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sont employés à sa culture. C'est ce nombre qui sert de base pour déterminer le prix d'une terre, quoique les avantages réels entrent pour quelque chose dans cette estimation 38. On dit, par exemple, tel a mille ames (douchi), c'est-à-dire, il possède une terre qui a mille paysans mâles; car les personnes de l'autre sexe ne sont jamais comptées. C'est aussi d'après ce calcul que l'on fixe le revenu que l'on doit retirer de ses possessions. Quelques propriétaires partagent tous les fonds entre les paysans et prélèvent ensuite un obrok, ou une contribution pécuniaire. D'autres, outre l'obrok, réservent une partie des terres, que les paysans cultivent par corvées. Enfin, plusieurs ne perçoivent aucun obrok de leurs paysans, maist ils leur distribuent seulement la quantité de terrain dont ils ont besoin pour leur existence. Quoique ce soit les trois manières principales de régir les terres, il y a cependant une grande différence dans la fixation de l'obrok, le nombre des corvées, le rapport entre les terres du maître et celles du paysan, etc. Malheureusement tout dépend de la volonté du propriétaire, qui

n'est limitée par aucune loi. Une grande partie des gentilshommes n'habite jamais leurs terres, et par conséquent ne s'occupe point de leur administration.

Dans les lieux où l'on paye un obrok, la présence du possesseur est inutile, parce que dans chaque village le chef ou l'ancien des paysans le perçoit tous les ans et le remet au propriétaire; dans les deux autres

en l'absence du maître, les terres sont administrées par des intendans ou seulement par des mandataires (prikachtchiki) que l'on choisit parmi les domestiques en qui on a le plus de confiance 39.

D'après ce que nous avons dit, on peut juger combien la servitude met d'obstacles à l'agriculture. Dans le premier cas, c'est-àdire, quand les paysans sont seulement imposés à payer un obrok et qu'ils ont la jouissance de toutes les terres (ce qui a lieu dans tous les fonds qui appartiennent à la couronne et dans les terres de la plupart des nobles) le joug de la servitude est réellement très léger, pourvu que l'impôt soit proportionné aux facultés du paysan. Car, comme il est absolument indifférent au propriétaire

de quelle manière et par quels moyens le paysan s'acquitte, son obrok payé, il est en quelque sorte son propre maître et libre d'exercer son industrie sur le sol qui lui est cédé. Ces avantages suffisent pour exciter l'activité d'un peuple aussi intelligent et spéculateur que le Russe il serait à souhaiter que ce genre d'administration fùt généralement adopté, si malheureusement les paysans n'étaient pas entraînés par là à renoncer à Fagriculture pour se livrer à des travaux moins pénibles. C'est surtout l'avidité des propriétaires qui en est la cause: séduits par un avantage momentané, ils donnent aisément des passe - ports aux paysans, parce qu'ils voient la possibilité d'augmenter leur obrok. Cependant on ne peut nier que le paysan russe ne soit toujours porté à quitter sa charrue pour se livrer à d'autres occupations, quand il en trouve l'occasion. Aussi croiton, et cette opinion n'est pas sans fondement, que la réunion des biens ecclésiasti-. ques à ceux de la couronne a été préjudiciable à l'agriculture: le clergé faisait travailler lés paysans par corvées; et depuis qu'ils appartiennent à la couronne, ils ne payent qu'un

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qu'un obrok, et se livrent souvent à d'autres genres d'industrie.

Le produit des terres n'est jamais aussi considérable, quand on les afferme ou quand on en tire un obrok, que lorsque le propriétaire s'occupe lui-même de leur administra◄ tion. Comme il peut profiter de tous les avantages et qu'il peut arbitrairement imposer des corvées à ses habitans, cette régie est vraisemblablement la plus favorable à la culture des terres; mais les paysans sont souvent moins ménagés que quand ils payent une somme d'argent fixe, ou quand ils sont soumis à un fermier, auquel on prescrit ordinairement le nombre de corvées qu'il peut exiger. Loin de nous toute idée de faire fleurir l'agriculture en appesantissant le joug sur cette classe de peuple déjà si opprimée mais, quand on examine politiquement de pareils objets, un mot odieux ne doit point révolter. Nous avons présenté les avantages et les inconvéniens de l'obrok: examinons maintenant avec la même impartialité l'utilité des corvées et les maux qu'elles entraînent, en les considérant relativement à l'état civil et politique de l'empire de Russie.

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On sait qu'on entend par corvées les tra yaux que les paysans doivent acquitter envers leurs maîtres, soit gratuitement, soit pour une somme d'argent disproportionnée au prix de leurs peines. Dans un pays où le sol et le paysan appartiennent au propriétaire, les corvées sont arbitraires. Comme le possesseur, ne consulte pas toujours son véritable intérêt et qu'il use rarement d'une sage modération, souvent les corvées sont trop oppressives pour le paysan: forcé de quitter ses occupations particulières pour les acquitter, elles nuisent à son industrie. On comprend encore que, les corvées étant un travail forcé, jamais le paysan ne travaille avec le même soin ni la même activité que s'il travaillait librement pour son propre avantage. Mais ces inconvéniens ne proviennent qué des abus qui se sont introduits : ils sont balancés par plusieurs avantages, quand les corvées sont limitées. Il est certain que par ce moyen on cultive une plus grande étendue de terrain; conséquemment on augmente la masse des productions: le paysan, au lieu de payer un impôt qu'il peut gagner d'une manière plus facile, est forcé d'employer

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