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ce venait de prendre pour un jeune secrétaire du cabinet. Potemkim feignit de partir, mais le lendemain il vint se placer visà-vis de l'impératrice, à sa table de whist. Catherine lui avança une carte, en lui disant qu'il jouait heureusement, et il ne fut plus question de départ. Il conserva ses honneurs, ses emplois, et augmenta son crédit. L'ambition devint l'occupation de toute sa vie, et son génie lui donna la place que la plus violente passion de la part de Catherine n'aurait jamais pului donner. Il se fit son ami, son conseil, et prit un ascendant que rien ne devait plus troubler. Le grand-duc Paul venait de perdre la princesse de Darmstadt son épouse, qui était morte en couches; et le prince Henri de Prusse, venait d'arriver à Pétersbourg pour la seconde fois. Cette visite, qui évitait toute confidence diplomatique entre les cabinets russe et prussien, avait pour objet le partage définitif de la Pologne; et Catherine s'y décida bientôt. Elle s'occupa en même temps avec le prince du choix d'une autre épouse pour son fils, et il fut arrêté que le grandduc se rendrait à Berlin, où il verrait la princesse de Würtemberg, qu'elle lui destinait. Le prince de Darmstadt, qui en était épris, reçut du cabinet de Berlin l'ordre de renoncer à son amour, et la jeune princesse arriva dans cette cour aux frais de l'impératrice. Le grand-duc fut aussi docile que son rival: il épousa la princesse à Pétersbourg. C'est de ce mariage que sont nés l'empereur Alexandre, les grands-ducs

Constantin, Nicolas et Michel, et cinq grandes- duchesses. Cependant le favori subalterne de Catherine était devenu ambitieux, et osait menacer la fortune de Potemkim. Celui-ci fit trouver un jeune capitaine de hussards sur le chemin de l'impératrice, et il ne fut plus question du secrétaire. La politique de Catherine était devenue régulatrice pour le Nord. Elle avait abandonné le Holstein au Danemarck; elle prenait une part active aux affaires de la Suède, dominait celles de la Pologne, effrayait le divan de la possession prochaine de la Crimée, exercait son influence sur les cabinets de Vienne et de Berlin, et inquiétait ceux de Londres et de Versailles. Le roi de Suède, Gustave III, était venu à Pétersbourg. Le traité de Constantinople avait suspendu les projets de Catherine contre la Turquie. La paix de Teschen venait de réconcilier, sous sa médiation, la Prusse et l'Autriche, aux dépens de la Bavière. Dans un voyage qu'elle fit à Mohilow, elle avait donné rendez-vous à Joseph II, qui la suivit à Pétersbourg: le prince héréditaire de Prusse avait aussi paru à la cour de Russie. La neutralité armée que Catherine avait formée avec les puissances du Nord, promenait ses pavillons dans l'Océan, et les escadres russes voguaient dans la Méditerranée. Elle s'était portée médiatrice entre la Hollande et l'Angleterre, et la paix avait été le résultat de son influence. L'établissement des jésuites en Russie date de ce voyage à Mohilow, dont la population est ca

tholique. Elle n'en retira pas l'avantage politique qu'elle s'était promis; les jésuites sentirent bien qu'il n'y avait pas d'établissement convenable pour eux, dans un pays dont le gouvernement était despotique et schismatique, et ils n'y vinrent qu'en petit nombre, sans autre instruction de leur ordre, que l'exercice du culte et l'éducation de la jeunesse. A l'avénement d'Alexandre ils ont cru pouvoir oser davantage; ils s'étaient emparés de l'esprit de quelques femmes de le cour, dont l'abjuration avait de l'importance, et ils ont été chassés. Le grand travail de la division des provinces du vaste empire, commencé en 1776, fut terminé en 1983. Un grand hommage avait été offert à Pierre-le-Grand, par Catherine, à la fin de l'année précédente; la statue colossale du fondateur, placée sur un rocher brut, au milieu de Pétersbourg, honorait et consacrait également le génie des plus grands souverains de la Russie. Une inscription simple, à Pierre I, Catherine II, rendait ce monument éloquemment historique, et portait l'empreinte du nouveau siècle. Des villes s'élevaient à la voix de Catherine et de Potemkim; et Cherson ouvrait déjà ses chantiers et son port à la guerre et au commerce. Mais l'envahissement de la Crimée était décidé; il fallait bien préluder à la destruction de la Pologne par une violation moins odieuse. Quelques soulèvemens excités parmi les Tartares donnèrent prétexte à l'invasion des Russes, et le khan, dont ils défendaient les droits, fut dépouil.

