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en effet offert, de la part de Beaumarchais, des présents, dans l'intention de gagner le suffrage de son mari, mais qu'elle les avait rejetés avec indignation. Le mari intervint, et dénonça Beaumarchais au parlement comme coupable d'avoir calomnié la femme d'un juge, après avoir vainement tenté de la corrompre (1). »

Le procès Goezman montra Beaumarchais sous un point tout nouveau en France, c'est-àdire comme un orateur qui n'appartenait ni au barreau ni à la chaire, les deux seuls genres d'éloquence que l'on connût alors. Il faut lire ses mémoires pour voir ce que Beaumarchais a dépensé d'esprit, de saillie, de verve, d'imagination, d'ironie surtout à propos de quinze louis (2). Déjà il ouvrait une large voie aux orateurs qui devaient plus tard renverser la vieille France, qui avait l'air si bien portante encore, et qui était ruinée de toutes parts. Ce fut là une grande découverte que fit cet homme le jour où, pour entrer dans l'opinion publique qui commençait à être la reine de cette époque, Beaumarchais trouva son véritable titre dans cette société qui ne savait pas encore pourquoi elle s'intéressait à Beaumarchais. « Je suis un citoyen, s'écrie-t-il, je suis un citoyen, c'est-à-dire je ne suis ni un courtisan, ni un abbé, ni un gentilhomme, ni un financier, ni un favori, ni rien de ce qu'on appelle puissance aujourd'hui. Je suis un citoyen, c'està-dire quelque chose de tout nouveau, quelque chose d'inconnu, d'inouï en France. Je suis un citoyen, c'est-à-dire ce que vous devriez être depuis deux cents ans, ce que vous serez dans vingt ans peut-être! » A ce nom, si nouveau en 1774, la société resta attentive et muette. On comprend que Beaumarchais jouait un jeu qui n'avait encore été joué par personne. La France de ce temps-là se rappelle bien qu'elle a vu des princes du sang élever l'étendard de la révolte, des parlements s'opposer à la justice des rois, des jésuites mettre l'État à feu et à sang pour des bulles; mais ce que n'a jamais vu la France, c'est un homme tout seul, un simple accusé de la foule, un pauvre diable sans aïeux, sans entourage, sans protection, relever la tête tout à coup, se grandir à la hauteur du parlement, lui parler face à face et tout haut, et d'égal à égal. Non, la France n'avait jamais vu un spectacle pareil; et comme c'est un noble pays qui respecte tous les courages, la France applaudit au courage de ce ver de terre qui ne voulait pas être écrasé par le conseiller Goezman. Elle reconnut ce titre de citoyen que se donnait Beaumarchais, plus fier en ceci que Figaro, qui se disait fils d'un prince, et enfant perdu. De ce jour donc, Beaumarchais fut un gentilhomme : tout comme ce Montmorency qu'on appelait le

(1) M. de Loménie, se article sur Beaumarchais, dans la Revue des Deux Mondes, 1er janvier 1853, p. 130.

(2) C'est ce qui faisait alors dire aux Parisiens: Louis XV a détruit le parlement ancien; quinze louis détruiront le nouveau.

premier baron chrétien, Beaumarchais fut le premier citoyen français; et quand le parlement Maupeou, tremblant devant cette nouvelle puissance dont il n'avait aucune idée, eut rendu cet arrêt qui donnait tort à tout le monde, le public cassa l'arrêt du parlement. Tout Paris se fit écrire chez le citoyen Beaumarchais. Le prince de Conti l'invita à dîner; M. de Sartine lui-même, tout lieutenant de police qu'il était, se conduisit en homme d'esprit, et félicita le hardi plaideur. Et voilà comment le public saisit cette admirable occasion de flétrir le parlement Maupeou, qui avait remplacé les vieux parlements si respectés. Ce fut là une immense gloire pour Beaumarchais, une gloire qui a survécu aux passions de l'époque. On lira toujours avec admiration ces mémoires si remplis de faits et d'idées, à l'aide desquels la philosophie du dix-huitième siècle pénétra enfin dans la magistrature, qui était restée inattaquable jusqu'alors.

