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LA MARSEILLAISE *

ALLONS, enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé;
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé,
Entendez-vous dans ces campagnes
Mugir ces féroces soldats?

Ils viennent jusque dans vos bras Égorger nos fils, nos compagnes! . . . Aux armes, citoyens! formez vos bataillons! Marchons, marchons!

Qu'un sang impur abreuve nos sillons!

Que veut cette horde d'esclaves,

De traîtres, de rois conjurés?

Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés?

Français, pour nous, ah! quel outrage!
Quels transports il doit exciter!
C'est nous qu'on ose méditer
De rendre à l'antique esclavage.

Quoi! ces cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers?
Quoi! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fiers guerriers?
Grand Dieu! par des mains enchaînées
Nos fronts sous le joug se ploieraient!
De vils despotes deviendraient

Les maîtres de nos destinées.

Tremblez, tyrans, et vous perfides,

L'opprobre de tous les partis,
Tremblez! vos projets parricides
Vont enfin recevoir leur prix!
Tout est soldat pour vous combattre.
S'ils tombent, nos jeunes héros,
La terre en produit de nouveaux
Contre vous tout prêts à se battre!

*For a paraphrase of this poem see page 2271.

Français, en guerriers magnanimes,
Portez ou retenez vos coups;

Épargnez ces tristes victimes
A regret s'armant contre nous.
Mais ces despotes sanguinaires,
Mais les complices de Bouillé,
Tous ces tigres qui sans pitié
Dechirent le sein de leurs mères!

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n'y seront plus;
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus!

Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre! . . .

Amour sacré de la Patrie,

Conduis, soutiens nos braves vengeurs:

Liberté, Liberté chérie,

Combats avex tes défenseurs!

Sous nos drapeaux que la Victoire

Accoure à tes mâles accents;

Que tes ennemis expirants

Voient ton triomphe et notre gloire! .
Aux armes, citoyens! formez vos bataillons!
Marchons, marchons!

Qu'un sang impur abreuve nos sillons!
Claude Joseph Rouget de Lisle [1760-1836]

BALLADE DES DAMES DU TEMPS JADIS *

DICTES-MOY où, n'en quel pays,

Est Flora, la belle Romaine;

Archipiada, ne Thaïs,

Qui fut sa cousine germaine;

*For translations of this poem see pages 1783, 1784, 1785.

Echo, parlant quand bruyt on maine Dessus riviere ou sus estan,

Qui beauté eut trop plus qu'humaine? Mais où sont les neiges d'antan!

Où est la tres sage Heloïs,

Pour qui fut blessé et puis moyne
Pierre Esbaillart à Sainct-Denys
(Pour son amour eut cest essoyne)?
Semblablement, où est la royne
Qui commanda que Buridan

Fust jetté en ung sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan?

La royne Blanche comme ung lys,
Qui chantoit à voix de sereine;
Berthe au grand pied, Bietris, Allys;
Harembourges, qui tint le Mayne,
Et Jehanne, la bonne Lorraine,
Qu'Angloys bruslerent à Rouen;
Où sont-ils, Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan!

ENVOI

Prince, n'enquerez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Que ce refrain ne vous remaine:
Mais où sont les neiges d'antan?

François Villon [1431-14?]

BALLADE DE FRÈRE LUBIN

POUR courir en poste à la ville
Vingt fois, cent fois, ne sçai combien,
Pour faire quelque chose vile,
Frère Lubin le fera bien;

Mais d'avoir honneste entretien,

Ou mener vie salutaire,
C'est à faire à un bon chrestien,

Frère Lubin ne le peut faire.

*

*For a translation of this poem see page 1874.

Pour mettre (comme un homme habile)
Le bien d'autruy avec le sien,

Et vous laisser sans croix ne pile,
Frère Lubin le fera bien.

On a beau dire, je le tien,
Et le presser de satisfaire,
Jamais ne vous en rendra rien;
Frère Lubin ne le peut faire.

Pour desbaucher par un doux stile,
Quelque fille de bon maintien,
Point ne faut de vieille subtile,
Frère Lubin le fera bien.
Il presche en theologien;

Mais pour boire de belle eau claire,
Faites la boire à vostre chien,

Frère Lubin ne le peut faire.

ENVOI

Pour faire plus tost mal que bien,
Frère Lubin le fera bien,

Et si c'est quelque bon affaire,
Frère Lubin ne le peut faire.

Clément Marot (1495-1544]

LE GRENIER *

Je viens revoir l'asile où ma jeunesse
De la misère a subi les leçons.
J'avais vingt ans, une folle maîtresse,

De francs amis et l'amour des chansons.
Bravant le monde et les sots et les sages,

Sans avenir, riche de mon printemps, Leste et joyeux, je montais six étages.

Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans!

C'est un grenier, point ne veux qu'on l'ignore.
Là fut mon lit, bien chétif et bien dur;
Là fut ma table; et je retrouve encore

Trois pieds d'un vers charbonnés sur le mur.
*For a translation of this poem see page 463.

Apparaissez, plaisirs de mon bel âge,

Que d'un coup d'aile a fustigés le temps,

Vingt fois pour vous j'ai mis ma montre en gage. Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans!

Lisette ici doit surtout apparaître,

Vive, jolie, avec un frais chapeau;
Déjà sa main à l'étroite fenêtre

Suspend son schal, en guise de rideau.
Sa robe aussi va parer ma couchette;
Respecte, Amour, ses plis longs et flottans.
J'ai su depuis qui payait sa toilette.
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans!

À table un jour, jour de grande richesse,
De mes amis les voix brillaient en choeur,
Quand jusqu'ici monte un cri d'allégresse:
À Marengo Bonaparte est vainqueur.
Le canon gronde; un autre chant commence
Nous célébrons tant de faits éclatans.
Les rois jamais n'envahiront la France.
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans!

Quittons ce toit où ma raison s'enivre.
Oh! qu'ils sont loin ces jours si regrettés!
J'échangerais ce qu'il me reste à vivre

Contre un des mois qu'ici Dieu m'a comptés,

Pour rêver gloire, amour, plaisir, folie,

Pour dépenser sa vie en peu d'instans,

D'un long espoir pour la voir embellie.

Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans!
Pierre-Jean de Béranger [1780–1857]

LE ROI D'YVETOT *

IL était un roi d'Yvetot

Peu connu dans l'histoire,

Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,

*For a paraphrase of this poem see page 1848.

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