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celle de Fodéré; vie pure et active, toute dévouée à une sainte et noble cause: celle de la civilisation par l'étude. Il avait compris que, pour servir utilement les hommes, il faut souvent faire violence à leurs préjugés, à leur apathie, et savoir joindre avec habileté les secours à l'exemple, et les conseils aux bienfaits.

M. Bonafous était venu passer l'hiver à Paris pour donner ses soins à deux publications importantes. L'une était la Monographie du riz, qui devait faire pendant à sa magnifique histoire du maïs; l'autre était le catalogue de sa Bibliothèque séricicole, dont l'impression était presque achevée. Ces deux ouvrages allaient être terminés, lorsque, dans la soirée du 22 mars (1852),M. Bonafous éprouva une indisposition subite qui parut d'abord sans gravité. Son ami, le docteur Prunelle et M. Félix Rassat ne le quittèrent qu'au milieu de la nuit. Le lendemain, à cinq heures, il s'éveillait en proie à un accès de fièvre pernicieuse des plus violents, compliqué d'accidents nerveux, et, malgré les secours les plus habiles, les plus actifs, le même jour, avant midi, Matthieu Bonafous n'existait plus.

Cette mort si rapide et si prématurée fut un profond sujet de deuil, non-seulement pour sa famille et pour ses amis, mais aussi pour la science, pour les lettres, surtout pour tant de malheureux dont M. Bonafous était comme une seconde providence. Ce douloureux sentiment se manifesta aussitôt, à Paris, dans le sein des Sociétés savantes auxquelles il appartenait, et dans sa ville natale, où sa famille prit soin de ramener sa cendre, pour la faire reposer, selon ses vœux, près de celle d'un frère qu'il avait tendrement aimé. La ville de Turin, par de splendides funérailles, lui rendit un digne et solennel hommage,

comme à l'un de ses plus grands citoyens; enfin, la ville de Saint-Jean-de-Maurienne, qui le regardait comme un de ses enfants, voulut à deux reprises, dans un service funèbre, exprimer à son bienfaiteur, sa vénération, sa reconnaissance et ses éternels regrets. (G.)

Pour nous, si quelque chose peut adoucir l'amertume d'une telle perte, c'est la pensée que Matthieu Bonafous fut heureux, car il aimait les hommes et il en était aimé. Son existence fut dignement remplie, sinon de jours, du moins de travaux et de bonnes œuvres. Il avait accompli la double mission de l'homme de cœur et d'intelligence: apprendre et faire le bien.

Dieu, en plaçant l'homme au milieu de ses semblables, avec la liberté de sa pensée et de ses actes, l'a soumis à une grande épreuve morale. En présence des merveilles de la nature, il a soumis son intelligence à une épreuve non moins solennelle. « Cherche, imagine, travaille, a-t-il

dit, ou tu n'obtiendras ni souvenir de la postérité, ni « récompense de ma justice. » Honneur donc au juste qui secourt et console ses frères, comme à celui qui marche résolument à la conquête des vérités scientifiques! Et, si le savant comme le sage obtiennent rarement icibas quelque prix de leurs efforts, qu'importe?... Le suprême appréciateur se souviendra d'eux.

NOTES

(A) On lit ce qui suit dans le Livre d'or de la noblesse de France : << La maison de Bonafous est très-ancienne: l'existence du premier de ses membres connus est constatée jusques et au-delà de 1036.

« Il résulte d'un acte déposé à la Bibliothèque royale que Raymond vi fit une donation à Hugues de Bonafos de Teyssieu, qui l'avait accompagné à la croisade de 1243. C'est en vertu de cet acte de donation que le nom et les armes de H. de Bonafos figurent dans la salle des croisades, au musée de Versailles.

<< La maison de Bonafous a fourni plusieurs branches; la souche est évidemment du Quercy et du bas Limousin. L'orthographe du nom a varié selon les différents lieux que la famille a successivement habités.

Armoiries armes d'azur à la bande d'argent, aux 2 et 3 gueules, au besant d'argent, surmonté d'un lambel de même; supports deux lions. >>

C'est sans doute à la branche établie dans le Languedoc qu'appartenait Joseph de Bonafos, doyen, professeur à la faculté de médecine, médecin de l'hôpital général et des armées du roi à Perpignan, né en 1725. Il remplissait presque gratuitement la plupart de ses fonctions et publia plusieurs mémoires de médecine, notamment sur les eaux minérales du Roussillon et sur la topographie médicale de Perpignan. Membre de l'ancienne Académie royale de médecine, il mourut en 1779, à l'âge de 53 ans, et Vicq-d'Azyr prononça

son éloge. Cette famille médicale existe encore dans le pays. Matthieu Bonafous avait aussi dans le département de l'Hérault des parents dont, suivant M. d'Hombres Firmas, il parlait de se rapprocher.