et

lé de ses états. Potemkim commanda cette expédition, et fit massacrer 30,000 Tartares par le général Paul, son cousin. Cette usurpation sanglante sur un pays déclaré indépendant par le traité de Bucharest, et sur un prince également allié de la Russie et de la Porte, fut justifiée par un manifeste de Catherine, qui se terminait ainsi : « ....... Nous » réunissons à notre empire la péninsule de Crimée, l'île de Ta⚫ man, et tout le Kuban, comme » une juste indemnité des pertes »que nous avons souffertes, » des dépenses que nous avons faites pour maintenir la paix et >> le bonheur. » Les Turcs n'avaient pas eu le temps de s'opposer à cet envahissement; mais malgré leur apathie, ils ne pouvaient manquer d'en tirer vengeance. Catherine, qui avait mis encore cette guerre dans ses calculs, s'y prépara habilement, en s'assurant de la neutralité de la Suède. Une entrevue fut proposée à Frédériksham avec le roi de Suède. Le prince s'excusa, sous prétexte de maladie. Catherine lui écrivit alors qu'elle irait à Stockholm, et Gustave III se rendit au lieu de l'entrevue. Catherine en obtint sa neutralité pendant la guerre de Turquie, et lui promit après, de l'aider à s'emparer de la Norwège, et ils se séparèrent contens l'un de l'autre. Trois armées russes, commandées par. le maréchal Romantzoff, Potemkim, et Repnin, ainsi que les flottes de la mer Noire et de la Baltique, appuyaient la conduite et les projets de Catherine. La cour de Londres, qui reprochait à la Rus

ce venait de prendre pour un jeune secrétaire du cabinet. Potemkim feignit de partir, mais le lendemain il vint se placer visà-vis de l'impératrice, à sa table de whist. Catherine lui avança une carte, en lui disant qu'il jouait heureusement, et il ne fut plus question de départ. Il conserva ses honneurs, ses emplois, et augmenta con crédit. L'ambition devint l'occupation de toute sa vie, et son génie lui donna la place que la plus violente passion de la part de Catherine n'aurait jamais pu lui donner. Il se fit son ami, son conseil, et prit un ascendant que rien ne devait plus troubler. Le grand-duc Paul venait de perdre la princesse de Darmstadt son épouse, qui était morte en couches; et le prince Henri de Prusse, venait d'arriver à Pétersbourg pour la seconde fois. Cette visite, qui évitait toute confidence diplomatique entre les cabinets russe et prussien, avait pour objet le partage définitif de la Pologne; et Catherine s'y décida bientôt. Elle s'occupa en même temps avec le prince du choix d'une autre épouse pour son fils, et il fut arrêté que le grandduc se rendrait à Berlin, où il verrait la princesse de Würtemberg, qu'elle lui destinait. Le prince de Darmstadt, qui en était épris, reçut du cabinet de Berlin l'ordre de renoncer à son amour, et la jeune princesse arriva dans cette cour aux frais de l'impératrice. Le grand-duc fut aussi docile que son rival: il épousa la princesse à Pétersbourg. C'est de ce mariage que sont nés l'empereur Alexandre, les grands-ducs

