Page images
PDF
EPUB

fût-on pas attaché à sa personne? Toujours prêt à faire le bien, à se dévouer à la cause commune, toujours combattant pour la vérité en négligeant son intérêt personnel : « J'ai réussi, disait-il naïvement, à m'élever à « quelques postes honorables; mais pour ce qui est ar« gent, je n'ai jamais eu de chance. » Il ne voyait là qu'un caprice du sort, sans tenir compte ni de son mérite propre ni de son désintéressement.

Marié fort jeune, il eut le regret de n'avoir pas d'enfants; mais il trouva dans sa compagne toutes les heureuses qualités qui font le charme du lien conjugal. Il s'appliqua à développer en elle le goût, le sentiment des arts, et il y réussit à ce point que madame Dupasquier occupe aujourd'hui l'un des premiers rangs parmi les peintres dont s'honore l'école lyonnaise.

C'est une tâche cruelle que d'avoir à résumer les efforts d'une belle intelligence prématurément éteinte, quand aux regrets de la science on doit joindre ceux d'une vive amitié. Remonter le cours d'une existence qu'on a suivie presque dès son origine, n'est-ce pas attacher une douleur à chaque souvenir? On se reproche de n'avoir pas mieux profité d'une intimité si précieuse, d'un bien qu'on croyait ne pouvoir vous échapper, et si l'on regrette de ne rendre à sa mémoire qu'un imparfait hommage, on se console par la pensée d'avoir accompli, dans la limite. de ses forces, un devoir touchant et sacré.

BENJAMIN DELESSERT (1)

Le récit de ses bonnes œuvres est

la seule louange qui soit digne de lui. M. D'ARGOUT. (Eloge de B. Delessert.)

I.

Que la reconnaissance nationale décerne des honneurs publics aux hommes qui ont bien mérité de la patrie, qui l'ont sauvée de grands périls, qui ont élevé sa dignité par des actions d'éclat ou par de hautes vertus civiques; que des statues, des monuments splendides perpétuent dans nos cités des noms en possession d'une grande renommée, c'est le devoir des nations jalouses de leur propre gloire, car l'exemple de l'héroïsme fait naître des héros, et l'enthousiasme qu'inspire une grande action donne la force et le courage de l'imiter. D'autres honneurs attendent ceux qui, dans une sphère moins orillante, ont servi la patrie avec dévouement et fermeté, qui ont travaillé au développement de la civilisation, au soulagement des classes populaires, qui ont prodigué les secours, les bienfaits, propagé les bons enseignements et donné l'exemple d'une vie honorable et pure. Loin d'eux

(1) Cet Éloge a remporté le prix fondé par M. Matthieu Bonafous et confié au jugement de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon (Concours de 1849).

la pompe des monuments; une modeste pierre redit leurs vertus et leurs actes. Leurs noms ne sont pas entourés de fastueux trophées, mais ils sont inscrits au frontispice de l'asile du pauvre, qui ne les prononce qu'avec reconnaissance et respect: Belzunce et Vincent de Paul, Turgot et Franklin, Bailly, Malesherbes, Parmentier, Monthyon, Larochefoucault-Liancourt!... liste vénérable, à laquelle la mort vient d'ajouter un nom de plus, celui de BENJAMIN DELESSERT.

}

Si l'élan spontané d'une âme héroïque élève quelquefois, d'un seul bond, de l'obscurité à la gloire, on prélude de plus loin aux vertus sociales, parce que la pensée qui y préside germe, se développe en secret, et que ses fruits mûrissent avec lenteur. C'est surtout dans les leçons, dans les exemples de la famille que les vertus de cet ordre puisent leur noble origine : heureux le fils qui, dans le souvenir de ses parents, trouve le modèle et l'inspiration de ses actes généreux !

