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cédés divers donnaient souvent lieu à des produits identiques, soit parce qu'elles ont été jugées inutiles ou inefficaces. D'autres, mais en très-petit nombre, ont été découvertes depuis. Tel est le kermès que, néanmoins, Lémery paraît avoir obtenu sans le bien distinguer du soufre doré d'antimoine, comme l'a établi Lémery le fils. Le Traité de l'antimoine est un livre que l'on étudie encore avec fruit, lorsqu'on s'occupe de ce métal, et que l'on veut s'appuyer, dans ses recherches, sur un guide excellent.

Dans les dernières années de sa vie, Lémery se borna à revoir les éditions successives de ses ouvrages, et à lire à l'Académie des sciences quelques Mémoires sur différents sujets de chimie, de médecine et d'histoire naturelle. Les plus remarquables sont, après ceux qui se rapportent à l'antimoine, son explication sur la formation des volcans et des eaux minérales, son examen des eaux de Passy, des observations sur le camphre, sur le miel, sur la cire et sur la manne, enfin des expériences pleines d'intérêt sur la préparation du sublimé corrosif.

Quelle que soit la part que Lémery ait prise aux progrès généraux de la chimie, c'est surtout par les services qu'il a rendus aux sciences médicales qu'il a droit à la reconnaissance et aux éloges de la postérité. Bien qu'entraîné par un penchant naturel vers les hautes recherches de la science, il n'oublia jamais qu'il était médecin, et surtout qu'il avait commencé par l'étude et la pratique de la pharmacie. Frappé de l'incertitude des moyens matériels de l'art de guérir, du peu que l'on savait sur l'origine et la nature des substances médicinales, de l'im

perfection des procédés pharmaceutiques, de la diversité et de la confusion qui existaient dans les formules, il résolut de porter la lumière dans ces ténèbres et de tirer l'art des médicaments de l'état déplorable dans lequel il languissait.

La pharmacie, en effet, longtemps embarrassée dans le chaos des compositions arabes, n'avait essayé d'en sortir que pour tomber dans un autre excès, en adoptant aveuglément et sans réserve les préparations chimiques préconisées par l'école de Paracelse. Ce fut alors une confusion générale. Les médecins de l'ancienne école ne prescrivaient que des électuaires, des confections, des antidotes ; compositions monstrueuses que Guy Patin, dans son humeur caustique, appelait de la cuisine arabesque, et que l'on nommait plus sérieusement de la Pharmacie galénique, quoiqu'elle fût si éloignée de l'art qu'avait enseigné et pratiqué Galien. Les paracelsistes, au contraire, n'employaient que des préparations métalliques ou minérales, prétendant engager l'art des médicaments dans une route nouvelle à laquelle ils donnaient le nom de Pharmacie chimique. Les premiers, conformant leurs prescriptions à leur singulière doctrine sur la nature des maladies, ne voyaient, dans les substances médicinales, que des altérants, des échauffants, des incrassants, et remplissaient leurs formules d'une multitude de drogues dont les unes formaient la base du médicament, tandis que d'autres faisaient fonctions de correctif, d'adjuvant, ou devaient les diriger à travers le labyrinthe de l'organisme. Les médicochimistes, à leur tour, tout en condamnant ce fastueux développement de forces médicatrices, semblaient ne compter que sur l'action simple et énergique des prépara

tions tirées du règne minéral, mais non sans en entourer l'emploi des prestiges de la cabale, de la magie, et des explications étranges de la philosophie occulte.

Au milieu de ce déplorable conflit, les apothicaires, humbles et aveugles exécuteurs de sentences si opposées, et d'autant plus contradictoires que ceux qui les portaient se rendaient moins compte de leurs motifs, appelaient de tous leurs vœux une réforme qui vint les dégager du chaos qui les entourait de toutes parts. En vérité, quand on considère l'état de la pharmacie au commencement du dix-septième siècle, on peut concevoir tout le sel des plaisanteries auxquelles étaient en butte les apothicaires de l'époque. Mais il est évident que ces sarcasmes retombaient avant tout sur la médecine, si peu capable encore de diriger la pharmacie dans une meilleure voie, et première cause de la confusion funeste dans laquelle l'art tout entier se trouvait alors plongé. Du reste, ces spirituelles attaques devaient bientôt porter leur fruit, et la pharmacie n'est pas celle des branches de la médecine qui devait en profiter le moins, dans l'intérêt de la science comme dans celui de l'humanité.