Constantin, Nicolas et Michel, et cinq grandes- duchesses. Cependant le favori subalterne de Catherine était devenu ambitieux, et osait menacer la fortune de Potemkim. Celui-ci fit trouver un jeune capitaine de hussards sur le chemin de l'impératrice, et il ne fut plus question du secrétaire. La politique de Catherine était devenue régulatrice pour le Nord. Elle avait abandonné le Holstein au Danemarck; elle prenait une part active aux affaires de la Suède, dominait celles de la Pologne, effrayait le divan de la possession prochaine de la Crimée, exercait son influence sur les cabinets de Vienne et de Berlin, et inquiétait ceux de Londres et de Versailles. Le roi de Suède, Gustave III, était venu à Pétersbourg. Le traité de Constantinople avait suspendu les projets de Catherine contre la Turquie. La paix de Teschen venait de réconcilier, sous sa médiation, la Prusse et l'Autriche, aux dépens de la Bavière. Dans un voyage qu'elle fit à Mohilow, elle avait donné rendez-vous à Joseph II, qui la suivit à Pétersbourg: le prince héréditaire de Prusse avait aussi paru à la cour de Russie. La neutralité armée que Catherine avait formée avec les puissances du Nord, promenait ses pavillons dans l'Océan, et les escadres russes voguaient dans la Méditerranée. Elle s'était portée médiatrice entre la Hollande et l'Angleterre, et la paix avait été le résultat de son influence. L'établissement des jésuites en Russie date de ce voyage à Mohilow, dont la population est ca

cette grande opération. Ségur emprunta, pour écrire le projet de traité de commerce entre la France et la Russie, l'écritoire de l'ambassadeur d'Angleterre, qui en négociait un de son côté. Au commencement de 1787, l'impératrice décida avec Potemkim un voyage dans ses nouvelles possessions. Le favori en fit un triomphe qui dura six mois. Le récit de ce voyage semblerait tiré des mille et une nuits. Le luxe de l'Europe et de l'Asie y fut employé par l'habile Potemkim pour offrir à sa souveraine, dans un trajet de mille lieues, tous les enchantemens que l'imagination orientale eût pu inventer. Les ambassadeurs de France, d'Angleterre et d'Autriche, le prince de Nassau et le prince de Ligne, suivirent Catherine avec tout ce que la cour offrait de plus brillant en hommes et en femmes. Ce voyage se fit par terre jusqu'à Kiow, ancienne capitale de l'empire russe. Cette ville, autrefois si fameuse, n'offrait alors que le mélange des ruines du séjour des premiers tzars et de nouveaux édifices non achevés par Catherine, et l'impératrice prétendit que trois réponses des ambassadeurs fitz Helbert, Cobentzl et Ségur, peignaient le caractère de leurs trois nations ayant demandé à chacun d'eux ce qu'il pensait de la ville de Kiow, l'Anglais répondit, madame, c'est un vilain trou; l'Autrichien, c'est la plus magnifique ville que j'aie vue, et le Français, Kiow est un grand souvenir et une grande espérance. Catherine avait donné rendezvous sur sa route à l'empereur Joseph II, ainsi qu'au roi Ponia