Après ce procès si plein d'incidents, Beaumarchais en eut deux autres qui ne peuvent pas soutenir de comparaison avec le premier. Le second de ces procès est le procès Bergasse. C'était en 1781. Déjà à cette époque la France était moins frivole; elle commençait à ne plus rire que du bout des lèvres. On prêtait l'oreille avec inquiétude aux grands bruits qui allaient venir. Beaumarchais, accusé d'avoir aidé à la séduction de Mme Kornmann, n'était guère digne d'intérêt pour une époque qui avait déjà mis en pièces le manteau sous lequel elle cachait ses bonnes fortunes, et qui n'estimait plus guère que les grandes passions, le dernier excès raisonnable et innocent auquel pouvait se livrer la France, en attendant les horribles et sanglants excès qui la menaçaient. Cette fois, Beaumarchais n'eut pas pour lui l'opinion, qui lui avait donné tant d'éloquence à son premier procès son rire parut déplacé, sa colère parut feinte, sa verve s'émoussa contre la parole abondante et chaleureuse de son adversaire Bergasse; puis l'éloquence de Beaumarchais, cette éloquence de la place publique, n'était plus une nouveauté; cette publicité donnée aux procès était devenue commune; enfin ce titre de citoyen français était à présent un titre vulgaire. Beaumarchais gagna son procès devant la cour, et le perdit devant l'opinion.

Son dernier procès, à proprement dire, n'est qu'une affaire comme toutes les affaires d'argent. Il s'agissait de quinze mille fusils achetés en Hollande pour le compte de la république, retenus en Hollande faute de payement, et que Beaumarchais, disait-on, voulait vendre aux ennemis de la république. Cette fois ce n'est plus l'ennemi de Maupeou, de Goezman ou de Bergasse, ce n'est plus l'écrivain satirique, infatigable, disant tout parce qu'il n'a peur de rien; c'est un plaideur modeste, réservé, respectueux devant son juge. Beaumarchais, par son activité prodigieuse, sut se multiplier à l'infini. Les États

Unis venaient de se détacher de l'Angleterre; il conçut le dessein de les approvisionner. Il eut longtemps à lutter contre la circonspection du comte de Maurepas, principal ministre, qui ne voulait rien hasarder, et contre les obstacles de la politique anglaise. Il fallait des fonds très-considérables: Beaumarchais vint à bout de disposer de ceux d'autrui. Plusieurs de ses vaisseaux furent pris, trois entre autres en un seul jour en sortant de la Gironde; mais le plus grand nombre arriva chargé d'armes et de munitions de toute espèce; etc'est ce qui lui procura une opulence très-grande pour un particulier. Beaumarchais sut en faire bon usage, contribua à des établissements utiles, à celui de la caisse d'escompte, formée à l'instar de la banque d'Angleterre, mais avec la disproportion que comportait la différence des gouvernements; à celui de la Pompe à feu, qui a fait tant d'honneur aux frères Perier, mais qui rencontra des contradicteurs et des obstacles; à l'entreprise enfin des eaux de Paris, qui lui valut une violente diatribe de Mirabean.

