gentilhomme de cour au service du roi de Suède, a fait imprimer l'Eloge de Catherine II, Paris, Didot l'ainé, 1804, in-8'. Un négociant de Pétersbourg, nommé Romain Bouchez, proposa, en 1797, un concours, dont le prix était une médaille d'or, pour la meilleure ode

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