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PROJET

D'UNE

ACADÉMIE ASIATIQUE.

1810.

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LUCRET.

DÉDIÉ

A M. LE COMTE

ALEXIS DI RASOUMOFFSKY.

PREMIÈRE PARTIE.

$ 1.

Il s'est fait, pendant les dernières années du dix-huitième siècle, une grande révolution dans toutes les idées concernant l'histoire de la civilisation humaine. L'Orient, naguère abandonné aux récits mensongers de quelques aventuriers, et aux poudreux travaux d'un petit nombre d'érudits, a été unanimement reconnu pour être le berceau de toute la civilisation de l'univers. Les causes accidentelles de cette réhabilitation ont été les progrès des Anglais aux Indes, la conquête de la langue sacrée des Brahmes, celle des écrits de Zoroastre (1), les travaux des gens de lettres allemands sur la Bible, et l'établissement de la société asiatique de Calcutta.

Maintenant, nous sommes parvenus à un degré qui ne nous permet plus de nier que l'Asie ne soit le point central d'où se sont écoulées toutes les lumières éparses sur le globe. Cette belle hypothèse, qui se lie si admirablement à toutes les traditions sacrées, est la seule qu'il soit désormais permis d'envisager comme incontestable.

Et en effet, l'on n'aura point étudié avec attention la vaste histoire de l'esprit humain dans le sens de ce merveilleux système, sans voir les parties qui paraissent au premier abord les plus hétérogènes, se classer successivement et ne plus présenter que l'immense développement d'un même principe; et lorsqu'on joint les découvertes modernes aux notions des anciens, lorsque l'on remonte à l'origine des premières opinions philosophiques et religieuses, l'on se persuade jusqu'à l'évidence que c'est à l'Asie que nous devons les bases du grand édifice de la civilisation humaine. Déjà les seules parties éclairées du globe avaient emprunté à l'Orient ses principales notions et les avaient transformées en cultes plus ou moins variés, lorsque les sages de la Grèce vinrent s'instruire dans l'Inde. Frappés de l'imposante majesté de cette belle contrée, de l'antiquité de ses opinions, de la maturité de ses usages, ils y puisèrent leurs systèmes philosophiques et toutes leurs idées de discipline et de morale. Si d'un côté, l'Inde leur fournit les bases de leurs opinions philosophiques, la Phenicie et l'Egypte, colonies de l'Orient, leur prêtèrent leurs dieux symboliques et multipliés, qu'ils adaptèrent à leurs habitudes locales. Ainsi la philosophie et la religion des Grecs s'élevèrent toutes deux sur des idées orientales; et lorsque les Romains, héritiers et imitateurs des Grecs, eurent reçu de ces derniers, d'abord leur système religieux et ensuite toutes leurs opinions philosophiques, les idées orientales s'avancèrent vers l'Occident avec la puissance de Rome, et rencontrèrent sou

vent dans leur marche des idées déjà établies, également originaires de l'Orient, et qui, par des révolutions inconnues, s'étaient détachées de la mère-patrie (2).

Telle a été, en peu de mots, l'influence morale de l'Orient sur l'Europe.

Son influence politique n'a pas été moindre; les bornes de cet écrit ne permettent pas de la développer: mais il suffit de nommer Mahomet, prophète, conquérant et poëte, qui, sorti des déserts de l'Arabie, menaça et l'empire qui tombait et la religion nouvelle qui venait de s'élever sur les ruines de toutes les autres. La terreur de ses armes répandit le culte nouveau qu'il voulut lui opposer, et qui envahit bientôt une grande portion du monde connu.

Les principaux résultats du Mahométisme furent pour l'Europe la chûte du trône de Constantinople, les croisades et le séjour des Maures en Espagne.

Si d'un côté, Mahomet mit la liberté et les lois de l'Europe en péril, il fut aussi la cause indirecte mais puissante des grandes révolutions qui en changèrent la face. Le quinzième siècle, fruit de ces mêmes évènements, fut l'époque d'un nouveau moyen d'influence de l'Orient sur l'Europe; influence paisible et formidable à la fois, qui fit naître tout-à-coup des ressorts jusque là inconnus, et imprima aux idées humaines cet élan rapide et passionné qui produisit alors tant de grands hommes et tant de grandes choses. En effet, la découverte du Cap de Bonne-Espérance changea toute l'organisation du monde politique; en ouvrant aux Européens la route de l'Inde, elle développa de nouvelles combinaisons de richesse et d'industrie, et contribua à rehausser l'éclat qui entoure le quinzième siècle.

(1) C'est à l'enthousiasme et aux lumières de M. Anquetil du Perron que nous devons le Zend-Avesta, ouvrage de Zoroastre. Paris, chez Tilliard, 1771. 3 vol. in-4. Cette importante découverte

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