Ce fut dans cet intervalle que Beaumarchais parvint à faire représenter (le 27 avril 1784), au Théâtre-Français, son Mariage de Figaro. Figaro est une biographie tout entière. D'abord ce héros, pauvre barbier de village, déclame contre l'inégalité des conditions, comme déclame J.-J. Rousseau, mais plus directement et plus à brûlepourpoint. Bientôt, de pauvre barbier qu'il était, Figaro devient un homme du tiers état; il a grandi avec le peuple. Il ne débite plus de maximes philosophiques, parce que le peuple n'en est plus aux maximes philosophiques, mais à l'action. Le Mariage de Figaro, n'est-ce pas la lutte heureuse du peuple contre l'aristocratie, du valet contre le maitre? Almaviva est un grand seigneur très-bien fait, très-spirituel, très-généreux, un Castillan, en un mot. Comment est-il joué par Figaro? Figaro lui dispute ses amis, Figaro est sur le point de lui enlever même madame la comtesse; Figaro n'a qu'à vouloir, mais Figaro ne veut pas ! Dans la pièce de Beaumarchais, Figaro est un honnête homme renforcé : honnête homme avec tout le monde, fidèle et dévoué; aventurier d'abord, excellent mari, excellent fils ensuite. Enfin, au dernier acte de ce grand drame, dans la Mère coupable, Figaro est tout à fait devenu ermite; c'est un véritable saint, digne d'être canonisé. Vous savez que ce qu'il y eut de plus difficile, ce ne fut pas d'écrire le Mariage de Figaro, quoique la chose eût été impossible à tout autre qu'à Beaumarchais; ce fut de le faire jouer. Tout l'ancien régime chancelant s'opposait à la représentation de ce drame, qu'il savait par cœur pour en avoir entendu parler confusément, et qui semblait l'épouvanter comme le prélude de la révolution. Le roi Louis XVI, roi malheureux, qui prévit tous ses malheurs sans avoir le courage d'y mettre obstacle, s'étant fait lire le manuscrit, s'écria que la pièce ne serait jamais jouée sous

son règne : voilà pourquoi peut-être elle fut jouée six mois plus tard (1). La représentation du Mariage de Figaro est un des faits les plus importants de la révolution française.

Le début de Beaumarchais dans la carrière littéraire fut un drame en cinq actes, Eugénie, dont le sujet est tiré d'un voyage que l'auteur fit en Espagne pour venger l'honneur d'une sœur outragée. Dans ce voyage, il eut à combattre un ennemi d'autant plus redoutable qu'il joignait à toutes les ressources de la fourberie les armes que procurent les puissantes protections : il ne cessa pas de le poursuivre, et son courage, inspiré par l'amour fraternel, est sublime lorsqu'il s'adresse au roi d'Espagne lui-même pour arriver jusqu'au traître qu'il veut déshonorer pour le punir. Eugenie, représentée le 29 janvier 1767, fut sifflée d'abord; mais l'auteur y fit de grands changements, et à la seconde représentation la pièce fut vivement applaudie. Ce fut un des premiers essais du drame dont on a depuis tant abusé. « Je lirai Eugénie, écrivait Voltaire en 1774, ne fûtce que pour voir comment un homme aussi pétulant que Beaumarchais peut faire pleurer le monde. » Lessing a traduit Eugénie sur la scène allemande, sous le titre de Clavigo. Les Deux Amis, ou le Négociant de Lyon, autre drame en cinq actes, joué le 13 janvier 1770, se traîna péniblement jusqu'à la dixième représentation. L'auteur s'en consola en disant qu'il avait, sur ses tristes confrères de la plume, l'avantage de pouvoir aller au théâtre en carrosse. Dans le drame d'Eugénie et dans celui des Deux Amis, dit M. Sainte-Beuve, Beaumarchais n'est encore que dramaturge sentimental, bourgeois, larmoyant, sans gaieté, et procédant de La Chaussée et de Diderot. Celui-ci même ne l'avoue point pour élève et pour fils, et Collé, qui se connaît en gaieté, ne devine nullement en lui un con