On ne tarda point, en effet, à comprendre tous les dangers d'une telle position. On s'effraya des abus qui pouvaient résulter de l'incertitude, de la multiplicité des formules, et l'on sentit la nécessité de les déterminer d'une manière précise et uniforme. On publia des dispensaires nationaux et officiels ; des médecins philosophes corrigèrent et simplifièrent les compositions officinales; les pharmaciens eux-mêmes commencèrent à écrire sur leur art. La raison pénétrait insensiblement dans le dédale des prescriptions pharmaceutiques, et la critique commençait

à donner un certain relief aux ouvrages de chimie et de pharmacie. Zwelfer attaquait la pharmacopée d'Augsbourg et provoquait d'utiles corrections dans ce dispensaire célèbre; Sassénus montrait les inexactitudes de la pharmacopée de Bruxelles; Charas, avec moins de bonheur, s'engageait contre Lémery dans une polémique qui devait tourner à l'avantage de ce dernier. On ne pouvait méconnaître, à tous ces symptômes, une tendance générale vers une réforme à laquelle l'art pharmaceutique aspirait si impatiemment.

Lémery employa quarante années à concourir de tous ses efforts à cette réforme importante. Ses ouvrages principaux, son enseignement public et privé, ses innombrables recherches, l'exemple de son habile pratique, sa vie entière, en un mot, fut appliquée à poursuivre ce ré sultat, et il l'atteignit autant que les circonstances au milieu desquelles il vécut s'y prêtèrent à leur tour. Que si l'on considère quelles furent, pour la science, les conséquences d'une volonté aussi persévérante, unie à des talents si rares et si distingués, on verra que c'est aux travaux de Lémery que se rattache la plus heureuse révolution qu'ait éprouvée la chimie, avant celle que vit éclore la fin du dix-huitième siècle; qu'à partir de son époque, cette science, dégagée des erreurs et des rêveries alchimiques, s'appuya sur les fondements de toute science véritable, l'observation, l'expérience et le raisonnement; que, désormais, ajournant encore l'émission des hautes théories qui devaient en éclairer l'ensemble, c'est vers la recherche des faits réels et positifs que furent dirigés les travaux des chimistes; qu'enfin, c'est à son école que se formèrent Lémery fils, Boulduc, Duhamel, Bourdelin, Geoffroy, Le

monnier, Malouin et une foule d'autres, jusqu'à Rouelle, Macquer et Beaumé, qui, tout en reculant eux-mêmes les limites de la science, reconnurent toujours dans Nicolas Lémery leur premier guide et leur premier maître. Quant à la pharmacie, après l'avoir tirée de la routine, il la fit reposer sur des bases rationnelles, il simplifia ses principes, perfectionna ses procédés, éclaira sa marche, releva son importance, et l'affranchit pour toujours du patronage orgueilleux et ridicule dont les Macroton et les Desfonandrès (1) de l'époque pensaient l'honorer. La pharmacie, dès lors, cessant de rechercher dans la médecine un appui qu'on lui avait fait payer si cher, alla le demander à la chimie, à la physique, à l'histoire naturelle, et conquit une indépendance dont elle rapporta les fruits à leur honorable source, en contribuant de tous ses efforts à l'avancement des nobles sciences qui l'avaient accueillie.

La pente naturelle du génie de Lémery le portait plutôt aux recherches expérimentales qu'aux spéculations de la théorie et aux travaux d'érudition; aussi s'arrête-t-il peu aux explications qui ne tombent pas sous les sens, et remonte-t-il rarement aux connaissances antérieures sur les sujets qu'il traite. Homberg est peut-être le seul chimiste qu'il cite dans ses écrits avec quelque complaisance. S'il répond aux attaques dirigées contre ses opinions, il le fait toujours avec réserve et ne nomme jamais ses adversaires. S'il rapporte quelque assertion généralement admise, mais qu'il juge peu fondée, c'est toujours avec les restrictions d'un esprit sain, judicieux, qui n'accorde rien à l'autorité des autres qu'après son propre et scrupuleux (1) Personnages de Molière.

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