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l'on

» son sein. Il lui fallait quelque » temps pour revenir à lui, pour » éloigner les fantômes et sortir de la » tragédie. » De pareils jugements, de la part de contemporains aussi éclairés que l'étaient Grimm et Laharpe, sont le meilleur témoignage que puisse offrir à la postérité. Cependant il convient de dire que ces louanges ne furent pas tout-à-fait unanimes; et l'on ne trouvera pas mauvais qu'après les avoir rapportées avec autant d'étendue, nous présentions un portrait moins flatteur, fait par un contemporain, également célèbre, mais dont on peut avec beaucoup de raison suspecter les motifs. Voici comment Marmontel signale, dans l'Encyclopédie, à l'article Declamation, les défauts qu'il avait cru voir dans le jeu de Lekain << Il est d'autres causes >> d'une déclamation défectueuse: il » en est de la part de l'acteur, de la » part du poète, de la part du pu»blic lui-même. L'acteur à qui la >> nature a refusé les avantages de » la figure et de l'organe, veut y

tant que chaque nouvelle représentation semblait ajouter encore à la haute idée qu'on en avait. Sans cesse occupé de son art, il lui consacrait tout son temps et toutes ses facultés, même lorsqu'il fut parvenu à ses plus beaux triomphes. Selon le précepte du sage il croyait toujours n'avoir rien fait lors qu'il lui restait quelque chose à faire. On sait qu'il allait souvent au palais, entendre les meilleurs orateurs, et qu'il ne dissimula jamais le profit qu'il en avait tiré. « Allez voir mon maître, › dit-il un jour, à un acteur médio2 cre; c'est lui qui vous apprendra à > mettre dans toutes vos expressions » le ton et la dignité convenables. » Ce maître était le fameux Gerbier (Voyez GERBIER). Ce n'est que par des soins aussi constants, par des travaux aussi pénibles, que Lekain parvint à surmonter tous les obtacles que la nature avait mis à ses succès. «La fatigue de ses roles, a dit en»core Laharpe, était en proportion de la sensibilité qu'il y mettait. » Son expression n'était pas seule»ment l'action de ses organes, c'é» tait le tourment d'une ame boule» versée qui retenait encore en de» dans plus qu'elle ne produisait au » dehors; ses cris et ses larmes étaient » des souffrances; le feu sombre et » terrible de ses regards, le grand » caractère imprimé sur son front, » la contraction de tous ses mus>cles, le tremblement de ses lèvres, » le renversement de tous ses traits, » tout manifestait un cœur trop >plein qui avait besoin de se répandre, et qui se répandait sans » se soulager: on entendait le bruit » intérieur de l'orage, et quand il » quittait le théâtre, on le voyait » encore, comme l'ancienne Pythie, › accablé du Dieu qu'il portait dans

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suppléer à force d'art; mais quels » sont les moyens qu'il emploie ? » Les traits de son visage manquent » de noblesse; il les charge d'une » expression convulsive: sa voix est » sourde ou faible; il la force pour » éclater ses positions naturelles » n'ont rien de grand; il se met à la » torture, et semble, par une gesti>> culation outrée, vouloir se cou» vrir de ses bras. Nous dirons à cet » acteur, quelques applaudissements » qu'il arrache au public: Vous >> voulez corriger la nature, et vous » la rendez monstrueuse : vous sen>> tez vivement; parlez de même, et »> ne forcez rien que votre visage » soit muet; on sera moins blessé » de son silence que de ses contor

>>sions: les yeux pourront vous cen» surer; mais les cœurs vous applaudiront, et vous arracherez » des larmes à vos critiques. » Le ressentiment d'un auteur mécontent perce trop évidemment dans cette critique. Voyez MARMONTEL.) Quoique l'acteur qu'il désignait ainsi ne fût pas nommé, personne ne put s'y méprendre ; Lekain ne douta point qu'il n'en fût l'objet, et il se vengea dans plusieurs occasions, notamment à la représentation de Venceslas, qui eut lieu à Versailles. Marmontel avait été chargé de faire à cette pièce quelques changements dans les expressions vieillies par le temps; mais Lekain n'y eut point d'égard, et il récita son rôle avec d'autres changements faits par Colardeau, et qui, malheureusement pour Marmontel, étaient plus heureux que les siens. Cette faible opposition qui se manifesta au moment où Lekain semblait parvenu au plus haut point de sa gloire, fut à peine remarquée du public; et jusqu'aux derniers moments de ce grand acteur, les accents de l'admiration continuèrent à étouffer les clameurs de l'envie. Cependant il étudiait encore les secrets de son art, et chaque jour il découvrait de nouveaux moyens d'exciter l'enthousiasme. Tous les contemporains se sont accordés à dire que sa dernière représentation fut la plus admirable; jamais il ne s'était montré aussi étonnant, aussi sublime que ce jourlà dans le rôle de Vendôme d'Adelaïde Duguesclin. Il paraît même certain que l'ardeur extraordinaire qu'il y déploya fut la cause première de sa mort. Il sortit de la salle fort échauffé, par un temps rude, sans nulle précaution; et cette imprudence suivie, dit-on, d'une plus grande encore,