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(1) A la cour, Beaumarchais avait pour lui le comte de Vaudreuil et la société de madame de Polignac, favorite de Marie-Antoinette. Les premières représentations se firent secrètement à Paris, sur le théâtre des Menus-Plaisirs. Beaumarchais paya seul tous les frais qu'avaient extges les répétitions de son œuvre, et qui se montaient à 10 ou 12,000 livres. « C'est donc, dit Grimm, sur un theatre appartenant à Sa Majesté que le sieur Caron a tenté de faire représenter une pièce que Sa Majesté avait défendue, et l'a tenté sans autre garant de celte bardiesse qu'une espérance donnée, dit-on, assez vaguement par Monsieur (Louis XVIII), ou par M. le comte d'Artois (Charles X), qu'il n'y aurait point de contre-ordre. » Beaumarchais et ses protecteurs prirent un moyen terme. La pièce, aprés quelques légers changements, fut jouee a Genevilliers, chez le comte de Vaudreuil (septembre 1783). Pendant près de deux ans la pièce fut ballottée par la censure et par l'autorité; enfin ie roi, à qui l'on fit croire que l'auteur avait supprimé tout ce qui pouvait blesser le gouvernement, permit la représentation au Théâtre-Français le 27 avril 1784. Louis XVI se flattait que tout Paris allait être bien attrape en voyant un ouvrage mai conçu et sans intérêt, depuis que toutes les satires en avaient été supprimees. «Eh bien, dit-il à M. de Montesquiou qui partait pour voir la comedie, qu'augurez-vous du succes? - Sire, j'espère que la pièce tombera. Et mot aussi, répondit Louis XVI. » Monsieur, frère du roi (depuis Louis XVIII), pensa aussi assister à la chute de la pièce.

frère et un maître (1). » Cinq ans après, Beaumarchais prit sa revanche par le Barbier de Séville (23 janvier 1775), dont nous avons déjà parlé. Ce Figaro qui passe par tant de métiers; qui a tant d'expédients pour se tirer des embarras où le jette la fortune; qui par son adresse exécute tout ce qu'il entreprend, et fait des autres tout ce qu'il veut; qui dans toutes les conditions est libre, gai, moqueur, et se console de tout en faisant la barbe à tout le monde, c'est l'auteur lui-même, qui, Chérubin à treize ans, devint Figaro à quarante. Dans Tarare, pièce en cinq actes, jouée pour la première fois sur le théâtre de l'Opéra le 8 juin 1787, Figaro est changé en soldat de fortune, qui renverse le tyran Ater et gouverne à sa place. C'est le témoignage de cette pièce, qui pourtant n'eut aucun succès, que Beaumarchais invoqua, dans sa requête à MM. les représentants de la Commune de Paris (Paris, in-8°, 1790), pour montrer qu'il avait préparé la révolution. En 1792, Beaumarchais fit jouer la Mère coupable, déjà mentionnée, où il eut tort de revenir au genre larmoyant, dans lequel il s'était essayé d'abord. Il se venge dans cette pièce de Bergasse, son adversaire, en lui donnant un rôle de fourbe.

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Outre les pièces de théâtre ci-dessus mentionnées, Beaumarchais a publié : Mémoires contre les sieurs Goezman, la Blache, Marin, d'Arnaud; Paris, 1774 et 1775, in-8° dans ces mémoires l'auteur s'agrandit au point de faire de sa cause celle de tous ses lecteurs; ils sont d'un genre et d'un ton qui n'ont pas de modèle; Mémoire en réponse à celui de Guillaume Kornmann; Paris, 1787, in-8°; - Mémoire en réponse au manifeste du roi d'Angleterre (sans date): on fut surpris qu'un simple particulier osât répondre en son nom à la déclaration de guerre d'un souverain, et surtout de ce que le ministère français permit d'abord la publication de cet écrit, qu'un arrêté du conseil supprima ensuite; Mémoires à Le Cointre de Versailles, ou Mes six époques; Paris, 1793.

On doit aussi à Beaumarchais la collection complète des œuvres de Voltaire. Il y dépensa une somme immense, et paya au libraire Panckoucke 200,000 francs les manuscrits de Voltaire, qu'il avait achetés de madame Denys, nièce de l'auteur; il fit acheter en Angleterre les poinçons et les matrices des caractères de Baskerville, regardés, avant ceux de Didot, comme les plus beaux de l'Europe. Il fit reconstruire dans les Vosges d'anciennes papeteries ruinées; il y envoya des ouvriers pour y travailler, suivant les procédés de la fabrication hollandaise, au papier destiné à cette édition, et fit l'acquisition d'un vaste emplacement au fort de Kehl, alors abandonné, où il établit son imprimerie. Mais cet établissement ne produisit qu'une édition (1) M. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VI, p. 170; T'aris, 1853.