(B) On sait que Franklin, pour montrer l'efficacité du sulfate de chaux, comme engrais dans certaines terres, eut l'idée d'écrire avec du plâtre en poudre sur un champ nouvellement ensemencé : Ceci a été couvert de plâtre. Au bout de quelques mois, la végétation plus vigoureuse des parties ainsi recouvertes permettait de lire distinctement ces mots des hauteurs qui dominaient la plaine. On comprend combien un pareil exemple dut agir sur l'esprit des cultivateurs.

(C) Le maïs, dont le nom appartient à la langue d'Haïti, était la base de la nourriture des Américains, quand les Espagnols abordèrent le nouveau continent. Apporté en Europe dans la première moitié du seizième siècle, ii se répandit rapidement en Italie et dans nos provinces méridionales, dont il contribua à enrichir et à étendre la population. A la même époque, il était décrit par les auteurs chinois, ce qui peut faire croire qu'il est également originaire de la Chine. C'est sans doute le maïs qui nous est parvenu de cette source par les croisés et les Arabes, qui a fait donner à cette céréale le nom de blé de Turquie.

(D) « La Chine, dit M. Bonafous dans cette remarquable préface, n'est pas seule à posséder avec l'Inde et la Perse des méthodes susceptibles d'intéresser la plus riche industrie des peuples occidentaux. A quelque distance de la côte orientale de l'Empire du milieu, il existe une vaste contrée où la culture de la soie n'est ni moins prospère ni moins honorée. Peuplée de quarante millions d'habitants, aussi civilisés et doués de plus d'intelligence que toutes les nations asiatiques qui les environnent, cette contrée est le Japon, le Ji-pèn des Chinois, le Berceau du soleil.

» Isolé au milieu des mers et gouverné, depuis deux mille ans, par des lois d'intolérance et de haine envers les étrangers, l'archipel japonais s'est déclaré, il y a deux siècles, inaccessible à toutes les nations européennes, les Hollandais exceptés. Ceux-ci, de même que les Coréens et les Chinois, dépossédés de leurs voiles et de leurs armes, vivent comme des prisonniers d'État, dans une île dépendante de la ville de Nangasaki, la petite île de Dezima, où ils ne 'voient que les interprètes japonais, obligés, par un serment solennel,

de garder le silence sur les affaires du pays. Là, nul étranger ne peut diriger une lettre quelconque hors du quartier où il est relégué, sans en remettre une copie à l'autorité locale; là, toute lettre provenant de l'intérieur est ouverte avant d'arriver à sa destination. Tout individu qui fraude la douane est décapité ou mis en croix. Les naturels mêmes, depuis l'anéantissement du culte chrétien et l'expulsion des Portugais, ne peuvent, sous peine de mort, s'éloigner du sol natal. Tout habitant jeté par une tempête sur une terre étrangère, s'il rentre dans sa patrie, est soumis à une surveillance tyrannique ou détenu pour le reste de ses jours. Les fonctionnaires de l'État, dans leurs rapports diplomatiques avec les gouvernements européens, ne font usage que de la langue hollandaise, de peur que les étrangers ne se familiarisent avec la langue japonaise.

<< Un savant allemand, M. de Siebold, chargé par le gouvernement colonial de Batavia de réunir tout ce qu'il pourrait trouver de relatif à l'histoire sociale, physique et naturelle de l'archipel japonais, est de tous les voyageurs celui qui, jusqu'à ce jour, a exploré avec le plus de succès ces îles inhospitalières. Les événements politiques qui ont ouvert récemment les abords du Céleste-Empire firent croire que les Japonais finiraient par diminuer la rigueur de leurs lois répulsives, et que la civilisation occidentale pénétrerait dans leur territoire sous la forme du commerce et de l'industrie; mais, quelles que soient les tentatives des Hollandais, des Anglais, des Portugais, des Russes et de plusieurs autres nations, rien n'a pu déterminer l'empereur du Japon à laisser pénétrer les étrangers dans ses États. Séparé du reste du monde par les mers dangereuses qui baignent ses rives et par les lois immuables qui en défendent l'entrée, l'empire du Japon veut à tout prix perpétuer son système d'isolement. Le seul moyen de percer l'obscurité qui enveloppe encore une contrée aussi difficile à explorer est de ravir sans scrupule aux Japonais les écrits spéciaux que ces peuples possèdent sur maintes branches de leur savoir. ».....

(E) Je dois à l'obligeance amicale de M. le docteur Fée, ami particulier de M. Bonafous, un renseignement que je ne dois pas laisser échapper. Trois mois avant sa mort, M. Bonafous avait montré à M. Fée le projet d'un prix à décerner Au meilleur moyen d'abattre les animaux domestiques sans les faire souffrir. M. Fée ajoute : << Nul homme n'avait le cœur plus tendre toutes les souffrances, de quelque part qu'elles vinssent, le touchaient vivement. »

(F) Son grand❜père était mort à Saint-Jean-de-Maurienne, en 1770,

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