lui causa une inflammation qui le mit en peu de jours au tombeau, le 8 février 1778, à l'âge de 49 ans. Il fut inhumé le jour même où Voltaire, qui avait ignoré sa maladie, entrait à Paris après une absence de trente ans. Ce fut la première nouvelle qu'il apprit à son arrivée ; qu'on juge de quelle subite et profonde affliction il fut pénétré! Avec Lekain, disparut son talent tout entier, sans qu'il laissât après lui de vestiges qui pussent le signaler à la postérité. De tous les beaux arts, la déclamation théâtrale est à cet égard le plus malheureux : sa production la plus parfaite n'y survit point à son auteur; et les chefsd'œuvre qui dans les autres arts instruisent et charment les générations suivantes, disparaissent avec l'homme qui les a produits, souvent même avec l'instant qui les a vus naître. Lekain adit qu'il lui était venu quelquefois des mouvements et des inspirations qu'il n'avait jamais puretrouver, quels qu'eussent été ses efforts pour y parvenir. Un seul comédien, chez les modernes, a obtenu une réputation égale à la sienne; c'est le fameux Garrick. Il est vrai que Linguet qui avait vu plusieurs fois ce dernier au théâtre de Londres, ne le juge pas si favorablement dans sa notice sur ces deux acteurs ; il estime beaucoup plus Lekain, et il en donne d'assez bonnes raisons. Voltaire, interrogé un jour par le marquis de Villette, sur le mérite des principaux acteurs tragiques qu'il avait vus au théatre dans sa longue carrière, tels que Baron, Beaubourg, Dufresne, Sarrazin, Lanoue et Grandval, lui détailla les qualités diverses par lesquelles chacun d'eux avait brille; et il

conclut en disant que Lekain, réunissant un plus grand nombre de ces

mation, et quelques améliorations dans le régime intérieur des specta-. cles. Tout cela est rapporté dans divers écrits, publiés par son fils (1). Il fit plusieurs voyages à Ferney, et conserva pendant toute sa vie avec Voltaire des rapports très-intimes. Ces rapports, et ceux qu'il eut avec d'autres hommes célèbres, l'environnèrent d'une considération à laquelle la noblesse de son caractère ne contribua pas moins que son talent. Il n'est personne qui ne connût dans le temps et qui n'applaudît à la réponse aussi noble que sensée qu'il fit à un chevalier de Saint-Louis, qui s'était exprimé en sa présence dans les termes les plus méprisants sur les comédiens, sur leurs pensions et leurs profits excessifs, tandis que lui, ajoutait-il, ancien militaire couvert de blessures, ne recevait du Roi que six cents francs par an, après avoir passé la moitié de sa vie à le servir. Lekain, qui l'avait écouté sans rien dire, lui répondit froidement : « Comptez-vous pour rien le droit » que vous croyez avoir de me » dire tout cela? » Malgré la supériorité de son talent, ce grand acteur ne fut exempt d'aucun des désagréments de son état, et trois fois on le conduisit en prison. La probité, les sentiments élevés, le talent supérieur, ne lui firent pas trouver auprès de certains dominateurs des spectacles plus d'égards et de considération que de médiocres comédiens. Il se rappela souvent, dans de pareilles circonstances, les avis de Vol