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commune et fautive, d'où les associés furent loin de retirer le profit qu'ils attendaient. Malgré cet échec, Beaumarchais était possesseur d'une fortune immense au commencement de la révolution; ce qui l'exposa aux soupçons et aux attaques quand la révolution eut éclaté. En vain s'efforça-t-il de donner des preuves de son dévouement aux intérêts publics; en vain essaya-t-il de se faire remarquer par le don patriotique de 12,000 livres dans la première commune provisoire dont il était membre: il ne put même se concilier la faveur populaire en sacrifiant une somme aussi considérable pour faire rentrer en France 60,000 fusils. Accusé calomnieusement, par Chabot et par Le Cointre (le 28 novembre 1793), d'avoir voulu livrer des armes aux émigrés, il fut forcé de fuir : il erra en Hollande et en Angleterre, revint en France pour être emprisonné à l'Abbaye, et n'échappa à la mort que par l'intervention de Manuel, procureur de la commune de Paris. Il mourut subitement et sans souffrances, à l'âge de soixante-neuf ans.

Peu de littérateurs ont été aussi diversement appréciés que Beaumarchais. Les critiques qui adoptent franchement les principes de la révolution l'élèvent jusqu'aux nues; ceux, au contraire, qui repoussent ces principes, le traitent de rimeur médiocre et d'homme détestable. On devra à M. de Loménie le travail le plus judicieux, le plus impartial et le plus complet sur Beaumarchais. Ce travail est fait sur des documents inédits, sur des papiers autographes de l'auteur même de Figaro, et sur des manuscrits de Gudin, sauvés de la destruction et de l'oubli (1).

Les œuvres de Beaumarchais ont été publiées par Gudin de la Brenellerie, Paris, 1809, 7 vol. in-8°; et par Furne, Paris, 1827, 6 vol. in-8°, avec une notice de M. Saint-Marc Girardin. M. de Loménie pourrait seul aujourd hui donner une édition complète des œuvres de Beaumarchais. [Enc. des g. du m., avec des addit. considérables.]

X.

La Harpe, Cours de littérature. Cousin d'Avallon, Vie privée, politique et littéraire de Pierre-Au gustin Caron de Beaumarchais; Paris, 1802, in-12. M. Villemain, Cours de litterature française au dixhuitième siècle. M. Saint-Marc-Girardin, Essais de littérature et de morale. MM. Berville et Barrière, Memoires relatifs à la révolution. M. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t VI.-M. de Loménie, Beaumarchais, sa vie et son temps, dans la Revue des Deux Mondes er et 15 octobre, 1er et 15 novembre 1832, 1er janvier 1853).

* BEAUMAVIELLE, célèbre basse-taille du temps de Lully; mort à Paris en 1688. Lully l'avait fait venir du Languedoc, pour ouvrir avec lui son théâtre de l'Opéra en 1672.

Fétis, Biographie universelle des Musiciens.

(1) Tous ces papiers précieux moisissaient depuis de longues années dans une mansarde de la rue du Pas-dela-Mule, où les héritiers les avaient transportés après Ja démolition de la maison bâtie par Beaumarchais sur le boulevard qui porte son nom.

