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pas poussé jusqu'à l'excès la faculté de généralisation dont il fut doué à un si haut degré. Mais sachons faire également la part des temps où il vécut. Un mouvement aussi irrégulier que violent agitait alors l'Europe nouvelle; les théories les plus bizarres, les systèmes les plus opposés se combattaient dans les écoles. Les contradictions de Paracelse, comme celles de tous ses contemporains, étaient le fruit de ces luttes intellectuelles qui s'élevaient alors de toutes parts. Est-il donc étonnant que la vérité ne put encore se dégager d'un pareil état de trouble et de confusion? Et, puisque c'est à des chimistes que s'adressent ces lignes, qu'ils me permettent une allusion puisée dans un ordre de phénomènes qui leur est familier. Le départ des éléments ne s'opère dans un mixte que lorsque la solution, suffisamment étendue, est abandonnée à ellemême et dans un repos complet. En philosophie, comme en chimie, je dirai même en politique, l'ordre et la vérité ne sauraient s'établir qu'autant que les individus jouissent à la fois du calme, du repos et d'une sage liberté.

BERNARD PALISSY.

(1510-1589) (1).

Le nom de Bernard Palissy est vaguement empreint dans la mémoire de toutes les personnes qui s'occupent de sciences naturelles, d'agriculture, de physique, de chimie, ou qui ont étudié l'histoire des arts. On sait en général qu'il vécut au seizième siècle, qu'il était potier de terre, et qu'il découvrit le vernis des faïences. On sait que l'ardeur qu'il mit à cette recherche le retint longtemps dans la misère la plus profonde, mais qu'il finit par atteindre son but, et qu'il fut l'inventeur de ces rustiques figulines auxquelles les amateurs attachent aujourd'hui un assez haut prix. Ce que l'on sait moins généralement, c'est que cet homme, sans éducation première, sans aucune notion de littérature, sans connaissance de l'antiquité, sans secours d'aucune espèce, à l'aide des seuls efforts de son génie et de l'observation attentive de la nature, posa les bases de la plupart des doctrines modernes sur les sciences et les arts; qu'il émit, sur une foule de hautes questions scientifiques, les idées les plus hardies et les mieux fondées; qu'il professa le premier en

(1) Cette Étude a paru en tête d'une édition des œuvres complètes de Bernard Palissy, mises en ordre et annotées par l'auteur. Paris, 1841, in- 18.

France l'histoire naturelle et la géologie; qu'il fut l'un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à renverser le culte aveugle du moyen âge pour les doctrines de l'antiquité; que cet ouvrier, sans culture et sans lettres, a laissé des écrits remarquables par la clarté, l'énergie, le coloris du style; qu'enfin cet homme simple et pur, mais puissant par le génie, fournit l'exemple de l'un des caractères les plus élevés de son époque.

Il est beau sans doute de voir l'artiste, aux prises avec les difficultés de son art ou avec les obstacles matériels qui s'opposent à la production de sa pensée, sortir victorieux de cette lutte, après une longue période d'efforts, de misères et de souffrances; mais il ne l'est pas moins de voir l'homme d'une origine obscure, dépourvu des secours de l'instruction et de l'étude, jeter sur tout ce qui l'entoure le coup d'œil de l'observateur et du philosophe, pénétrer les mystères de la nature, saisir les principes des vérités éternelles, renverser les erreurs accréditées de son époque et pressentir la plupart des découvertes qui feront l'avenir et la gloire des siècles plus éclairés. C'est avec ce double mérite que Palissy se présente aux regards de la postérité. Les événements de sa vie, dont quelques-uns furent racontés par lui-même, montrent tout ce que peut le génie secondé par une âme ferme, un esprit droit et un cœur pur. Leur simple récit nous semble le moyen le plus naturel d'appeler sur ses travaux l'intérêt dont ils sont si dignes, et sur sa personne le respect, l'admiration que commande toujours un beau caractère uni aux plus précieux talents.

Un pauvre village du Périgord, situé à peu de distance de la petite ville de Biron, entre le Lot et la Dordogne,

donna naissance à BERNARD PALISSY. Ce village, appelé La Chapelle-Biron, renferme encore, dit-on, une famille qui descend de cet homme célèbre, et une tuilerie fort ancienne, établie dans le même lieu, portait encore naguère le nom de Tuilerie de Palissy. Des documents, assez peu d'accord entre eux, font remonter sa naissance au commencement du seizième siècle. Ainsi d'Aubigné prétend qu'à sa mort, arrivée en 1589, il était âgé de quatre-vingt-dix ans, tandis que, selon Lacroix du Maine, il florissait à Paris en 1575, âgé de soixante ans et plus. En rapprochant diverses circonstances parmi celles que Palissy rapporte lui-même, la version la plus vraisemblable et la plus généralement adoptée rapporterait la date de sa naissance à l'année 1510.

On ne possède aucun détail sur ses parents ni sur sa première éducation. Il paraît que, dès son enfance, il travaillait à la vitrerie, qui comprenait alors la préparation, l'assemblage des vitraux colorés, ainsi que la peinture sur verre. Doué d'une aptitude particulière aux arts du dessin, il conçut de bonne heure la pensée d'élever ses travaux d'artisan à la hauteur des œuvres d'un artiste. Aussi, tout en peindant des images, comme il dit, pour exister, il étudiait les grands maîtres de cette belle école italienne qui, dès le siècle précédent, avait donné à la renaissance des arts une si vigoureuse impulsion. Il s'exerçait en même temps à l'architecture et pratiquait la géométrie. « On pensoit, dit-il, que je fusse plus sça< vant en l'art de peinture que je n'estois, qui causoit que << j'estois souvent appelé pour faire des figures (des plans) « dans les procès. » C'était une nouvelle ressource un peu plus profitable que l'art de composer des vitraux.

Mais pour l'homme qui se sent capable de fournir une large carrière, le pays natal ne saurait longtemps suffire; Palissy se mit donc à voyager. Il alla d'abord dans les Pyrénées, et s'arrêta quelques temps à Tarbes. Les accidents naturels de ce beau pays le frappèrent vivement, et peut-être est-ce là le point de départ de son goût ardent pour la géologie et les sciences naturelles. Il parcourut ensuite quelques autres provinces de France, puis la Flandre, les Pays-Bas, les Ardennes et les bords du Rhin, en ouvrier nomade, exerçant à la fois la vitrerie, la pourtraiture et l'arpentage; mais aussi observant partout la topographie, les accidents du sol, les curiosités naturelles; parcourant les montagnes, les forêts, les rives des fleuves; visitant les carrières et les mines, les grottes et les cavernes, en un mot, demandant partout à la nature elle-même le secret des merveilles qu'elle offrait à son admiration et à son étude. L'éducation scientifique de Palissy, au lieu de commencer par les livres, partait ainsi des bases les plus certaines, les plus fécondes: l'expérience et l'observation.

Ses voyages étaient terminés en 1539. De retour dans son pays natal, Palissy alla se fixer à Saintes, et s'y maria. Quelques années plus tard, déjà surchargé de famille et luttant contre la misère, le hasard fit tomber entre ses mains une coupe de terre émaillée d'une grande beauté. Aussitôt il conçoit la pensée d'imiter ce travail, et de se livrer à un art entièrement nouveau pour lui. On sait qu'à cette époque la poterie n'était point recouverte de vernis, ou du moins que cet art, déjà pratiqué en Italie, à Faenza et à Castel - Durante, n'était point encore connu en France. Palissy vient à penser que, s'il parvenait à décou

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