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de tous les systèmes religieux; aussi présente-t-il un grand nombre de contradictions. En vain voudrait-on accorder entre elles les traditions des poètes et les traditions populaires. Les habitants de l'Arcadie ou de l'ile de Crète pouvaient prétendre tour-à-tour que Jupiter était né dans leur pays, sans qu'il leur eût été possible de prouver que Jupiter ait été un personnage divinisé (1). Ce qui rendait la confusion encore plus grande, c'est que les traditions sur les dieux des anciens, mêlées du plus grossier anthropomorphisme, se combinaient mal, dans l'imagination du peuple, avec la puissance suprême qui leur était attribuée; et si, dans leur plus haute acception, les dieux du polythéisme étaient effectivement considérés comme des puissances intermédiaires, le vulgaire devait nécessairement les confondre avec ces personnages fameux et peu connus que présentent les annales de tous les peuples du monde.

Homère, auquel il faut toujours remonter quand il s'agit d'antiquités grecques,-Homère, qui en est la véritable source, principium et fons, n'offre aucune indication de la doctrine de l'apothéose. Les dieux d'Homère sont d'une nature toutà-fait différente de celle de ses héros. Quoique revêtus de la forme humaine, ils appartiennent à un ordre de choses infiniment plus relevé; leur puissance est sans bornes (5). Qui de bonne foi pourrait, dans le père des dieux et des hommes, ébranlant l'univers d'un seul mouvement de son sourcil, reconnaître un obscur roi de Crète, dont on montrait le tombeau dans cette île (6)? Qui pourrait consentir à transformer ainsi ce monde immense et magique en une triste généalogie de quelques princes ignorés et de quelques héros fabuleux?

Ces considérations, ajoutées à toutes les recherches déjà

(1) De Nat. Deor. 1. III, cap. 21.

faites, suffiront, ce nous semble, , pour prouver que le système historique n'est point antérieur à Évhémère (7), qu'il est absolument contraire à la nature des choses, et qu'ainsi cette doctrine n'a été, dans aucun temps, le secret des mystères d'Éleusis. On peut même ajouter que si, contre l'évidence historique et contre toutes les probabilités, on pouvait prouver que la doctrine de l'apothéose ait été enseignée aux époptes d'Éleusis, on est en droit d'affirmer que cela a été à tort; peut-être dans l'espoir de dérober à leur connaissance, par cette révélation même, le véritable secret des mystères.

SECTION VI.

IL

L nous reste encore un point de critique à éclaircir dans le tableau des mystères, et peut-être une étude suivie de cette branche de l'antiquité nous met-elle à portée de présenter à cet égard quelques résultats nouveaux, propres à servir d'indication pour des recherches plus étendues.

Nous avons dit que les mystères de Bacchus, très intéressants à développer, portent un caractère entièrement opposé à celui des Éleusinies (1). Cette opposition est trèsfrappante au premier aspect. Et quelle conformité, en effet, pourrait-on trouver entre la licence sauvage du culte Bacchique, et le caractère sévère et la haute destination du culte de Cérès?

Cependant, après un mûr examen, on voit que cette opposition réside plutôt dans la forme extérieure que dans l'esprit des deux cultes; elle disparaît même entièrement lorsqu'on s'élève à l'idée-mère, au type véritable des deux institutions. Quand on ne s'obstine pas à reconnaître dans (1) Section I, p. 5.

Cérès et dans Bacchus deux personnages historiques, quand on les considère, à leur origine, comme deux symboles d'une puissance quelconque de l'univers, on les voit s'identifier de manière à ne plus offrir d'opposition que dans la forme extérieure, c'est-à-dire, dans cette partie qui dépend toute entière des hommes, des circonstances locales, et des destinées politiques des peuples. Le culte de Cérès et le culte de Bacchus ne peuvent appartenir qu'à un seul principe; et ce principe se trouve dans la force active de la nature, envisagée dans l'immense variété de ses fonctions et de ses attributs.

Mais le mythe de Bacchus a été, de l'aveu de tous les mythographes, la source la plus féconde d'incertitudes, de contradictions et d'obscurités. Dans cet état de choses, le point le plus incontestable est celui de son origine. Hérodote assure formellement que Bacchus venait d'Égypte, et qu'il était le même qu'Osiris (1). Le savant Fréret observe très bien (2) qu'en passant d'Égypte en Grèce, Bacchus perdit la plus grande partie de son importance. En Égypte, Osiris était la puissance démiurgique de l'univers. Lorsque Mélampe lui eut donné le nom grec de Dionysos (3) et qu'il l'eut porté en Grèce, à peu près en même temps qu'on y apporta la vigne, l'emploi du nouveau dieu fut borné à l'intendance de la vigne. Ce fait nous prouve encore cette importante vérité, qu'il ne faut pas chercher à établir des rapports constants entre les divers symboles du polythéisme: ils varient et se divisent à mesure qu'ils se développent; tandis que plus on remonte vers l'origine, plus les masses sont grandes et imposantes.

(1) Liv. II, cap. 47 et 48.

(2) Mém. de l Acad. des Inscript. tom. XXIII, p. 258 (3) Herodot. 1. I, cap. 47.

Rien de plus confus ni de plus obscur, comme nous l'avons dit, que le mythe de Bacchus. On s'accorde cependant à distinguer trois Bacchus, que l'on regarde comme différents entre eux, et qui ne sont, d'après nous, que trois représentations successives de la même idée, c'est-à-dire d'Osiris.

Les mythographes anciens et modernes sont tous en contradiction, touchant la classification même de leurs trois Bacchus.

Les plus anciens poètes n'en indiquent qu'un seul. Les écrivains postérieurs ont réparti entre les trois Bacchus les diverses actions que les anciens poètes avaient confusément accumulées sur la même tête. Diodore de Sicile en reconnait trois: mais il place dans ce nombre le Bacchus indien, nommé Bacchus fort mal à propos; et il omet le mystique Jacchus (1). Enfin Nonnus de Panople, qui avait fait une étude particulière et approfondie du mythe de Bacchus, en reconnaît trois, sans le Bacchus indien (1).

L'examen de toutes ces variétés nous entraînerait trop loin et nous écarterait de notre sujet: nous nous réservons de consacrer, peut-être, au mythe de Bacchus, un travail séparé. En attendant, nous exposerons ce qui concerne les trois Bacchus, d'après la classification que l'on peut en faire, en résumant toutes les opinions et toutes les diverses doctrines à ce sujet.

Le premier Bacchus est Zagreus, que Jupiter, transformé en dragon, eut de Proserpine. Le scholiaste de Pindare (2), et la Grand-Étymologique, au mot Zagreus, en font foi. Arrien (3) fait naître Jacchus de Jupiter et de Proserpine:

(1) L. III, cap. 41.

(*) Isthm. VII, 5; ed. Heynii, tom. II, p. 847. (3) Dc exped. Alex. 1. II, cap. 16.

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