BEAUMEL (N.), chef de chouans, originaire du Rouergue, mort vers 1795. Il était capitaine dans l'armée républicaine lorsqu'il tomba au pouvoir des Vendéens, au combat de Légé. Les royalistes massacrèrent tous les prisonniers, à l'exception de Beaumel, qui dut la vie à un de ses amis qui servait dans l'armée royale. Depuis cette époque il s'attacha à Charrette, devint un de ses principaux officiers, et aussi l'un de ses compagnons de débauche. A l'attaque des Quatre-Chemins, il fut grièvement blessé; bientôt après, il eut le commandement de l'armée du bas Poitou. Au moment ou la Vendée presque tout entière se soumit à la république, il refusa d'abandonner Charrette, qui restait encore avec quelques centaines d'hommes; et lorsque le général Travot atteignit le chef vendéen à Froidefond, il se battit en désespéré, et fut tué aux côtés de son général, qui parvint encore quelques jours à se soustraire aux poursuites de l'armée républicaine.

Le Bas. Dictionnaire encyclopédique de la France. Billard de Veau, Biographie des personnes marquantes de la chouannerie.

BEAUMELLE (Laurent ANGLIVIEL DE LA), littérateur français, naquit à Valleraugue (Gard) le 28 janvier 1726, de Jean Angliviel, négociant, et de Suzanne d'Arnal, nièce du général Carle, et mourut à Paris le 17 novembre 1773. Il fit ses études au collège d'Alais, et fut d'abord destiné au commerce, profession à laquelle il renonça bientôt. Il quitta la France à la fin de 1745, et se rendit à Genève. Après dix-huit mois de séjour en Suisse, il passa en Danemark. Il était appelé à Copenhague auprès d'un seigneur danois, pour diriger, en qualité de gouverneur, l'éducation de son fils. Trois ans après, il présenta au roi de Danemark un projet d'établissement d'une chaire de langue et belles-lettres françaises. Ce projet fut approuvé, et la Beaumelle obtint cette chaire. Le professeur se sépara alors de son élève, et fit un voyage à Paris cette même année (1750), pour obtenir la permission d'exercer les fonctions de son emploi. De retour à Copenhague, il y professa la langue et les belles-lettres françaises pendant quelque temps. Il résigna sa place à la fin de 1751, pour se rendre à Berlin.

Voltaire était alors à la cour de Prusse en grande faveur auprès de Frédéric II. La Beaumelle le vit plusieurs fois. C'est de cette époque que date la brouillerie de ces deux écrivains. La Beaumelle avait récemment publié un livre intitulé Mes Pensées; il renfermait un passage qui déplut à Voltaire, et qui devint la cause de la haine que celui-ci voua à son auteur, et des persécutions qu'il lui suscita depuis.

Après avoir éprouvé à Berlin toute espèce de désagréments, la Beaumelle quitta la Prusse, séjourna quelque temps dans différentes villes d'Allemagne, et vint à Paris à la fin de 1752. Il ne tarda pas à y éprouver les effets du ressentiment de Voltaire. Il fut arrêté le 24 avril

1753, conduit à la Bastille et enfermé dans la première chambre de la tour du coin, où il eut la permission d'écrire, et de travailler à divers ouvrages déjà commencés. Le 1er août, il fut transféré dans une autre chambre; on lui enleva le papier, l'encre et les plumes. C'est alors que, privé de tout moyen d'écrire, il y suppléa en traçant sur des assiettes d'étain, avec la pointe d'une aiguille, une ode sur les couches de la Dauphine (imprimée depuis ), et sept cents vers au moins d'une tragédie restée inachevée. Cependant cet excès de rigueur que la Beaumelle eut à subir ne fut pas de longue durée. Il fut élargi le 12 octobre 1753, et exilé à cinquante lieues de Paris. Il obtint, quelques jours après, la permission d'y rester. Il dut sa liberté aux sollicitations pressantes de sa famille et de ses amis, au nombre desquels et parmi les plus dévoués il faut citer Montesquieu et la Condamine.

Pendant la détention de la Beaumelle, Voltaire avait publié contre lui son Supplément au Siècle de Louis XIV. Rendu à la liberté, il lui fut permis de répondre à son adversaire; sa réponse parut en 1754. Cet ouvrage est regardé comme l'un des plus piquants dans le genre polémique: il obtint un grand succès.

