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stractions par le charme naturel qui s'attache au drame historique.

Cette forme, à la vérité, a aussi ses inconvénients et surtout ses difficultés. Elle manque d'ensemble, de plan, de lien; elle n'admet pas les transitions, elle ne saurait éviter les redites et les doubles emplois. Quant aux difficultés, elles sont nombreuses, et nous en avons fait trop souvent la cruelle épreuve. Proportionner l'étendue des notices à leur importance, approprier le style au caractère de chaque personnage, mélanger habilement les détails de sa vie avec l'exposé clair et succinct de ses travaux, de ses découvertes, de ses doctrines; réunir et classer tous les faits dont il fut l'auteur, l'occasion, ou le mobile; montrer l'état de la science avant et après lui, l'influence de ses écrits ou de sa parole sur la marche des connaissances; y réunir avec adresse les événements généraux et contemporains... tout cela demande bien du tact, des soins et de l'art. Il est peut-être aussi naïf que téméraire de jalonner ainsi une route que l'on n'a pas réussi à suivre, de signaler des écueils que l'on n'a pas su toujours éviter. Puissent nos émules s'y engager avec plus de bonheur ! leurs succès nous dédommageront des efforts que nous aurons tentés dans cette voie intéressante.

Une disposition généreuse de notre époque nous porte à élever de toutes parts des statues, des monuments aux hommes qui ont bien mérité de leur patrie et de l'humanité. C'est à l'historien, au biographe surtout, aussi bien qu'au statuaire, de rendre au génie cet

hommage solennel, en réalisant cette heureuse fiction de la poésie antique, rappelée par Bacon (1), et que son tour ingénieux empêchera sans doute de paraître trop surannée : « A l'extrémité du fil qui repré«sente la vie de chaque mortel, est suspendue une <«< médaille qui porte son nom. Au moment de sa « mort, le temps détache ces médailles et les jette << dans le fleuve d'oubli. Mais autour du fleuve volti<< gent quelques cygnes qui rassemblent les noms qui <«< flottent à la surface, les saisissent et les portent à << l'immortalité. »

Nous avons recueilli quelques-unes de ces médailles, afin de rappeler certains noms dignes de mémoire au souvenir des amis de la science et de la vérité.

(1) De augmentis scientiarum, liv. II, c. vi.

Novembre 1856.

PARACELSE

(1493-1541.)

Il y a deux modes d'appréciation applicables aux hommes et aux choses des temps passés l'un s'attache aux œuvres, aux résultats qui sont restés acquis à la civilisation, l'autre aux circonstances au milieu desquelles les personnages et leurs actes se sont révélés. La réaction du siècle sur les hommes célèbres, et en même temps,`l'influence de ces hommes sur leur siècle, telles sont donc les bases du jugement que nous avons à porter sur les uns et sur les autres. Tout examen qui néglige l'un de ces deux éléments risque d'être entaché d'erreur ou de partialité.

Ce qui, à d'autres époques, parut une vérité brillante, peut nous sembler aujourd'hui une déplorable erreur, et la science de nos jours a le droit d'en faire bonne justice; mais l'histoire ne l'apprécie pas avec la même rigueur. Cette théorie, à sa date réelle, fut un pas important dans la recherche du vrai; elle résuma l'état des connaissances, les travaux, les prévisions de l'époque où elle se fit jour; il faut donc lui laisser son cadre naturel. L'historien

de la science ne procède point comme le professeur; ses jugements ne sauraient par conséquent avoir le même caractère. Sans différer au fond sur la valeur absolue des faits, il les considère aussi d'une manière relative, en ayant égard aux circonstances qui accompagnèrent leur apparition.

Voilà ce qui explique peut-être les fréquentes dissidences qui divisent les savants et les érudits : les uns n'envisageant le savoir que dans ce qu'il a d'actuel, bornant parfois la science à ce qu'ils savent eux-mêmes et faisant trop bon marché de ce que l'on savait avant eux ; les autres cherchant avec une heureuse obstination, dans les siècles écoulés, les traces d'une découverte dont notre âge s'enorgueillit, et signalant les écueils auxquels nous expose trop souvent la fatale ignorance du passé.

J'avais besoin d'émettre ces vues, au moment où je vais jeter les yeux sur un personnage qui a joui longtemps d'une célébrité assez étrange, et sur lequel ses contemporains, comme la postérité, ont porté des jugements fort contradictoires. Je ne m'étonne donc point de compter surtout, parmi ses contempteurs dédaigneux, les savants, c'est-à-dire les hommes de la science actuelle, contemporaine, et de trouver plus d'indulgence pour ses fautes, plus de bon vouloir pour ses doctrines, parfois même quelque admiration pour son génie, chez les historiens de la science, les explorateurs du passé, en un mot, parmi les érudits.

Philippe Auréole Théophraste Bombast (1) de Hohenheim, plus connu sous le nom de PARACELSE, naquit

(1) Le mot Bombast est devenu, en anglais, le synonyme de pathos, d'enflure, de jactance.

en 1493, à Einsiedeln, en Suisse, bourg du canton de Schwitz, siége d'une célèbre abbaye de bénédictins, et d'où le réformateur Zwingle lança, un an avant Luther, les premières attaques contre la cour de Rome. Son père, qui avait exercé la médecine à Willach, en Carinthie, était proche parent d'un grand prieur de l'ordre de Malte, ce qui montre qu'il n'était point, comme on l'a dit, d'une origine très-obscure. A la vérité sa première éducation fut négligée; sa jeunesse fut celle des scolastiques ambulants. Dans ses pérégrinations incessantes, il traitait des malades, il prédisait l'avenir, il pratiquait l'astrologie et la cabale, auxquelles il avait été initié par son père, par l'abbé Tritheim et par d'autres astrologues ou alchimistes allemands. En Saxe, il visita les mines et consulta les métallurgistes; il travailla à la recherche du grand œuvre chez les riches Fugger d'Augsbourg (1). Pendant un voyage en Pologne, il fut pris et emmené par les Tartares, chez lesquels il acquit encore quelques connaissances alchimiques. Il alla ensuite en Égypte, à Constantinople, où il se fit initier aux mystères des adeptes orientaux. Il parcourut enfin toute l'Europe, se mêlant partout aux médecins, aux astrologues, aux charlatans; ne dédaignant pas de demander des secrets et des recettes aux baigneurs, aux vieilles femmes, aux zingares, aux magiciens et même aux bourreaux. Ainsi, ce n'est point dans les écoles ni dans les livres que Paracelse acquit ses connaissances si étendues et si variées, mais à l'aide des voyages et des traditions verbales. Il lisait et écrivait peu; ses leçons et

(1) Cette célèbre famille, enrichie par le commerce, passait aussi pour avoir acquis une partie de sa fortune à l'aide de ses connaissances en alchimie.

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