towski qu'elle allait détrôner. Jamais l'orgueil et l'adulation n'avaient présenté au monde un pareil spectacle. Le pouvoir se donna dans ce voyage sans objet une grande représentation de l'esclavage et du despotisme. Les routes, les villes, les villages, étaient illuminés. Les fêtes, les bals, les festins, paraissaient subitement au milieu des déserts. Leur solitude fut suspendue sur le passage de Catherine. Potemkim avait transporté, à grands frais, du sein des forêts et des montagnes, des populations entières avec leurs bestiaux, et leur avait donné l'apparence d'habitans dans des bourgs ou des hameaux qu'il avait fait magiquement élever. Ces villageois, d'une espèce nouvelle, avaient ordre de paraître cultiver le sol auquel on les avait prêtés pour un temps, et des esclaves nomades furent contraints de jouer le rôle de propriétaires cultivateurs. D'immenses troupeaux se montraient sur la cime des collines, sur les bords des fleuves, et des chœurs de paysans, élégamment vêtus, accouraient au-devant de la nouvelle Sémiramis. Le Dnićper, l'antique Borysthène, vit se renouveler, pour une reine de 60 ans, le triomphe dont la jeune et belle Cléopâtre avait charmé les rivages du Nil. Une flotte de 50 galères, magnifiquement décorées, transportait sur ce beau fleuve l'impératrice et sa cour au milieu des enchantemens de toute espèce qui se reproduisaient sur ses bords. Ce fut à Kanieff que le roi Poniatowski revit Catherine, après vingt-trois ans de séparation. On prétend que Ca

sie la neutralité armée du Nord, voulut décider le divan à la guerre. Mais un nouveau traité eut lieu à Constantinople, qui ratifia la réunion de la Crimée à la Russie, et reconnut à celte puissance le droit qu'elle prétendait sur l'empire de la mer Noire et le passage des Dardanelles. Potemkim, par ses artifices et ses libéralités, réunit également aux états de Catherine, ceux du prince Héraclius et ceux du sultan de la Mingrelie, et fit transporter sur les côtes de la mer Noire et de la mer d'Azoff, une peuplade de 60,000 Cosaques, qu'il consacra au service de la marine. Il reçut de sa souveraine le surnom de Taurique, comme Romantzoff avait reçu celui de Danubien, et Alexis Orloff, celui de Tchesmite. La mort de Panin et celle de Grégoire Orloff, qui eurent lieu dans les premiers mois de l'année 1784, laissèrent à Potemkim toute la sécurité de l'héritage du pouvoir. Panin mourut pauvre, après avoir été ministre pendant tant d'années, et Orloff mourut dans un état de démence, dont la cause était sans doute naturelle, après la continuité de sa disgrâce et la perte récente qu'il venait de faire de sa femme qu'il aimait tendrement. L'heureux Potemkim poursuivait ainsi, au sein des triomphes et des succès de toute nature, la carrière la plus brillante que jamais favori et homme d'état eussent parcourue. Quelques amans, plus ou moins obscurs, avaient amusé encore les loisirs de sa souveraine, dont il protégeait également les faiblesses et la gloire. Un seul, Landskoi,

lui parut prendre sur l'impératrice un empire qui altéra sa sérénité ordinaire. Mais ce jeune homme mourut presque subitement d'une maladie violente. Catherine fut pendant quelques jours inconsolable de sa perte, et lui fit élever un monument, dont l'inscription, Catherine à Landskoi, rappelait la simplicité de celle du monument de Pierre I". La princesse Daschoff, qui s'était réconciliée depuis long-temps avec Catherine, crut devoir lui donner un témoignage tout nouveau de son amitié, en proposant son fils pour être le successeur de Landskoi. Mais Potemkim, à qui cette amitié parut trop compliquée, mit sur les rangs le lieutenant Yermoloff, et l'emporta. La France venait enfin d'envoyer à la cour de Russie un habile négociateur, un homme d'esprit, dont les manières et les talens étaient faits pour plaire à Catherine, et même à son favori. Le comte de Ségur débuta par un traité de commerce, que son cabinet n'avait pu obtenir depuis quarante ans : il donnait à la France tous les avantages du pays le plus favorisé, et les enlevait à l'Angleterre. Cette négociation fut improvisée adroitement par l'ambassadeur de France avec Potemkim dans un voyage sur le canal de communication entre la mer Caspienne et la mer Baltique. M. de Ségur y accompagnait l'impératrice avec les ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre. Potemkim demanda au comte de Ségur de lui faire sa proposition par écrit. Celui-ci se rendit aussitôt sur sa galère; une singularité piquante s'attache à

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