Un ouvrage plus important l'occupait alors et depuis longtemps : c'était les Mémoires pour servir à l'histoire de madame de Maintenon. Il avait déjà sondé le goût du public par l'impression de deux petits volumes de lettres de cette dame, et d'un premier volume de sa vie, très-abrégée; mais son cadre s'agrandit par l'abondance des matériaux qui furent mis à sa disposition. SaintCyr lui fut ouvert; le maréchal duc de Noailles lui communiqua des documents dont il était possesseur, et il travailla souvent à Versailles sous les yeux de ce seigneur. Louis XV lui-même voulut lire le manuscrit de la Beaumelle. Celui-ci se rendit en Hollande en 1755, pour le faire imprimer. Il revint à Paris un an après. Il avait obtenu la permission d'y faire entrer son livre, et la levée définitive de sa lettre d'exil, qui avait été seulement suspendue tous les six mois. Son ouvrage, imprimé en février 1756 par souscrip tion, obtint le plus grand succès. La fortune semblait sourire à la Beaumelle. Il était au moment de jouir de ses succès au sein de sa famille, lorsque, prêt à partir pour se rendre auprès d'elle, il fut arrêté le 6 août 1756, et conduit une seconde fois à la Bastille.

La Beaumelle ne se laissa point abattre sous le coup d'un malheur aussi imprévu qu'il était peu mérité. Son amour pour l'étude, son ardeur pour le travail, ne se ralentirent point. Il termina sa traduction de Tacite, entreprise pendant son premier séjour à la Bastille, tandis que les contrefaçons multipliées du livre qu'il venait de publier lui enlevaient le fruit de ses veilles et de ses travaux. Sa détention, qui porta de graves atteintes à sa santé, se prolongea au delà d'un an. La Beaumelle ne fut rendu à la liberté que le 1er sep

tembre 1757. Il rentra dans sa famille après douze années d'absence, et trois jours seulement avant la mort de son père. Un exil, qui succéda à la prison, interdit à la Beaumelle la résidence de Paris, et l'obligea de séjourner dans différentes villes de sa province (le Languedoc). C'est pendant ce temps (1760-1761) qu'il eut une affaire désagréable à démêler avec les capitouls de Toulouse, dont le résultat fut d'abord de le faire emprisonner, mais qui se termina à la honte du fameux David, capitoul, qui joua un si grand rôle dans la malheureuse affaire de l'infortuné Calas (1). La Beaumelle prit la plus grande part à la défense des victimes du fanatisme. C'est lui qui fit le placet d'après lequel madame Calas obtint la liberté de ses filles en 1762. Peu de temps après (1764), il épousa l'une des sœurs du jeune Lavaysse, de celui-là même qui fut impliqué dans le procès de Calas. Sa femme possédait auprès de Mazères (Ariége) un domaine où il se fixa. Il pouvait se flatter d'y jouir enfin du repos, lorsque Voltaire lui adressa par la poste (1767) une lettre diffamatoire imprimée (2), et la fit répandre avec profusion dans le pays de Foix. Il l'accusa auprès du ministre (le comte de Saint-Florentin) de lui avoir écrit quatre-vingt-quinze lettres anonymes, et lui adressa la dernière, qu'il assurait être de la Beaumelle, quoique sans signature. Celui-ci s'empressa d'écrire à M. de Saint-Florentin pour réfuter les calomnies de son ennemi, calomnies qui ne tendaient à rien moins qu'à le flétrir, le déshonorer, et le faire considérer comme un ennemi de l'État. Il ne se borna pas à cette démarche ; il réunit des pièces authentiques, dans le but de détruire juridiquement les accusations de son ennemi; enfin il conçut l'entreprise d'une édition des œuvres de Voltaire, avec des remarques au bas des pages. La mort ne lui permit pas de l'exécuter. Ce travail se borna à l'impression de la Henriade avec des remarques (1769), et le volume même ne fut pas publié, Voltaire ayant eu le crédit d'en faire saisir l'édition.