qualités, les surpassait de beaucoup et même qu'il était, à ses yeux, le seul acteurvraiment tragique. Peu de gens ont eu l'avantage de vivre assez longtemps pour faire une telle comparaison; mais on peut croire, d'après un juge comme Voltaire, que l'art de la représentation théâtrale a été porté par Lekain plus loin que par aucun de ses prédécesseurs. Depuis quarante ans qu'il a cessé de vivre, personne ne lui a été comparé par ceux qui l'ont connu, et personne en effet ne lui a ressemblé. L'acteur était tellement identifié avec le caractère des personuages, qu'il était tour à tour Oreste, Néron, Gengiskan, Mahomet. Son entrée sur la scène, dans ce dernier rôle, était surtout admirable. Le jen pantomime dans lequel il excellait, prolongeait l'illusion: il était l'ame de la scène, dès qu'il y paraissait; et sa déclamation mesurée donnait le ton aux autres acteurs. On sait que Grétry en a noté des morceaux dans ses Essais sur la Musique. Sa réputation s'était étendue dans toute l'Europe; et Frédéric II, qui en avait entendu parVoltaire avec beaucoup d'enthousiasme, desira voir un tel prodige, et le fit venir à Berlin, où il joua plusieurs fois dans les dernières années de sa vie. Lekain avait acquis, dans les lettres, toutes les connaissances nécessaires à son art. Sensible à la poésie, on ne l'a jamais entendu mutiler les vers qu'il récitait; et fort instruit des usages et des costumes de tous les peuples, il se montra toujours extrêmement scrupuleux à les suivre. Il provoqua différentes réformes utiles, et fut en cela très-bien secondé par mademoiselle Clairon, si digne de jouer la tragédie avec lui. Il desira l'établissement d'une école de décla

ler par

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etc.s

(1) Mémoires de H. Lekain, publiés par son fils aîné, suivis d'une Correspondance de Foltaire, Garrick, Colardeau, Lebrun, 1801, in-8° Il parut, peu après, une Notice de F. R. Molé sur les Mémoires de Lekain, 1801, in-8., et des Jugements sur Lekain, par Molé, Linguet, etc. On a publié depuis: Lekain dans sa jeunesse ou Detail historique de ses pre mières années, écrit par lui-même, 1816, in-8

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taire, et fut quelquefois tenté d'aller chercher le repos dans une petite retraite qu'il avait à Fontenaí près Vincennes; mais la passion de son art l'emporta toujours dans son cœur. La plupart des Mémoires et des écrits du temps sont empreints de l'enthousiasme et de l'admiration que Lekain a excités. Cependant on lit dans plusieurs passages du Journal historique de Collé ( Voyez ce nom, tom. Ix, pag. 255), des critiques fort sévères et même grossières de sa manière de déclamer. Sa taille était médiocre et un peu lourde, ses membres forts et sa figure très-commune; mais tous ses traits étaient fortement prononcés; une ame de feu les animait, et leur mobilité était un véritable phénomène. Son portrait, gravé par Saint-Aubin d'après Lenoir, est très-ressemblant. L'acteur est représenté dans une situation intéressante du rôle d'Orosmane. Lekain a été éditeur de l'Adelaïde Duguesclin de Voltaire, Paris, 1765, in-8°. D-x et M-D. J.

LELAÉ (CLAUDE-MARIE), avocat et poète bas-breton, naquit le 8 avril 1745, à Lannilis, village à cinq lieues de Brest, et mourut juge au tribunal civil de Landernau, le 11 juin 1791. Il a composé un petit poème intitulé, Michel-Morin, également remarquable par le style et par la gaîté qui y règne, et imprimé à Morlaix. C'est une paraphrase ingénieuse de la pièce macaronique qui porte le même nom. On a de lui un autre poème assez plaisant sur la mort d'un chien, des chansons, des satires, et surtout des épigrammes. A certains égards, ce poète est, tout-àla-fois, le Scarron, le Vadé, le Piron et pour ainsi dire le Boileau de la Basse-Bretagne. Le mérite de ses vers est de faire rire aux éclats

tous ceux qui les entendent, même les femmes, les enfants, et jusqu'aux paysans les plus grossiers. Ce mérite, fort rare dans notre siècle, a bien plus de prix dans la Basse-Bretagne, dont les habitants, ceux des classes inférieures surtout, se ressentent de leur origine, et ne sont rien moins que rieurs. Les poésies de Lelaé ont obtenu les suffrages de tous ses compatriotes: mais il est impossible d'en donner une idée en français; car, la traduction leur ferait perdre tout leur sel. On doit regretter qu'il ait écrit dans un idiome très-respectable assurément, puisqu'il est le plus pur dérivé de la langue des anciens Celtes, mais qui est à peine connu aujourd'hui dans la moitié de la Bretagne. A-T.