Étienne Delessert, père de Benjamin, était le rejeton d'une famille jadis frappée par la révocation de l'édit de Nantes. Négociant habile, esprit entreprenant et hardi, il avait élevé à Lyon, sa ville natale, une maison de commerce qui y tenait l'un des premiers rangs. En 1774, il vint s'établir à Paris, où il se fit bientôt distinguer par des vues nouvelles sur les questions commerciales, et où il ne tarda pas à jouir d'une considération fondée sur une loyauté parfaite comme sur une supériorité incontestable de lumières et de talents. En 1782, pendant la guerre d'Amérique, une crise funeste ayant atteint l'industrie parisienne, le ministère s'adressa à Étienne Delessert, et mit à sa disposition des fonds considérables

pour la soulager. L'habile négociant, au lieu de les employer en secours, distribua des capitaux aux fabricants et leur fit de nombreuses commandes. Les ateliers se rouvrirent, le travail reparut et la prospérité qui en fut la conséquence permit bientôt de restituer au trésor les avances qui en étaient la source.

Plus tard, et à travers les phases d'une période orageuse, Étienne Delessert rendit à l'industrie et au crédit public des services signalés. Ce fut lui qui provoqua la création de la caisse d'escompte, dont il fut aussitôt nommé l'un des administrateurs. Il organisa en France la première compagnie d'assurances contre l'incendie. A peine échappé aux proscriptions de 1793, il voua de nouveau à la patrie son zèle et sa haute intelligence. Après le 18 brumaire, il fut l'un des premiers à offrir ses services au Premier Consul, et à ranimer par son exemple le crédit public. Plus tard, il contribua par l'importation des mérinos d'Espagne à l'amélioration de l'industrie des laines. Enfin, retiré des affaires, il inventa plusieurs machines, perfectionna les méthodes pratiques d'agriculture et fonda à ses frais deux écoles publiques pour les classes pauvres, institutions qui, pieusement conservées par sa famille, subsistent et prospèrent encore aujourd'hui.

Mais s'il est vrai qu'au sang paternel on puise ordinairement l'énergie, la vigueur de l'esprit et les vertus viriles, c'est aussi le plus souvent à sa mère que le philanthrope, le poëte, l'artiste, l'homme religieux, doit le germe des vertus sociales, comme de ces belles facultés qui procèdent d'une âme tendre, expansive et sympathique. La mère de M. Delessert, pour qui Jean-Jacques

Rousseau écrivit ses Lettres sur la botanique, était aussi distinguée par son esprit que par l'élévation de ses sentiments, et s'appliqua à développer chez ses nombreux enfants les qualités et les vertus qui la distinguaient elle-même. Madame Delessert avait un goût prononcé pour l'étude, pour les arts, pour la poésie. Son salon était le rendez-vous de tous les étrangers de distinction.

Benjamin, encore enfant, s'y faisait remarquer par la vivacité de son intelligence et par une mémoire prodigieuse. Il eut occasion d'y voir Benjamin Franklin, avec qui, par le caractère, l'activité et le tour ingénieux de l'esprit, il eut par la suite tant de points de ressemblance. Mais, dans ce salon distingué, il était aussi fort souvent question de bonnes œuvres, et les actions qui partent du cœur n'y étaient pas moins appréciées que les productions de l'esprit. - Tels furent les parents de M. Delessert. Est-il besoin de chercher ailleurs que dans une telle origine la source de son caractère, de ses goûts et de ses nobles instincts?

Sa naissance avait précédé la translation de sa famille à Paris. Il était né à Lyon, le 14 février 1773. Encore adolescent, son esprit se tourna vers l'étude des sciences. Il y fut entraîné par une aptitude naturelle et par l'exemple d'un frère aîné qui promettait de devenir un naturaliste de premier ordre. Les deux frères parcoururent d'abord les environs de Paris, recueillant tout ce qui avait rapport à la botanique, à la minéralogie, aux fossiles, et réunissant ainsi les premiers matériaux de ces collections devenues si vastes et si célèbres. Quelques années après des intérêts d'une autre nature les conduisirent en An

« PreviousContinue »