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avec cette chaleur, cet enthousiasme qui lui étaient naturels et qu'inspirent d'ailleurs de grandes et sublimes pensées. Rouelle eut donc le mérite de professer, l'un des premiers, la géologie en France, et l'on ne saurait lui refuser la gloire d'être l'un des créateurs de cette science parmi nous.

Ses travaux eurent une haute influence sur les destinées de la chimie. Avant lui, les chimistes se livraient à des expériences isolées, sans but arrêté, sans s'assujettir à aucun plan. Les tables de Geoffroy étaient le seul ouvrage qui présentât l'esquisse d'une doctrine générale. Boerhaave avait bien subordonné ses recherches à un certain ordre; mais il n'avait pu les lier entr'elles, parce qu'il manquait un trop grand nombre d'anneaux à la chaîne qu'il voulait établir. Rouelle se conforma jusqu'à certain point au plan de Boerhaave; mais, plus exercé que lui aux expériences, il en combla les lacunes, il en corrigea les imperfections, et réunit toutes les parties de la science par des rapports plus nombreux. La chimie végétale est celle qui doit le plus à ses efforts; c'est là surtout qu'il se montra supérieur. Ses procédés d'analyse servirent de base à toutes les découvertes qui se multiplièrent vers la fin de son siècle ; en un mot, ce fut lui qui, selon l'expression de Vicq-d'Azyr, fournit le creuset où toutes les connaissances acquises jusqu'alors vinrent se fondre et s'épurer.

Rouelle n'opéra point dans la chimie une de ces révolutions qui font époque dans l'histoire des sciences; mais mais il prépara les éléments de celle qui éclata peu de temps après lui. Il travailla sans relâche, et d'après un plan arrêté, au perfectionnement de l'art; il excita l'ar

deur des jeunes adeptes; il inspira le goût, la passion des recherches, et fut réellement le chef de cette jeune école qui, plus tard, exécuta avec tant de bonheur la réforme des idées et des connaissances chimiques. Il eut pour disciples tout ce que la France produisit de chimistes, on pourrait dire de savants, dans la seconde moitié du dixhuitième siècle. Ainsi, Rouelle jeune, Venel, Cadet, Macquer, d'Arcet, Roux, Bucquet, Bayen, Lavoisier lui-même se faisaient honneur d'appartenir à son école, et ne parlaient de Rouelle qu'avec une admiration mêlée de respect. Les étrangers venaient en France, attirés par sa renommée; une éducation scientifique n'êut pas été complète, si l'on n'eût pas suivi un de ses cours. L'Europe fut bientôt remplie de ses élèves, et la publicité ne manqua point à ses excellentes leçons, car elles étaient dans la mémoire de tous les chimistes contemporains, et elles existaient manuscrites dans les mains de tous les amis de la science.

François-Guillaume Rouelle était l'aîné de douze enfants; Rouelle jeune (Hilaire-Marin), son collaborateur assidu et son successeur le plus immédiat, était le dernier de cette nombreuse famille. On sait que celui-ci continua avec un grand succès les travaux entrepris par son frère, et qu'il le remplaça dans la chaire du Jardin du Roi. Rouelle aîné eut aussi plusieurs enfants, mais il n'en conserva que deux. L'une de ses filles épousa l'illustre Jean d'Arcet, son élève chéri, dont il avait pressenti les hautes destinées scientifiques et qui, à son tour, devait être la souche d'une famille chère à la science. L'officine de Rouelle, conservée quelque temps par sa veuve et par son frère, passa entre les mains de Bertrand Pelletier et, après

lui, dans celles de son fils Joseph, dont la chimie déplore la perte encore toute récente. C'est ainsi que, dans quelques familles, se perpétue la tradition du mérite, du savoir et des vertus, comme dans certaines contrées se propage le besoin de l'illustration, par l'exemple des hommes célèbres qui y ont pris naissance. C'est ainsi que le pays qui avait donné aux sciences les Lémery et les Rouelle, devait encore produire les Laplace, les Edouard Adam, les Fresnel, les Vauquelin, et ce savant, cet infortuné Dumont-d'Urville qui, tant de fois épargné par la tempête, a trouvé près du lieu natal une mort si cruelle et si prématurée !

4 août 1842.

J. R. SPIELMANN

(1722-1783).

Jacques-Reinbold Spielmann naquit à Strasbourg le 31 mars 1722. Il appartenait à une des plus anciennes et des plus honorables familles bourgeoises de cette ville. La profession de pharmacien était, chez les Spielmann, comme une tradition de famille, et son père désira lui voir suivre la même carrière. D'heureuses dispositions et un goût très-viť pour les sciences lui inspirèrent d'abord quelque éloignement pour l'exercice pratique de la pharmacie; toutefois, il en étudia les éléments dans l'officine paternelle, tout en s'adonnant, sous les habiles professeurs que réunissait l'université de Strasbourg, à l'étude de la philosophie, des langues anciennes et modernes, ainsi que des diverses branches des sciences médicales. En 1740, il visita quelques villes d'Allemagne; il séjourna pendant une année à Nuremberg, où les études pharmaceutiques jouissaient alors d'une grande réputation. Il s'arrêta ensuite à Heidelberg, Francfort, Leipzig, et se fixa quelque temps à Berlin, où déjà florissait une école de médecine célèbre. Ludolf y professait la botanique et la matière médicale, Pott la chimie, Sproegel et Budous l'anatomie, Fritsch l'histoire naturelle. Il s'y lia surtout

avec Margraff, qui avait fait ses premières études dans la pharmacie de son père. En 1742, il se rendit à Freyberg pour y étudier la minéralogie et la métallurgie sous le célèbre Henkel. Enfin il vint à Paris, où il eut occasion de connaître Geoffroy, les deux Jussieu, d'Olivet et Réaumur. Là se terminèrent ses voyages; son père venait de mourir, sa famille le rappelait; il se hâta de revenir à Strasbourg.

Pourvu de connaissances étendues et variées, le jeune Spielmann pouvait choisir entre les diverses professions médicales. Il crut devoir se borner provisoirement à la pratique de la pharmacie et il se fit admettre au collége de pharmacie de sa ville natale. Mais bientôt, s'en remettant aux soins d'un proviseur pour la gestion de son officine, il s'adonna avec ardeur aux études scientifiques. La chimie, l'histoire naturelle, la botanique surtout devinrent l'objet spécial de son application.

Spielmann n'avait encore que vingt-trois ans lorsqu'il épousa la fille d'un praticien distingué, Jean-Jacques Sachs, professeur de clinique, ce qui lui fournit l'occasion de tourner ses idées vers la pratique médicale. Il ne tarda pas à se présenter comme candidat au doctorat. Sa thèse avait pour sujet une question de chimie, et pour titre : De principio salino. Spielmann s'y déclarait en faveur de la doctrine de Stahl et s'efforçait de soutenir le système du chimiste allemand sur les parties élémentaires des substances salines, sur leur constitution, sur l'universalité de l'acide vitriolique. A cette époque, et malgré les récents travaux de Rouelle, la théorie des sels n'avait pas encore pris dans la science son rang définitif. Bien que les bases de l'argumentation de Spielmann manquassent

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