LELAND (JEAN), antiquaire, né à Londres au commencement du seizième siècle, resta orphelin fort jeune, mais trouva un appui dans Thomas Myles, grand protecteur des lettres, qui lui fit faire ses premières études sous G. Lily, fameux régent de l'école de St.-Paul. Il continua ses cours à Cambridge et à Oxford; et, après y avoir pris ses grades, il vint à Paris, attire par la réputation des professeurs du College royal. De retour en Angleterre, il embrassa l'état ecclésiastique, reçut les ordres sacrés, et parvint à la place de chapelain du roi Henri VIII. Ce prince, charmé de ses talents, créa pour lui la charge d'antiquaire de la couronne, dont le titre s'éteignit avec lui, le nomma son bibliothécaire, et le pourvut de riches bénéfices. Leland visita toutes les provinces d'Angleterre dans le dessein d'en faire la description topographique, et, muni d'un ordre du roi, enleva, des couvents nouvellement supprimés, tous les livres et manuscrits qu'il jugea dignes d'aug

menter les richesses de la bibliothè-
que royale. Il s'occupa ensuite de
mettre en ordre les matériaux qu'il
avait rassemblés avec tant de soin;
mais l'excès du travail affaiblit ses

organes en peu de temps, au point
qu'on fut obligé de lui donner un cu-
rateur. Comme il avait abandonné
la religion romaine pour plaire au
roi, on soupçonna que les remords
avaient pu contribuer à lui troubler
l'esprit. Quoi qu'il en soit, après
avoir langui, à peu près deux ans,
dans un état d'imbécillité complète,
il mourut à Londres, le 18 avril 1552.
Leland, nommé aussi quelquefois
Laylonde, était un fort habile hom-
me, savant dans les langues, élo-
quent orateur et bon poète : mais on
lui a reproché une excessive vanité;
défaut que ne peuvent faire excuser
les plus grands talents. On trouve la
liste de ses ouvrages dans Fabricius,
Bibl. media et infimæ latinitat.
(tom. iv, pag. 89); dans les Mémoi-
res de Niceron, tom. XXVIII, et dans
le Dictionnaire de Chaufepié. Les
principaux sont : I. Principum ac
illustrium aliquot et eruditorum in
Anglid virorum encomia, trophæa,
genethliaca et epithalamia, Lon-
dres, 1589, in-4. C'est un recueil
de vers; il a été publié par Th.
Newton de Cheshire. II. Commen-
tarii de Scriptorib. Britannicis, Ox-
ford, 1709,2 tom. in-8. L'éditeur, le
savant Ant. Hall, a fait précéder cet
d'une vie de Leland, exacte
et intéressante. III. Itinerary of great
Britain. Oxford, 1710 et ann. suiv.
9 vol. in-8. Cette édition n'a été ti-
rée qu'à cent vingt exemplaires; mais
l'ouvrage, qui est assez curieux, a
été réimprimé en 1744, enrichi de
notes de l'éditeur Th. Hearne. IV.
Collectanea de rebus Britannicis,
Oxford, 1715, 6 vol in-8., édition

ouvrage

tirée à un petit nombre d'exem-
plaires. (Voy. Th. HEARNE, t. XIX,
pag. 534.) C'est un recueil de pièces
extraites des différentes archives du
royaume. Th. Hearne y a ajouté des
notes, un index et la vie de Leland.
On a publié sous le nom de celui-ci des
Questions et Réponses concernant le
mystère de la maçonnerie, copiées
par lui d'après un manuscrit de la
main du roi Henri VI. Cette pièce,
tirée de la bibliothèque Bodleienne,
en 1696, et accompagnée des notes
de Locke, a été traduite en français
dans les Acta Latomorum, 11, 6.
C'est un morceau assez singulier, à
la vue duquel Locke chercha à se
faire recevoir franc-maçon, comme
le roi Henri VI lui en avait donné
l'exemple d'après l'effet produit su
lui par ces réponses.Le répondant fai-
sait remonter l'origine de la maçon-
nerie jusqu'à Peter Gower (Pytha-
gore), qui, l'ayant apprise des mar-
chands vénitiens (phéniciens), l'in-
troduisit à Groten en Angleterre
(Crotone dans la Grande Grèce ).
Voyez les vies de Leland, Hearne
et Wood par Haddesford,
vateur de la bibliothèque Ashmo-
léenne, 1772, 2 vol. in-8. W-s.

conser-

LELAND (JEAN), ministre presby-
térien anglais, naquit a Wigan (Lan-
caster), 1691. Peu de temps après,
son père perdit sa fortune, et alla
s'établir à Dublin. Jean, qui avait été
laissé en Angleterre pour son éduca-
tion, étant parvenu à l'âge de six
ans, fut attaqué de la petite vérole
qui le conduisit aux portes du tom-
beau; revenu à la vie, contre toute
espérance, il se trouva privé de ses
facultés morales, n'ayant plus ni
intelligence ni mémoire : cet état
dura pendant un an, et alors ses fa-
cultés revinrent; mais il ne lui resta
aucun souvenir de ce qu'il avait sự

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