Cependant, après un long exil, et malgré toutes les tentatives de Voltaire pour le perdre, nonseulement la Beaumelle eut la permission de revenir à Paris au commencement de 1770, mais, peu de temps après son retour dans cette ville, il fut attaché à la bibliothèque du Roi, et bientôt après une pension lui fut accordée. Il n'en jouit pas longtemps. Il mourut à l'âge de quarantehuit ans, dans la maison habitée par son ami la Condamine, qui ne lui survécut que de quelques mois (3).

(1) Voy. le Mémoire de Laurent Angliviel de la Beaumelle contre le procureur général du roi; Toulouse, 1760, in-12.

(2) Madame de la Beaumelle ayant reçu et ouvert le paquet adressé à son mari, qui était malade, voulut lui en dérober la connaissance, dans l'espoir, blentôt déçu, d'amener une réconciliation. Elle écrivit à Voltaire dans ce sens; son père, M. Lavaysse, entra en correspondance avec lui, dans le même but. Ces démarches furent inutiles.

(3) La Beaumelle laissa en mourant deux enfants en bas

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Les principaux ouvrages de la Beaumelle sont la Spectatrice danoise, ou l'Aspasie mo· derne, ouvrage hebdomadaire; Copenhague, 1749-1750, 3 vol. in-8°: la Beaumelle y eut la plus grande part; — l'Asiatique tolérant, 1750, in-12; Suite de la défense de l'Esprit des lois, 1751, in-12; -- Mes Pensées; Copenhague, 1751, in-12 (Voici le passage de ce livre qui déplut à Voltaire : « Qu'on parcoure l'histoire an<< cienne et moderne, on ne trouvera point d'exem « ple de prince qui ait donné sept mille écus de << pension à un homme de lettres, à titre d'homme « de lettres. Il y a eu de plus grands poëtes que « Voltaire, il n'y en a jamais eu de si bien ré«< compensés, parce que le goût ne met jamais de «< bornes à ses récompenses. Le roi de Prusse « comble de bienfaits les hommes à talent, pré«< cisément par les mêmes raisons qui engagent « un petit prince d'Allemagne à combler de bien« faits un bouffon ou un nain »); - Pensées de Sénèque, avec le latin à côté; Paris, 1752, 2 vol. in-12; Réponse au Supplément du Siècle de Louis XIV, 1754, in-12, reproduite sous le titre de Lettres de la Beaumelle à Voltaire, 1763, in-12; - Mémoires pour servir à l'histoire de madame de Maintenon; Amsterdam, 17551756, 6 vol. in-12, suivis d'un recueil de lettres de cette dame, 9 vol. in-12; Préservatif contre le déisme, 1763, in-12; - Examen de la nouvelle Histoire de Henri IV, de Bury (sous le nom du marquis de B***); Genève, 1768, in-8° cet ouvrage excita la colère de Voltaire, qui réussit à en faire mettre six cents exemplaires au pilon (voy. Barbier et Quérard, qui rapportent des faits curieux sur ce livre); – Lettre à Philibert et Chirol (dans l'Année littéraire), 1770; - la Henriade, avec des remarques, 1769, in-8° : Fréron en publia une 2e édition avec des changements, sous le titre de Commentaires sur la Henriade, 1775, in-4° ou 2 vol. in-8°; -l'Esprit, ouvrage posthume; Paris, 1802, in-12.

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BEAUMELLE (Victor - Laurent - SuzanneMoïse ANGLIVIEL DE LA), publiciste français, fils du précédent, naquit à la Nogarède près Mazères le 21 septembre 1772, et mourut le 29 mai 1831. Appelé par la réquisition aux armées de la république, il fit les campagnes de 1793 et 1794, d'abord comme simple dragon, puis en qualité d'officier du génie. Sa santé l'obligea, peu de temps après, à quitter le ser

âge une fille, qui vit encore (1852), veuve de J.-A. Gleizes, écrivain distingué (voy. ce nom dans cette biographie), et un fils mort colonel du génie.

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