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grande fertilité du sol: par exemple, dans les terres du gouvernement de Mohilef, où l'on a répandu plus d'engrais, la récolte rapporte ordinairement vingt fois les semences. Suivant le rapport d'un agriculteur du pays, les gens de la campagne ont le goût et l'intelligence de l'agriculture: les instrumens de labourage conviennent parfaitement au sol et n'exigent aucuns changemens: on donne le plus grand soin à la préparation des terres, à la récolte et à la manière de conserver les grains; mais il y a un vice essentiel qui pèse sur le cultivateur. Le propriétaire, non content des contributions en argent, des corvées et des livraisons en nature qu'il exige des paysans pour les champs qu'il leur cède, afferme ordinairement le terrain qui lui reste, à des gens libres, dont il reçoit la troisième ou la quatrième gerbe: ces gens ne calculent que l'avantage du moment, ne fument point leurs terres et ne laissent jamais reposer leurs champs, de sorte que le meilleur sol est bientôt épuisé; les pâturages diminuent, et le jeune paysan ne trouve point de lieu où il puisse s'établir.

Le tableau que nous avons présenté de l'état de l'agriculture en Ukraine peut convenir à toutes les provinces méridionales, en observant qu'il y en a plusieurs où elle est encore plus négligée. La fertilité du sol et la douceur du climat épargnent bien des travaux, que la nature plus avare dans les contrées septentrionales arrache à la paresse des habitans. Dans ces régions tempérées, on laboure moins, et souvent on ne fume jamais les terres: le bétail est l'objet le plus important de l'économie rurale.

Pour donner une idée de la manière dont on cultive la terre dans la Sibérie méridionale, nous rapporterons ce que Pallas en dit dans son voyage, en parlant des contrées qui bordent le Iénissei. Dans ces lieux, le cultivateur se livre à peu de travaux pénibles, parce que la nature s'est montrée libérale à son égard. Les engrais sont inutiles; pourvu qu'on laisse les champs reposer la troisième année, ils rapportent quinze ans de suite et même davantage: partout on trouve des terres neuves, que les habitans pourraient aisément labourer. Les grains qu'on y cultive le plus sont les trémois et le seigle

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d'hiver: on ne connaît point encore le froment d'hiver en Sibérie, et, excepté les grains dont nous avons parlé, le paysan de Sibérie néglige toute autre culture.

Avant de terminer cet article, nous devons observer que les Tatars, les Votiaks et les Tchérémisses, habitent une partie des provinces les plus fertiles, et se distinguent constamment, par leur industrie et leur activité, des autres cultivateurs de l'empire de Russie. Les Tatars des gouvernemens d'Oufa et de Kazan ont coutume de choisir leurs champs dans le voisinage de leurs villages: ils les divisent en trois parties, et tous les ans il en reste une en friche, qui sert de pâturages à leurs bestiaux. En suivant cette méthode, les jachères reçoivent un engrais naturel, qui est presque toujours suffisant pour plusieurs années, et l'on peut même y semer du froment. Quand ces terres cessent d'être fertiles, s'il n'y a point de steppes dans le voisinage qui soient propres à l'agriculture, souvent un village entier détruit ses habitations de bois et cherche un autre domicile: des paysans russes, surtout les Sibériens, suivent la même méthode. Quoique

les Tatars emploient aussi les grosses charrues pour défricher les steppes, ils ont cependant adopté partout les charrues légères, parce qu'elles sont à meilleur marché et exigent moins de bêtes de trait que les autres. Ils diffèrent des paysans russes dans la manière de faire sécher leurs grains: au lieu de mettre les gerbes dans des fours, ils les rangent dans des fosses, sur lesquelles ils rassemblent des perches en pyramide et y mettent le feu. Les Tchérémisses, les Votiaks et les Mechtchériaks qui habitent les bords du Volga et de la Kama, cultivent Ieurs terres à peu près de la même manière que les Tatars: ils ont coutume de laisser la paille haute lorsqu'ils moissonnent, parce qu'ils la brûlent avant de labourer la terre, quand l'air est calme; ce qui sèche la terre et y laisse quelques sels. Dans les steppes sablonneux ils sèment avant de labourer, convaincus par expérience que cette méthode est la meilleure.

Malgré tous les vices de l'économie rurale en Russie, qui ne sont point exagérés dans le tableau que nous en avons fait, le produit de cette branche d'industrie est si

important que non-seulement il fournit abondamment à la consommation intérieure, mais qu'il est encore un objet d'exportation trèsconsidérable. Le grand nombre et la variété des productions de l'agriculture nous obligent à les classer, pour suivre un certain ordre: nous parlerons d'abord des différentes sortes de grains, ensuite des différentes espèces de fourrages; enfin nous considérerons les végétaux qui sont employés dans les fabriques et les manufactures, ou ceux qui pourraient y être introduits avantageusement.

Le seigle est de tous les grains celui qui est le plus cultivé, et celui d'hiver ou d'été réussit également bien au delà du 60o degré de latitude, excepté dans les lieux trop humides ou très-secs. Le froment ne croît au contraire que dans les provinces centrales et méridionales; celui d'hiver est en général plus rare, et on n'en voit point du tout en Sibérie. Dans le gouvernement de Cathérinoslaf on cultive encore du bled de Smyrne, qui donne une farine jaune et fine: la récolte en est si abondante, que dans de bonnes années elle rapporte quinze fois au delà de la semence. Comme ce grain est originaire d'un climat tempéré, il exige un

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